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Droit pénal général
L’interdiction de la captation sonore s’étend aux suspensions d’audience
Dans un contexte où la liberté d'expression se trouve au cœur des débats sociétaux, la Cour de cassation, dans sa décision du 25 février 2025, réaffirme la portée maximale de l'interdiction de la captation sonore en audience, une mesure essentielle pour préserver la sérénité des débats et garantir l'intégrité du processus judiciaire.
Crim. 25 févr. 2025, F-R, n° 23-86.544
Le 4 mars 2021, M. [I] a publié sur un réseau social une vidéo intitulée « Tribunal de commerce de Nanterre : les manœuvres collusives de trois juges et d’une greffière », dans laquelle figurait un enregistrement sonore d'une conversation tenue entre les juges consulaires – magistrats non professionnels du Tribunal de commerce – et le greffier, lors de deux suspensions d’audience. Cette publication a conduit M. [I] à être condamné en première instance à une amende de 4 000 euros, sur le fondement de l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui interdit l'emploi pendant l’audience de tout appareil permettant d'enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l'image, une décision confirmée en appel. Cette affaire soulève un débat sur l’application de cette disposition aux suspensions d’audience, et interroge sur les limites de la liberté d'expression.
· La publicité des débats : un principe fondamental aux limites nécessaires
Si certains procès sont parfois filmés – en particulier ceux relatifs à des crimes de masse devant les juridictions pénales internationales – leur captation soulève néanmoins un équilibre délicat entre la préservation de la présomption d’innocence et la liberté d’information (M. Ubéda-Saillard (dir.), La retransmission en direct du procès : quelles incidences sur les droits et comportements des juges et parties ? Cycle de conférences : Retour d’expérience des juridictions pénales internationales intéressant l’office du juge national, Colloque, Cour de cassation).
Le principe de publicité des débats judiciaires a été consacré par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC), puis par la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) à l’article 6§1. Il s’agit d’une garantie fondamentale du droit à un procès équitable qui permet de prévenir d’une justice secrète, tout en conférant un rôle pédagogique aux audiences. Reconnu par le Conseil constitutionnel en 2017, le principe de publicité n’est pas absolu et peut être écarté au nom de l’intérêt général (Cons. const. 21 juill. 2017, n° 2017-645-QPC). L’article 6§1 de la Convention lui-même le soumet en effet à des restrictions justifiées par l’intérêt général ou la protection de la dignité de la personne. En effet, même dans le cadre européen, la liberté d’expression, aussi essentielle soit-elle, n’est pas sans limite. Ce droit, garanti par l’article 10 de la Convention EDH, peut subir une ingérence de l’État lorsque trois critères sont remplis : une base légale, la poursuite d’un but légitime, et le respect d’un rapport de proportionnalité
En droit français, le principe de publicité ne permet pas l’enregistrement libre des débats. L’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse interdit l’usage d’appareils d’enregistrement sonore ou audiovisuel pendant les débats (jugeant que l’atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui en résulte est nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis, V. Cons. const. 6 déc. 2019, n° 2019-817 QPC). Toutefois, une demande peut être réalisée avant l’audience, et la captation devient possible à condition qu’elle obtienne l’accord du président ainsi que le consentement des parties et du ministère public, et ce, avant l’ouverture des débats. Toute violation est passible de deux mois d’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende ainsi que de la confiscation du matériel. Des dérogations existent, notamment pour les archives historiques (C. patr., art. L. 221-1 et s.) ou, depuis la loi du 22 décembre 2021 sur la confiance en l’institution judiciaire, pour des enregistrements à des fins pédagogiques, informatives ou scientifiques, mais toujours sous conditions strictes (L. 29 juill. 1881, art. 38 quater).
· La suspension d'audience : une étape intégrée à la procédure prévue par l'article 38 ter
Dans son pourvoi, le prévenu contestait la décision d’appel en soulevant plusieurs arguments. L’un des points-clés réside dans l’interprétation de l’article 38 ter de la loi sur la presse. Ainsi, pour le demandeur au pourvoi, l’article 38 ter ne saurait être étendu aux suspensions d’audience. Il ressort de cet argument que l’extension de cet article – donc de la portée de l’interdiction – à une telle phase, le détournerait de son objectif initial : garantir la recherche de la vérité et renforcer l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire par le contrôle du public. L’enjeu était donc de déterminer jusqu’où s’étend la notion d’audience visée par l’article 38 ter.
Dans sa décision, la Cour de cassation rejette le moyen invoqué, confirmant une interprétation de l’article 38 ter suivant laquelle la notion d’« audience » est à envisager dans sa globalité. Dès lors, la Cour considère que l’interdiction de captation s’applique dès l’ouverture de l’audience et se prolonge jusqu’à sa clôture, y compris pendant les suspensions. Cette interdiction s’étend également aux échanges entre la formation de jugement et le greffe, même en l'absence du public et des parties. La Cour insiste sur le fait que ces échanges, bien qu’intervenant hors de la présence des justiciables, ne peuvent être assimilés à un délibéré dès lors qu’aucune décision n’y est prise et que l’affaire est officiellement mise en délibéré à la clôture des débats. Cette position s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence Merah de 2020 (Crim. 24 mars 2020, n° 19-81.769, pour deux photographies prises dans la salle d’audience avant le prononcé du verdict). La Cour rappelle alors avec constance les objectifs de sérénité des débats, de bonne administration de la justice, du respect de la vie privée des parties aux procès ainsi que celui de la présomption d’innocence (même arrêt).
· La Cour de cassation attentive à la motivation des peines
Un autre moyen soulevait la question de l’absence de motivation de la peine, celle-ci devant, en principe, être individualisée et motivée, exigences rendues obligatoires par la chambre criminelle depuis 2017 sur le fondement de l’article 132-1 du Code pénal (Crim. 1er févr. 2017, nos 15-83.984, 15-84.511 et 15-85.199). Sur le fondement de cet article et des articles 485 (motivation des jugements), 512 (application des règles du tribunal correctionnel en appel) et 593 (nullité des décisions pour absence ou insuffisance de motifs) du Code de procédure pénale, il dénonçait l’absence de justification fondée sur la personnalité et la situation personnelle de l’intéressé, ainsi que sur la proportionnalité de la sanction.
Pour autant, la Cour de cassation rappelle avec fermeté son obligation de motivation des peines en matière correctionnelle, reprochant à la cour d’appel de s’être limitée à une mention succincte de la personnalité du prévenu et de sa situation financière. Ainsi, la Cour casse et annule la décision rendue, mais uniquement en ce qui concerne les dispositions relatives à la peine, la déclaration de culpabilité du prévenu demeurant inchangée. Cette solution constitue un parfait exemple du contrôle de proportionnalité exercé par les magistrats du Quai de l’horloge.
Le contrôle de proportionnalité est un principe fondamental en droit, utilisé pour garantir le respect d’un juste équilibre entre l’objectif poursuivi par la décision et les restrictions qu’elle impose aux droits fondamentaux des individus. Il repose sur trois critères : la nécessité, la pertinence et la proportionnalité stricto sensu. Ainsi, le juge évalue d’abord si l’ingérence dans un droit est nécessaire pour atteindre un objectif légitime, puis si cette mesure est adéquate pour cet objectif. Enfin, il examine si l’atteinte au droit n’est pas excessive par rapport aux bénéfices attendus. Ce contrôle, longtemps réservé aux juridictions du fond, était traditionnellement exclu de la compétence de la Cour de cassation, qui se limitait à un contrôle purement juridique, in abstracto. Aujourd’hui, et notamment depuis 2013, la Cour de cassation a étendu son contrôle en analysant les faits et en procédant à une analyse in concreto, rejoignant ainsi la méthode des juridictions européennes (v. pour le contrôle opéré par la Cour de cassation : V. Fourment, Le contrôle de proportionnalité à la Cour de cassation : L'office du juge à l'épreuve de la mise en balance et du contrôle de conventionnalité, D., Nouvelle Bibliothèque de Thèses, 18 avril 2024).
Références :
■ M. Ubéda-Saillard (dir.), La retransmission en direct du procès : quelles incidences sur les droits et comportements des juges et parties ? Cycle de conférences : Retour d’expérience des juridictions pénales internationales intéressant l’office du juge national, Colloque, Cour de cassation
■ A.-M. Sauteraud, « Libres réflexions sur l'enregistrement et la diffusion des audiences », Légispresse 2022. 346
■ Cons. const. 21 juill. 2017, n° 2017-645-QPC : D. 2017. 1533 ; ibid. 2018. 1344, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; Constitutions 2017. 498, Décision
■ Cons. const. 6 déc. 2019, n° 2019-817 QPC : Dalloz actualité, 6 janvier 2020, obs. A. Léon ; AJDA 2019. 2521 ; D. 2019. 2355, et les obs. ; ibid. 2020. 1324, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ pénal 2020. 76, étude C. Courtin ; Légipresse 2019. 666 et les obs. ; ibid. 2020. 118, étude E. Derieux ; ibid. 127, chron. E. Tordjman, G. Rialan et T. Beau de Loménie ; Constitutions 2019. 590, Décision ; RSC 2020. 99, obs. E. Dreyer
■ Crim. 24 mars 2020, n° 19-81.769 : Dalloz actualité, 11 mai 2020 ; Légispresse 2020.301, obs. B. Ader ; Légipresse 2019. 521 et les obs. ; RSC 2020. 99, obs. E. Dreyer
■ Crim. 1er févr. 2017, nos 15-83.984, 15-84.511 et 15-85.199 : Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. C. Fonteix ; D. 2017. 961, note C. Saas ; ibid. 1557, chron. G. Guého, E. Pichon, B. Laurent, L. Ascensi et G. Barbier ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire
■ V. Fourment, Le contrôle de proportionnalité à la Cour de cassation : L'office du juge à l'épreuve de la mise en balance et du contrôle de conventionnalité, D., Nouvelle Bibliothèque de Thèses, 18 avril 2024
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