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Libertés fondamentales - droits de l'homme
L’interdiction d’enregistrement des audiences ne porte pas une atteinte excessive à la liberté d’expression.
Saisi d’une QPC portant sur l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, le Conseil constitutionnel juge que l'atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui résulte de ces dispositions est nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis.
Le 1er octobre 2019 (Crim. 1er oct. 2019, no 19-81.769), la chambre criminelle renvoyait une question prioritaire de constitutionnalité posée par une prévenue condamnée à 2 000 euros d'amende par la cour d’appel de Paris pour publication d'enregistrement sonore ou visuel effectué sans autorisation à l'audience d'une juridiction. La question interrogeait la conformité aux droits et libertés constitutionnellement garantis des dispositions de la loi sur la presse prohibant l’enregistrement, la fixation ou la transmission de la parole ou de l'image après l'ouverture de l'audience des juridictions administratives ou judiciaires, ainsi que leur cession ou leur publication.
Constatant que des exceptions avaient été aménagées par le législateur pour constituer des archives audiovisuelles de la justice (C. patr., art. L. 221-1 s., issus de la loi « Badinter » du 11 juill. 1985 et qui autorise la captation audiovisuelle intégrale des procès présentant un intérêt pour la « mémoire » de la justice) et, plus récemment, pour faciliter l’instruction des demandes de révision (C. pr. pén., art. 308, al. 2, , issu de la loi du 20 juin 2014, qui prévoit un enregistrement sonore des débats de la cour d’assises sous le contrôle du président), la Cour de cassation décidait qu’il appartenait au Conseil constitutionnel de « dire si la disposition critiquée, initialement instituée en vue de préserver la sérénité des débats devant les juridictions, protéger les droits des parties au procès et garantir l'autorité et l'impartialité de la justice, n'est pas devenue, au regard de l'évolution des techniques de communication, susceptible de constituer une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression et de communication ».
L’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prohibe, sous peine d’une amende de 4 500 euros et de la confiscation du matériel utilisé, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole, et ce dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives et judiciaires. Le texte permet seulement « des prises de vue quand les débats ne sont pas commencés et à la condition que les parties ou leurs représentants et le ministère public y consentent », et uniquement sur demande présentée au président avant l’audience.
Pour répondre à la question posée, qui interrogeait la conformité de ce texte à l’article 11 de la Déclaration de 1789 garantissant la liberté d’expression et de communication, en invoquant à la fois l’existence de nouveaux moyens de communication beaucoup plus « discrets » et le « droit du public de recevoir des informations d’intérêt général », le Conseil constitutionnel procède en trois temps.
Tout d’abord, il relève les objectifs poursuivis par le législateur à travers cette disposition : non seulement garantir la sérénité des débats et donc une bonne administration de la justice, mais encore protéger la vie privée des parties au procès et des personnes participant aux débats, la sécurité des acteurs judiciaires et, en matière pénale, la présomption d’innocence de la personne poursuivie (§ 7).
Ensuite, il répond à l’argument proposé par la demanderesse tenant à l’évolution des moyens de communication en rappelant la finalité de l’interdiction (empêcher non seulement la captation mais aussi – et surtout – la diffusion des images ou des enregistrements) et précisant que les nouvelles technologies, grâce à l’ampleur qu’elles peuvent conférer à la diffusion, accentuent au contraire les risques de porter atteinte aux intérêts protégés (§ 8).
Pour finir, il rappelle que le principe de publicité des audiences permet au public et aux journalistes d’y assister et d’en rendre compte (§ 9 ; sur ce point on rappellera que les comptes rendus fidèles faits de bonne foi des débats judiciaires sont couverts par une immunité qui protège leurs auteurs de poursuites pour diffamation, injure ou outrage, loi du 29 juill. 1881, art. 41, al. 3; en outre, les images résultant de la main de l’homme, donc les croquis, sont autorisés).
Le grief tiré de la violation de l’article 11 de la Déclaration de 1789 est donc écarté, dès lors que « l’atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui résulte des dispositions contestées est nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis » (§ 10), le Conseil constitutionnel écartant également le grief tiré de la violation du principe de nécessité des délits et des peines (ibid.).
L’argument tiré du droit du public de recevoir des informations, qui paraît placer les intérêts des destinataires des messages avant ceux de leurs émetteurs, n’avait pas mieux prospéré sur le terrain de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. En 2010, la chambre criminelle avait ainsi retenu, pour affirmer la conventionnalité de l’article en cause, que « si toute personne a droit à la liberté d'expression, et si le public a un intérêt légitime à recevoir des informations relatives aux procédures en matière pénale ainsi qu'au fonctionnement de la justice, l'exercice de ces libertés comporte des devoirs et des responsabilités et peut être soumis, comme dans le cas d'espèce, à des restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire » (Crim. 8 juin 2010, n° 09-87.526 ; V. aussi CEDH 21 sept. 2017, Axel Springer c/ Allemagne, n° 51405/12).
Ainsi, la décision du Conseil ne surprend guère. L’affaire Abderkader Merah et la diffusion par Paris Match de deux photographies prises lors du procès (pour laquelle était poursuivie l’auteure de la QPC) avaient, il est vrai, relancé le débat autour de la légitimité de l’interdiction de l’enregistrement et de la diffusion des images d’audience (V. Dalloz actualité, 13 nov. 2017, obs. J. Siber). On rappellera que la presse, pendant longtemps, a pu librement capter de telles images et que c’est pour lutter contre les « débordements » constatés que le législateur est intervenu par une loi du 6 décembre 1954 (ibid.). L’interdiction actuelle entraine un déficit d’images des procès qui peut sembler en décalage avec l’ère de l’ultra communication dans laquelle nous vivons, et la presse judiciaire revendique régulièrement l’évolution du droit sur cette question au nom du droit du public à l’information. En 2005, une commission avait proposé d’autoriser l’enregistrement puis la diffusion des audiences, à l’instar de ce qui se passe aux États-Unis ou au Royaume-Uni mais ces propositions n’ont jamais été suivies.
Cons. const. 6 déc. 2019, n° 2019-817 QPC
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 10. « Liberté d'expression. 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
■ Crim. 1er oct. 2019, no 19-81.769 : Dalloz Actualité, 8 oct. 2019, obs. A. Blocman ; Légipresse 2019. 521
■ Crim. 8 juin 2010, n° 09-87.526 P : D. 2010. 1791 ; Légipresse 2010. 268 et les obs. ; ibid. 423, comm. B. Ader ; RSC 2010. 943, obs. J.-F. Renucci
■ CEDH 21 sept. 2017, Axel Springer c/ Allemagne, n° 51405/12 : Dalloz actualité, 1er oct. 2017, obs. S. Lavric ; Constitutions 2012. 645, obs. D. de Bellescize ; RTD civ. 2012. 279, obs. J.-P. Marguénaud
■ Rapport de la Commission sur l’enregistrement et la diffusion des débats judiciaires, Ministère de la justice, 22 févr. 2005
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