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[ 8 octobre 2021 ] Imprimer

Introduction au droit

L’interprétation de la règle de droit : les techniques d’interprétation (épisode 3)

Pour résoudre les difficultés d’interprétation, le Code civil n’est d’aucune aide. En effet, s’il contient des principes d’interprétation des contrats (C. civ., art. 1188, anciens art. 1156 s.), il reste muet sur les modes d’interprétation de la règle de droit. Il faut donc recourir à la logique du raisonnement et plus largement, s’inspirer des différentes méthodes d’interprétation qui ont été proposées.

■ Le raisonnement logique

En cas de difficulté d’interprétation, l’interprète aura recours à la logique en faisant appel à plusieurs types de raisonnement : le raisonnement a pari ou par analogie, le  raisonnement a contrario, enfin, le raisonnement a fortiori.

● Le raisonnement a pari (par analogie)

Par ce raisonnement, on étend à ce que la loi a prévu pour une situation donnée à des situations semblables mais non prévues. Il est en effet logique de déduire l’inconnu du connu, dès lors que les situations en cause se révèlent identiques. C’est l’argument de la ratio legis : la raison d’être de la règle se retrouvant dans l’hypothèse pour laquelle on envisage une application de la règle, l’argument d’analogie se justifie. Par exemple, une règle interdit de se promener torse-nu en ville. A pari, il est interdit de se promener entièrement nu en ville. Autre exemple, un film est présenté comme étant interdit aux adolescents de moins de 16 ans. A pari, il est interdit de le diffuser aux enfants.

● Le raisonnement a contrario

La règle interprétée a contrario suppose de retenir l’inverse de ce que cette règle prévoit, dès lors que les conditions de son application ne sont pas remplies. En cas d’interprétation a contrario, on considère que lorsque le texte dit quelque chose, il est censé nier le contraire (qui dicit de uno negat de altero). Quand un objet est inclus dans une règle de droit, son contraire en est exclu (inclusione unius fit exclusione alterius). Par exemple, on peut déduire a contrario de l’article 6 du Code civil, selon lequel on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs, qu’il est possible de déroger par convention aux lois qui ne sont pas d’ordre public et qui ne portent pas atteinte aux bonnes mœurs. 

Cet exemple montre que le raisonnement a contrario trouve essentiellement à s’appliquer dans les cas où la règle à interpréter pose une interdiction ou contient une exception, les deux pouvant d’ailleurs se confondre dès lors que dans une société libérale comme la nôtre, l’interdiction se présente toujours comme une exception. L’interprétation a contrario de la règle repose ainsi sur l’idée que tout ce qui n’est pas défendu est permis. Cette idée est d’ailleurs soutenue par la maxime d’interprétation « exceptio est strictissimae interpretationis » (les exceptions sont d’interprétation stricte), qui veut que les exceptions prévues par la loi soient étroitement enfermées dans les limites explicitement posées à son application : celles-ci ne doivent pas être étendues au-delà du cas expressément prévu par la loi. C’est la raison pour laquelle la doctrine traditionnelle ne reconnaît à l’argument a contrario un caractère concluant que s’il s’agit d’interpréter une règle exceptionnelle. En dehors de ces hypothèses, son application est plus hasardeuse. Ainsi, il serait faux de déduire de l’article 16 du Code civil, qui garantit le respect de la personne dès le commencement de sa vie et durant toute sa vie, que la protection légale cesse, a contrario, à la mort de la personne. Ainsi, le raisonnement a contrario se prête mal aux règles prévoyant un principe général. 

● Le raisonnement a fortiori

Ce dernier type de raisonnement permet d’étendre la règle à un cas non prévu par elle (identité sur ce point avec le raisonnement a pari) parce que la raison d’être de la règle se retrouve avec plus de force encore dans le cas non prévu par le texte. Exemples :

– il est interdit de blesser ; a fortiori, il est interdit de tuer ;

– un hôtel interdit de séjourner dans son établissement avec un animal domestique. A fortiori, il est interdit d’y séjourner en compagnie d’un animal sauvage.

La question qui se pose est de savoir comment choisir entre ces différents raisonnements. En vérité, il n’y a pas de règle absolue. 

Choisir le raisonnement a pari revient à privilégier la ressemblance entre la situation envisagée et celle expressément prévue par la règle considérée. 

Choisir le raisonnement a fortiori revient également à retenir cette proximité. 

Choisir le raisonnement a contrario revient au contraire à tenir compte de la différence entre la situation envisagée et celle prévue par la règle. 

Concrètement, le juge pourra choisir l’un ou l’autre de ces raisonnements en fonction des circonstances propres à l’espèce considérée. Cela étant, le maniement de ces différents raisonnements demande de la prudence et de l’habileté : en effet, il arrive que pour une même situation, plusieurs types de raisonnements soient possibles, et de surcroît, qu’ils conduisent à des solutions contraires. Reprenons le dernier exemple : un hôtel interdit de séjourner dans son établissement avec un animal domestique ;  je décide d’y séjourner avec un animal sauvage ; en ai-je le droit ? En théorie, le raisonnement a contrario comme le raisonnement a fortiori sont ici possibles mais en pratique, il va de soi que l’argument a contrario, qui autorise un client à séjourner dans l’hôtel avec son animal sauvage, convainc moins que l’argument a fortiori. Il est ici finalement question de bon sens. Mais dans d’autres hypothèses, le choix se révèle moins simple. Par exemple, si la loi interdit aux personnes sous tutelle de vendre seules les biens leur appartenant ; leur interdit-elle également de donner leurs biens ? Si l’argument a contrario commande une réponse négative, le raisonnement a fortiori n’emporte pas de conclusion évidente. Pour être sûr de la solution à apporter, il faudrait en fait identifier précisément la raison d’être de cette interdiction de contracter, pour déterminer si elle ne vaut que pour les contrats à titre onéreux, ou si elle doit également inclure les contrats gratuits en sorte de protéger au mieux l’incapable. Dans cette perspective, il convient finalement de rechercher l’intention du législateur.

C’est dire que le seul recours aux règles logiques qui viennent d’être exposées est insuffisant. Le recours aux méthodes plus larges d’interprétation est également nécessaire.

■ Les méthodes d’interprétation

Pour résoudre les difficultés d’interprétation autrement que par le recours à certaines règles logiques, des écoles sont nées pour proposer, à cette fin, une méthodologie. Il existe plusieurs méthodes d’interprétation, laissées au libre choix des juges. Celles-ci doivent être chronologiquement présentées dans cet ordre : la méthode exégétique, la méthode téléologique, et la méthode créatrice.

● La méthode exégétique

Parmi les différentes méthodes d’interprétation possibles, la méthode exégétique est la plus classique. L’attachement au texte est ici essentiel. Elle s’impose au XIXe siècle, à l’ère du culte de la loi, promu par les révolutionnaires et accru par l’entreprise de codification. Ainsi, à cette époque, on pensait que l’essentiel des problèmes d’interprétation pouvait être réglé par la lecture attentive, grammaticale et logique, du code, censé avoir tout prévu. La loi, surestimée, était vue comme le seul moyen de résoudre les difficultés.

L’école exégétique impose alors à l’interprète de s’en tenir au sens littéral du texte, en recherchant la volonté de son auteur, d’où le caractère psychologique attribué à cette méthode.

Dans cette perspective, la référence aux précédents historiques, la consultation des travaux préparatoires d’une loi, la lecture de l’exposé des motifs d’un texte, se révèlent souvent nécessaires. Si ces textes ne sont pas suffisamment significatifs, il est encore possible de prendre appui soit sur des textes se référant à celui qu’il convient d’interpréter, soit sur l’état du droit antérieur dont on peut présumer, en cas de doute, qu’il aura été naturellement reconduit par le législateur actuel.

Enfin, en l’absence de texte précédant et éclairant celui à interpréter, l’interprète pourra se servir de procédés psychologiques et logiques. D’une part, il pourra soupeser les conséquences du texte pour exclure celles que le législateur n’aurait très probablement jamais souhaitées ou envisagées. D’autre part, il pourra mettre en œuvre le procédé d’induction et de déduction : à partir des solutions particulières données par le législateur dans un certain nombre de cas, sera induit un principe général qui, une fois dégagé, pourra faire l’objet de nouvelles applications particulières. 

Si elle connut un succès certain, cette méthode montra néanmoins ses limites.

D’une part, elle est tenue en échec par l’adage « Cessante ratione legis, cessat ejus dispositio » : une loi ne doit pas être appliquée à des cas qui, à la lettre, paraissent inclus dans ses dispositions, mais qui contredisent son esprit. Ainsi admet-on qu’en dépit de la généralité des termes de l’article 2232 du Code civil, la prescription extinctive des actions réelles et personnelles ne s’applique pas à l’action en revendication de la propriété immobilière, considérée comme imprescriptible.

D’autre part, cette méthode, centrée sur la recherche de la volonté présumée de l’auteur originel de la règle, présente le danger d’être artificielle, voire divinatoire, notamment lorsque le texte est ancien car l’auteur de l’époque ne pouvait de toute façon pas envisager les cas nouveaux inexistants et imprévisibles au moment où il adoptait le texte.

Une méthodologie reposant essentiellement sur ce que l’auteur du texte a réellement voulu dire, envisager, anticiper, soupeser, est donc fragile. C’est la raison pour laquelle la méthode téléologique fut également proposée.

 La méthode téléologique

Selon cette méthode, si l’intention de l’auteur continue d’être recherchée, elle l’est de façon plus ouverte et libre que la méthode précédente. Pour tenir de la limite précédemment évoquée tirée de la référence à ce que l’auteur de la règle n’avait pu envisager des cas inenvisageables à l’époque de sa rédaction, il convient d’adopter une conception plus large de l’intention de l’auteur, en se référant non plus à ce qu’il avait effectivement à l’esprit, mais à l’objectif qu’il poursuivait en posant la règle, son but. Cette méthode laisse naturellement plus de liberté à l’interprète que la méthode exégétique, ne serait-ce que parce que l’interprète dispose en général d’une certaine latitude pour définir ce but, et donc le résultat auquel va conduire l’interprétation. La recherche est centrée sur la finalité de la règle, son but social. L’esprit du texte domine sa lettre. On explique un texte par ses objectifs à l’aune des finalités générales et actuelles recherchées par le corps de règles dans lequel il s’insère.

Par exemple, l’article 525 du Code civil dresse une liste de biens mobiliers susceptibles de devenir des « immeubles par destination » ; or, dans cette liste, se trouvent énumérés des biens propres à une société agricole et rurale désormais dépassée. Alors comment déterminer le but du législateur lorsqu’il a adopté ce texte ? A-t-il voulu viser uniquement des biens agricoles ? Ou a-t-il plus largement entendu cibler les biens (industriels par exemple) susceptibles d’être utiles à l’exploitation d’un fonds ?

● La méthode créatrice

Cette méthode est principalement attribuée à François Gény. En 1889, il publie un ouvrage qui fonde, en réaction aux défauts de la méthode exégétique, l’École de la libre recherche scientifique : Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif. Dans cet ouvrage, l’auteur propose une méthode ouvertement créatrice qui autorise l’interprète à prendre certaines libertés par rapport au texte stricto sensu, l’essentiel étant de proposer, à partir du texte, une solution adaptée aux besoins du moment.

Il s’agit d’une évolution sans révolution : la recherche de la volonté de l’auteur du texte demeure inchangée. Simplement, cette recherche doit conduire à rechercher quelle serait son intention s’il avait à légiférer aujourd’hui. Concrètement, lorsque le texte manque de clarté, son interprète est autorisé à l’adapter aux circonstances et nécessités actuelles. Un même texte pourra donc recevoir des sens différents selon le moment de son application, et même éventuellement un sens opposé à son sens littéral. 

Lorsque la situation envisagée est parfaitement nouvelle, l’interprète, principalement le juge, a même le droit de créer une règle à partir du texte lui-même, empruntant ainsi à la figure du législateur, tout en étant autorisé à tenir compte de considérations d’opportunité, d’équité.

Libre, cette création normative est néanmoins scientifique, dans la mesure où l’élaboration de la règle créée à partir du texte doit reposer sur des données rationnelles, historiques, économiques ou sociales. Dans ce cadre, le travail de l’interprète consiste finalement à apprécier les conséquences de son interprétation, et même son opportunité, sur la base de données non plus seulement économiques et sociales mais également philosophiques, morales, religieuses, etc.

On parle aussi parfois, en référence à Saleilles qui a rédigé la préface de l’ouvrage, d’École historique ou évolutive. Cette méthode, proche de celle de Gény, met l’accent sur la nécessité d’adapter le texte aux réalités et aux nécessités sociales de l’époque. En revanche, elle offre moins de liberté avec les textes, l’interprète étant tenu de rechercher ce que serait la volonté de l’auteur du texte s’il avait à l’adopter aujourd’hui. Ainsi, à l’ère du machinisme, le principe général de responsabilité du fait des choses a été dégagé par le juge à partir de l’ancien article 1384 alinéa 1er du Code civil (C. civ., art. 1242 nouv.) pour indemniser les victimes d’accidents causés par des machines. Aussi bien, l’article 2276 du Code civil, selon lequel « En fait de meubles, la possession vaut titre », s’il n’incluait à l’origine que les meubles meublants, a dû par la suite intégrer en son sein les meubles que constituent les valeurs mobilières, nées après l’édiction du Code civil.

En conclusion, si les règles logiques en premier lieu présentées permettent de résoudre certaines difficultés d’interprétation, elles ne suffisent cependant pas à les résoudre dans leur intégralité. Cela est d’autant plus vrai que, ainsi qu’il a été vu, il existe parfois plusieurs raisonnements possibles. C’est la raison pour laquelle à ceux-ci doivent être adjoints des approches plus larges et méthodiques d’interprétation, étant précisé que le choix du raisonnement va lui-même dépendre de l’approche de l’interprétation, c’est-à-dire de la méthode adoptée. En effet, plusieurs méthodes existent voire coexistent, aucune n’étant exclusive d’une autre : en effet, aucune ne s’impose au juge. En revanche, chacune exerce une influence, variable, sur son pouvoir créateur, la méthode exégétique étant, sur ce point, la plus restrictive.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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