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Procédure civile
L’interprétation du jugement
Mots-clefs : Jugement, Interprétation, Conditions, Juge compétent, Pouvoirs du juge, Pouvoir souverain, Limites
Si les juges ne peuvent, sous prétexte d'interpréter leur décision, en modifier les dispositions précises, il leur appartient néanmoins d'en fixer le sens lorsqu'elles donnent lieu à des lectures différentes.
Par jugement confirmé en appel, une société immobilière avait été condamnée à régulariser au profit d’une SCI un acte de vente portant sur un bien immobilier dépendant d’une copropriété et à payer à cette dernière une indemnité de non-jouissance égale à 4 % du prix d'acquisition à compter d’une certaine date, et jusqu'au jour où elle eut pu prendre possession des biens acquis. Par la suite, le syndicat des copropriétaires avait, par divers actes, assigné la SCI et la société immobilière en paiement de diverses sommes au titre des charges de copropriété. Et dans le cadre de cette procédure, la société immobilière avait sollicité la condamnation de la SCI au paiement de la somme correspondant au prix de vente de l'immeuble et la SCI la compensation avec ses propres créances sur la société immobilière.
En appel, les juges avaient fixé la créance de la SCI à la somme de 121 300 euros, au titre de l'indemnité de non-jouissance.
A l’appui du pourvoi principal formé contre cette décision, la société immobilière soutenait que le juge, lorsqu’il est saisi d'une contestation relative à l'interprétation d'une précédente décision, ne peut, sous le prétexte d'en déterminer le sens, apporter une quelconque modification à cette dernière, en modifiant les droits et obligations qu'il a reconnus aux parties ; or les premiers juges l’ayant condamnée à payer à la SCI une indemnité de non-jouissance égale à 4 % du prix d'acquisition selon une méthode forfaitaire, la cour d’appel n’était pas en droit, sous couvert d'interprétation, de décider que le taux de 4 % du prix de vente devait s'appliquer par année de non-jouissance du bien, alors que cela n'était prévu ni par le jugement ni par l'arrêt l’ayant confirmé.
Selon la demanderesse au pourvoi, la cour d'appel aurait donc, sous couvert d'interprétation, modifié le sens de la décision précédemment rendue, attentant ainsi à la règle de l’autorité de la chose jugée. Le moyen est jugé infondé par la Cour. Rappelant le principe selon lequel les juges ne peuvent, sous prétexte d'interpréter leur décision, en modifier les dispositions précises, la troisième chambre civile précise qu’il leur appartient néanmoins d'en fixer le sens lorsqu'elles donnent lieu à des lectures différentes. Or, en relevant qu'il convenait de déterminer si le taux de 4 % fixé par le jugement définitif du tribunal de commerce était un taux forfaitaire ou devant s'appliquer par année de non-jouissance, c'est à bon droit que la cour d'appel a procédé à son interprétation.
Si l’on pourrait souhaiter que les termes de l’ensemble des décisions de justice soient clairs et limpides, certaines d’entre elles contiennent pourtant des termes obscurs, ambivalents ou bien révèlent une divergence d’interprétation entre les parties au litige sur le sens ou la portée exacts de ce qui a été jugé. Or, « il appartient à tout juge d’interpréter sa décision » (C. pr. civ., art. 461). Par principe, ce devoir d’interprétation incombe donc au juge ayant lui-même rendu la décision dont la clarification est sollicitée. Cependant, lorsque la décision est ambiguë, comme en l’espèce, l’article 461 du Code de procédure civile prévoit la compétence de la cour d’appel pour interpréter, c’est-à-dire préciser le sens et la portée exacts des termes contenus dans la décision des premiers juges.
Par principe, la Cour de cassation considère que les juges disposent d’un pouvoir souverain pour juger de la nécessité d’interpréter, c’est-à-dire d’apprécier le caractère obscur ou ambigu d’une disposition du jugement (Com., 7 oct. 1981, n° 79-16.416). Aussi bien les juges apprécient-ils souverainement le sens qu’il convient de donner aux termes du jugement (Civ. 2e, 2 déc. 1992, n° 91-14.411). S’il doit déceler et faire ressortir ce qu’entendait le juge dont la décision mérite d’être clarifiée, le juge saisi d'une requête en interprétation doit cependant veiller à ne pas en modifier ou en trahir le contenu. Ainsi est-il contraint, selon une jurisprudence constante que rappelle ici la Cour, de respecter les dispositions précises de la décision soumise à son interprétation (V. notam. Civ. 1re, 30 mars 1965, n° 63-10.370). Le rôle du juge se borne à éclairer les seules dispositions sujettes à interprétation. Les modifications interdites sont plurielles. Tout d’abord, le juge ne saurait, à l’occasion de son interprétation de la décision, ajouter, retrancher ou substituer des éléments nouveaux, par exemple en ajoutant des intérêts à une condamnation civile (Civ. 1re, 16 nov. 1982). Ensuite, le juge ne peut recevoir de nouveaux arguments ou déclarer, à l’occasion d’une requête en interprétation, de nouvelles demandes incidentes (Civ. 3e, 16 janv. 1969). Enfin, et plus généralement, le juge ne peut déduire de la décision interprétée des conséquences juridiques nouvelles pour les parties au litige qui reviendraient à modifier leurs droits et obligations, tels qu'ils résultent de la décision précédemment rendue.
L’auteur du pourvoi avait d’ailleurs en vain tenté d’invoquer la méconnaissance par les juges de cette interdiction de modifier la décision interprétée, laquelle se justifie par le respect des règles du dessaisissement et de l’autorité de la chose jugée. Or en principe, l’interprétation n’est précisément pas vue comme une exception au principe du dessaisissement dès lors qu’elle ne permet pas au juge de modifier sa décision en portant atteinte à l’autorité de la chose jugée (Civ., 15 juill. 1902).
Civ. 3e, 2 juin 2015, n° 14-15.043
Références
■ Code de procédure civile
Article 461
« Il appartient à tout juge d'interpréter sa décision si elle n'est pas frappée d'appel.
La demande en interprétation est formée par simple requête de l'une des parties ou par requête commune. Le juge se prononce les parties entendues ou appelées. »
■ Com., 7 oct. 1981, n° 79-16.416, Bull. civ. IV, n° 349
■ Civ. 2e, 2 déc. 1992, n° 91-14.411, Bull. civ., II, n°295
■ Civ. 1re, 30 mars 1965, n° 63-10.370, Bull. civ. I, n° 231
■ Civ. 1re, 16 nov. 1982, n° 81-13.817, Bull. civ., I, n° 329
■ Civ. 3e, 16 janv. 1969fileadmin/actualites/pdfs/09_2015/16_janv._1969.pdf, Bull. civ. II, n° 49
■ Civ., 15 juill. 1902, S. 1902, 1.162
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