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Droit des obligations
Liquidation judiciaire : pas de nullité pour dol de la cession de gré à gré
Mots-clefs : Liquidation judiciaire, Cession de gré à gré, Réalisation des actifs, Juge-commissaire, Autorisation, Autorité de justice, Vice du consentement, Dol (non)
La vente de gré à gré des actifs du débiteur placé en liquidation judiciaire, vente faite d'autorité de justice, ne peut faire l'objet d'une nullité pour dol.
En cas de procédure collective, la nature juridictionnelle de l'ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente de gré à gré empêche celle-ci d’être annulée pour dol. Tel est l’enseignement à tirer de la décision rapportée.
En l’espèce, dans le cadre de la liquidation judiciaire d'une société, le juge-commissaire avait autorisé par ordonnance le liquidateur à céder des éléments d’actifs du fonds de commerce de la société à liquider au profit d'un cessionnaire. Par cette cession opérée de gré à gré, le cédant avait décidé qu’en sus du prix, le cessionnaire s'engageait à reconstituer le dépôt de garantie dû au bailleur des locaux servant à l'exploitation du fonds et au paiement de loyers échus depuis le jugement d'ouverture. Reprochant au cessionnaire de ne pas avoir respecté ses engagements, le liquidateur l’avait assigné en résolution de la vente et en paiement de dommages et intérêts. A titre reconventionnel, le cessionnaire avait, quant à lui, demandé la nullité de la cession pour dol, reprochant au liquidateur de lui avoir sciemment fourni des informations comptables qu'il savait erronées sur le montant du chiffre d'affaires et de ne pas avoir, volontairement, appelé son attention sur l’absence de clientèle attachée au fonds de commerce. En appel, après avoir caractérisé l'existence d'un dol par réticence, les juges prononcèrent la nullité de la cession, retenant que s'agissant d'une vente autorisée par le juge-commissaire, le cessionnaire pouvait invoquer un vice du consentement.
À la suite d'un pourvoi formé par le liquidateur judiciaire, cette décision est cassée au visa des articles L. 642-19 du Code de commerce et des articles 1109 et 1116 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à la réforme du droit des obligations. Pour la chambre commerciale de la Cour de cassation, « la cession de gré à gré des actifs du débiteur en liquidation judiciaire, qui doit être autorisée par le juge-commissaire aux prix et conditions qu'il détermine, est une vente faite d'autorité de justice qui ne peut être annulée pour dol ». Il en résulte que « si le cessionnaire qui se prétend victime d'un dol commis par le liquidateur peut rechercher la responsabilité personnelle de ce dernier, il ne peut pas, sur le fondement de ce vice du consentement, agir en nullité de la cession ainsi autorisée » en sorte que la cour d’appel ne pouvait, sans violer le premier des textes précités, annuler pour dol la cession litigieuse d’un actif mobilier isolé autorisée par le juge-commissaire.
Lorsqu’une société est placée en liquidation judiciaire, un juge-commissaire décide seul des modalités de réalisation des actifs de cette société. Concernant les biens meubles de celle-ci, le juge-commissaire peut choisir d'autoriser une vente de gré à gré (C. com., art. L. 642-19), choix qui sera, en pratique, opéré lorsque le liquidateur judiciaire de la société reçoit des offres d'acquisition de certains biens du débiteur. Bien qu’elle soit communément qualifiée de vente de gré à gré, cette cession, mode de réalisation des actifs de la société débitrice, présente un caractère judiciaire. L'ordonnance du juge-commissaire ordonnant la vente revêt en effet une nature juridictionnelle : ainsi impose-t-il par ordonnance au débiteur la cession d'un élément de son actif. La vente de gré à gré est donc parfaite dès l'ordonnance du juge-commissaire, avant même que l'acte de vente ne soit dressé (Com. 7 sept. 2010, n° 09-66.284). Elle ne naît donc pas d'un accord de volontés mais de l'ordonnance du juge-commissaire choisissant une offre d'achat. Finalement, seul l'auteur de l'offre manifeste sa volonté de se porter acquéreur d'un bien tel que le liquidateur le lui aura présenté à la vente. En raison de sa nature juridictionnelle, il est d’ailleurs interdit au juge-commissaire de modifier son ordonnance une fois qu'il l’aura rendue.
La question posée dans cette affaire était de savoir si le caractère judiciaire de son ordonnance empêche l’éventuel vice du consentement entachant la volonté d’un offrant d’obtenir la nullité de cette vente spécifique ? La réponse de la Cour est sans appel, et sans surprise : la réalisation des actifs du débiteur, même cédés de gré à gré, prenant la forme d’une vente faite d'autorité de justice, ne peut être annulée, même dans le cas où elle serait entachée d’un vice du consentement (V. Civ. 3e, 6 oct. 2010, n° 09-66.683. Com. 16 juin 2004, n° 01-17.185). La qualification donnée par la Cour de « vente faite d’autorité de justice » ne semble pas prêter à discussion (V. contra, M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives : Dalloz Action, 2017-2018, n° 563.46) : la vente de gré à gré doit être autorisée par le juge-commissaire (C. com., art. L. 642-19), aux prix et conditions qu’il déterminée. Le consentement du débiteur en liquidation n'a pas à être obtenu ; la vente résulte seulement de l’autorisation donnée par le juge-commissaire au liquidateur de vendre à la personne ayant formulé la meilleure offre. Si l’objectif d’efficacité de la procédure collective dont dépend la réalisation effective des actifs, sans que celle-ci ne puisse être trop facilement remise en cause, justifie la solution, l’exclusion de principe de l’annulation de la cession pour vice du consentement peut néanmoins être contestée.
En effet, si la Cour motive plus précisément sa position (V .moyens annexes) par le fait ce type de vente, conclue dans l’hypothèse spécifique d’une procédure de liquidation judiciaire, constitue une vente par autorité de justice dont le caractère forfaitaire implique l’existence d’un aléa exclusif de l’application du droit commun de la vente et, en particulier, de la théorie des vices du consentement comme, d’ailleurs, de la rescision pour lésion (Civ. 3e, 6 oct. 2010, n° 09-66.683. Com., 16 juin 2004, n° 01-17.185 ), encore faudrait-il que cet aléa, pour exclure par principe l’annulation de la cession, soit apprécié au regard du degré d’insincérité des informations divulguées ou retenues. En l’espèce, le liquidateur savait pertinemment la fausseté des informations comptables et l’improbabilité du chiffre d’affaires, qu’il avait de surcroît communiquées au cessionnaire sans aucune réserve. Or s’il est concevable d’admettre qu’un offrant accepte de prendre une part de risque en procédant au rachat des actifs du débiteur placé en liquidation, accepter de le voir contraint de contracter dans de telles conditions, auxquelles il ne peut consentir, peut toutefois être jugé excessif.
Ainsi, de manière plus mesurée, dans un arrêt rendu le 27 novembre 2012 (Com. 27 nov. 2012, n° 11-24.822), la chambre commerciale de la Cour de cassation avait rejeté le pourvoi formé par le cessionnaire d'un fonds de commerce, agissant en réduction du prix de vente du fonds de commerce en considérant que « le cessionnaire avait été parfaitement informé, dès avant la signature de l'offre, par le liquidateur des incertitudes relatives à l'obtention des agréments ou autorisations administratives relatives au fonds de commerce cédé ». Cela étant, vouloir réduire, dans le cas d’une procédure collective, les moyens de remettre en cause les ventes d’actifs du débiteur se comprend d’autant plus aisément qu’en pratique, l’annulation impliquerait des restitutions, concrètement une obligation de rembourser le cessionnaire dont la réalisation se révèlerait bien trop complexe. C’est la raison pour laquelle, bien que la Haute cour n’ait à notre connaissance rendu aucune décision en ce sens, l’annulation d’une telle cession pour erreur, qui ne serait pas provoquée mais spontanément commise par le cessionnaire, pourrait d’autant moins être recherchée (Contra, admettant le principe d'une nullité pour erreur, sans le retenir en l'espèce, Orléans, 14 mars 2013, n° 12/02157. Bordeaux, 10 avr. 2013, n° 11/06724) ce qui sacrifierait bien plus franchement les intérêts du cessionnaire qui ne pourrait alors plus, dans ce cas, bénéficier de la solution alternative que lui réserve ici la Cour, celle de rechercher la responsabilité personnelle du liquidateur judiciaire en raison du dol qu'il a commis puisque ce vice du consentement, contrairement au dol ou à la violence qui par leur intentionnalité, sont qualifiés de délits civils susceptibles de justifier, outre la nullité du contrat, l’octroi de dommages intérêts à leurs victimes, ne peut conduire qu’à l’annulation du contrat.
Références
■ Com. 7 sept. 2010, n° 09-66.284, D. 2010. 2060, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2010. 796, obs. J.-L. Vallens.
■ Civ. 3e, 6 oct. 2010, n° 09-66.683, D. 2010. 2429 ; AJDI 2011. 727, obs. F. Cohet-Cordey.
■ Com. 16 juin 2004, n° 01-17.185, D. 2004. 2045.
■ Com. 27 nov. 2012, n° 11-24.822.
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