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[ 15 juin 2018 ] Imprimer

Droit des obligations

L’obligation de sécurité de l’entraîneur au combat de lutte

L’activité physique étant génératrice de dommage corporel, la jurisprudence a introduit une obligation de sécurité dans les contrats conclus entre sportifs, clubs et associations. Cette obligation revêt une intensité différente selon l’activité concernée : elle peut être de résultat, de moyens ou même de moyens renforcée. L’arrêt du 16 mai 2018 permet de revenir sur cette graduation.

Au cours d’un combat de lutte, l’un des participants devient tétraplégique à la suite d’une prise effectuée par son adversaire. Ses parents assignent alors l’association organisatrice de l’évènement, le club de lutte auquel elle est rattachée, ainsi que leurs assureurs respectifs aux fins de réparation du préjudice corporel subi.

La cour d’appel les condamne in solidum : le juges du fond relèvent en effet que l’entraineur, compte tenu des circonstances, devait faire preuve d’une vigilance particulière et n’a pas eu la réaction appropriée face à la prise effectuée. En effet, il aurait dû ordonner au participant de lâcher son adversaire, voire arrêter immédiatement le combat. Par conséquent, la responsabilité contractuelle de l’association sportive est engagée.

Les assureurs forment un pourvoi en cassation.

A l’appui de ce dernier, ils font valoir non seulement, que les centres et clubs sportifs ne sont tenus que d’une simple obligation de sécurité de moyens, mais encore, qu’aucune faute de jeu n’a été relevée. Par ailleurs, la qualité de néophyte du sportif est discutée par les requérants puisque, finaliste du combat, il avait déjà triomphé de ses précédents adversaires et avait pratiqué, auparavant, le Full contact.

De tels arguments auraient pu prospérer. 

En effet, s’agissant de la qualification de l’obligation de sécurité, la jurisprudence retient notamment comme critère le rôle joué par le créancier dans l’exécution de l’obligation : lorsqu’il est passif, l’obligation de sécurité pesant sur le moniteur est de résultat (pour une activité de parapente ; Civ. 1re, 21 oct. 1997, n° 95-18.558 ou de saut à l’élastique ; Civ. 1re, 30 nov. 2016, n° 15-25.249). Ceci s’explique notamment par le fait que le participant ne dispose d’aucun moyen pour assurer sa propre sécurité et s’en remet entièrement à l’organisateur pour ce faire. En cas de dommage, la responsabilité de l’entraineur sera alors engagée de plein droit, sans faute de sa part. En revanche, lorsque le créancier tient un rôle actif, il conserve une autonomie d’action et un pouvoir d’initiative. L’obligation de sécurité qui pèse sur l’organisateur de l’activité n’est alors que de moyens et c’est le sportif blessé qui supporte la charge de la preuve (pour une activité de gymnastique : Civ 1re21 nov. 1995, n° 94-11.294, ou de karting : Civ 1re, 1er déc. 1999, n° 97-20.207).

Dans le cadre d’une activité de lutte, les participants jouent un rôle actif au cours du combat. Il était donc légitime de penser que les juges retiendraient, dans cette espèce, une simple obligation de sécurité de moyens. 

Toutefois, retenir une telle analyse conduit à négliger une autre sous-division particulière.

En effet, dans le cadre des activités sportives « à risque », la jurisprudence distingue selon que l’entraineur encadre un adhérant expérimenté ou un simple débutant (Civ 1re16 oct. 2001, n° 99-18.221). Dans cette dernière hypothèse, l’obligation de sécurité de moyens est « renforcée » : le manquement de l’entraineur est alors présumée et il ne pourra se dégager de sa responsabilité qu’en démontrant son absence de faute (V. sur ce point : VIAL, Associations sportives et sécurité : des obligations à géométrie variable, Juris association 2006, n° 333, p. 14).

S’appuyant sur cette subdivision des obligations de moyens, les demandeurs au pourvoi soutiennent que le lutteur n’était pas un amateur puisqu’il s’agit d’un adepte au sport de combat (pratiquant auparavant le full contact) qui, malgré son gabarit, est arrivé à se hisser en finale. Ils rappellent également qu’aucune règle de jeu (mise en place justement dans le but d’assurer la sécurité physique des lutteurs) n’a été enfreinte : le combat se déroulant dans des conditions normales d’entrainement. Dès lors l’entraineur n’avait pas raison d’ordonner son arrêt immédiat et n’avait commis, aucune faute.

Cet argument n’a pas emporté l’adhésion des juges.

En effet, après avoir rappelé que la lutte est un sport dangereux, la cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, relève qu’il existe une différence de gabarit entre les deux participants. Encore et surtout, elle retient que le combat opposait un lutteur chevronné à un néophyte qui ne pratiquait ce sport que depuis quelques mois. Cette qualité d’amateur le « prive de la possibilité d’adopter une réaction appropriée à l’action de son adversaire ». Par conséquent, il appartenait à l’entraineur, plus expérimenté, de substituer son analyse à celle du débutant. Ainsi, et alors même qu’aucune règle de jeu n’était transgressée, il se devait, face à une telle saisie dont il connaissait la dangerosité, d’intervenir en stoppant le combat ou en ordonnant à l’adversaire de lâcher sa prise.

L’analyse de la Cour de cassation, qui conduit à accroitre le degré d’intensité d’une telle obligation dans les sports à risque, ne peut que convaincre : le débutant n’est pas à même, en raison de sa courte expérience, d’adopter les réactions appropriés face aux dangers d’une telle pratique. L’entraineur se doit d’être vigilant et d’intervenir en ses lieux et places si nécessaire. Dans l’arrêt, il lui est justement reproché de n’avoir pas adopté la réaction qui s’imposait. Sa négligence étant à l’origine du dommage subi par le lutteur, sa responsabilité est engagée. Tenu d’une véritable obligation de sécurité  de moyens renforcée, le seul respect des règles de jeu est insuffisant à écarter toute faute de sa part. 

On ne peut qu’approuver cette solution : le lutteur débutant n’est pas totalement passif et lui imposer, dans ce cas, une obligation de résultat alourdirait considérablement les primes d’assurance et, par voie de conséquence, le coût de l’activité. Sa sécurité reste tout de même assurée par l’entraineur qui se doit de redoubler de vigilance et intervenir si nécessaire, sans s’en tenir au simple respect des règles de jeu.

Civ. 1re, 16 mai 2018, n° 17-17.904

Références

■ Civ. 1re, 21 oct. 1997, n° 95-18.558 P: D. 1998. 271, note P. Brun ; ibid. 199, obs. P. Jourdain ; ibid. 1999. 85, obs. A. Lacabarats ; RTD civ. 1998. 116, obs. P. Jourdain.

■ Civ. 1re, 30 nov. 2016, n° 15-25.249 P: Dalloz Actu Étudiant, 15 déc. 2016 ;  D. 2017. 198, note D. Mazeaud ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz.

■ Civ 1re, 21 nov. 1995, n° 94-11.294 P : D. 1996. 6 ; RTD civ. 1996. 632, obs. P. Jourdain.

■ Civ 1re, 1er déc. 1999, n° 97-20.207 P : D. 2000. 287, note J. Mouly.

■ Civ 1re, 16 oct. 2001, n° 99-18.221 P : D. 2002. 2711, et les obs., obs. A. Lacabarats ; RTD civ. 2002. 107, obs. P. Jourdain.

 

Auteur :Lisa Vernhes


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