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[ 3 mai 2016 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

L’obligation d’interprétation conforme du droit de l’Union l’emporte sur le principe de sécurité juridique

Mots-clefs : Primauté, Interprétation conforme, PGD, Non-discrimination, Responsabilité de l’État, Sécurité juridique, Confiance légitime

Le juge national a l’obligation de recourir à l’interprétation conforme, y compris en écartant une jurisprudence nationale consolidée contraire au droit de l’Union. Les principes généraux du droit de sécurité juridique et de confiance légitime ne constituent pas un obstacle à la mise en œuvre de cette interprétation. Dans ces circonstances, l’engagement de la responsabilité de l’État ne peut pas être privilégié comme une voie alternative pour satisfaire les demandes du requérant.

La Cour de justice est amenée une nouvelle fois à rappeler les obligations du juge national en matière de mise en œuvre du droit de l’Union dans le cas où un particulier souhaite notamment invoquer une directive dans un litige horizontal, c’est-à-dire contre un autre particulier. Au-delà des obligations, la Cour de justice rappelle l’articulation des différents instruments à disposition du juge national pour garantir l’effectivité du droit de l’Union.

Une nouvelle fois, c’est l’application de la directive 2000/78 sur l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail qui concentre l’attention. Cette directive avait déjà été à l’origine des arrêts Mangold (CJUE 22 nov. 2005, n° C-144/04) et Kücükdeveci (CJUE 19 janv. 2010, n° C-555/07). Dans ces arrêts, la Cour avait reconnu expressément l’existence d’un principe général du droit en matière de non-discrimination en fonction de l’âge et la possibilité de s’appuyer sur la directive 2000/78 pour interpréter le contenu de ce principe général du droit lorsque celui-ci est invoqué dans un litige horizontal. 

Cet arrêt reprend largement les solutions antérieures tout en répondant plus spécifiquement au juge national par rapport à ses questions préjudicielles. Sur le fond de l’affaire, un employé était privé par la législation danoise du bénéfice d’une indemnité de licenciement dès lors que ce dernier pouvait prétendre dans le même temps à une pension de vieillesse due par l’employeur. Sa décision de rechercher par la suite un emploi n’était pas prise en considération pour le versement de la pension.

Avant de se prononcer sur le fond, la Cour a recherché si le principe pouvait s’appliquer à la situation en cause. La législation excluant toute une catégorie de travailleurs de l’accès à des indemnités de licenciement, la situation entre dans le champ d’application du principe.

Sur le fond, la Cour était principalement saisie pour déterminer si le principe général du droit pouvait être écarté en raison de l’application des principes généraux du droit de sécurité juridique et de confiance légitime. La Cour de justice rappelle logiquement que l’obligation du juge national est de garantir la pleine effectivité du droit de l’Union. La Cour précise toutefois que cette obligation se heurte à l’absence d’effet direct horizontal des directives, le juge ayant l’obligation préalable de recourir à l’interprétation conforme dans l’hypothèse d’un litige entre particuliers (CJUE 24 janv. 2012, Maribel Dominguez, n° C-282/10). L’interprétation conforme connaît également certaines limites que sont l’interprétation contra legem et la violation des principes généraux du droit. Or la sécurité juridique et la confiance légitime sont des principes généraux du droit tant au niveau communautaire qu’au niveau des États membres. 

En l’espèce, l’atteinte aux principes de sécurité juridique et de confiance juridique serait liée à une jurisprudence constante de la juridiction à l’origine du renvoi, jurisprudence qui serait contraire au principe général du droit de non-discrimination. La Cour de justice estime que dans ces conditions, la juridiction ne saurait valablement considérer qu’elle est dans l’impossibilité d’opérer une interprétation conforme ou alors d’écarter les dispositions nationales contraires. 

La Cour rappelle également le fait que ce principe général du droit de non-discrimination confère un droit subjectif aux particuliers invocables en tant que tels dans un litige entre particuliers obligeant le juge à en tirer les conséquences (CJUE 15 janv. 2014, AMS, n° C-176/12). Dès lors, une juridiction nationale ne peut s’appuyer sur les principes de sécurité juridique et de confiance légitime pour ne pas écarter une disposition nationale contraire au droit de l’Union, tant au regard des textes que de la jurisprudence de la Cour. Seules des circonstances exceptionnelles peuvent limiter la portée d’un arrêt de la Cour de justice en renvoi préjudiciel en interprétation. Cette situation est envisageable lorsqu’il y a un risque de troubles graves à l’égard des relations juridiques déjà établies  de bonne foi (CJCE 8 avr. 1976, Defrenne, n° 43/75). Cependant, n’entrent pas dans ce champ les conséquences financières que peut entraîner l’arrêt (CJCE 31 mars 1992, Dansk Denkavit, n° C-200/90).

Parallèlement, la Cour précise que si un particulier a un droit à réparation en engageant la responsabilité de l’État pour violation du droit de l’Union (CJCE 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur, n° C-46/93), cette voie de droit ne peut être privilégiée aux dépens de l’obligation d’interprétation conforme lorsque celle-ci est possible. L’engagement de la responsabilité constitue ainsi la dernière solution envisageable en l’absence de mise en œuvre de l’interprétation conforme et de l’effet direct.

CJUE, gr. ch., 19 avril 2016, Dansk Industri (DI), n° C-441/14

Références

■ CJUE 22 nov. 2005, Mangoldn° C-144/04, AJDA 2006. 247, chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert ; D. 2006. 557, note O. Leclerc ; ibid. 2007. 465, obs. F. Meyer ; RDT 2006. 31, obs. M. Schmitt ; ibid. 133, obs. S. Robin-Olivier

 CJUE, gr. ch, 19 janv. 2010Kücükdeveci, n° C-555/07, AJDA 2010. 248, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; RDT 2010. 237, obs. M. Schmitt ; RTD eur. 2010. 113, chron. L. Coutron ; ibid. 599, chron. L. Coutron ; ibid. 673, chron. S. Robin-Olivier ; ibid. 2011. 41, étude E. Bribosia et T. Bombois ; Rev. UE 2013. 313, chron. E. Sabatakakis.

■ CJUE, gr. ch., 24 janv. 2012Maribel Dominguez, n° C-282/10, D. 2012. 369 ; ibid. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta ; RDT 2012. 371, obs. M. Véricel ; ibid. 578, chron. C. Boutayeb et E. Célestine ; RFDA 2012. 961, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F. Martucci ; RTD eur. 2012. 490, obs. S. Robin-Olivier ; ibid. 2013. 677, obs. F. Benoît-Rohmer ; Rev. UE 2014. 243, chron. E. Sabatakakis.

■ CJUE, gr. ch., 15 janv. 2014AMS, n° C-176/12, AJDA 2014. 336, chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère ; D. 2014. 705, note S. de La Rosa ; ibid. 2374, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2014. 408, étude J. Icard ; RDT 2014. 312, étude E. Carpano et E. Mazuyer ; RTD civ. 2014. 843, obs. L. Usunier ; RTD eur. 2014. 409, étude E. Dubout ; ibid. 523, obs. S. Robin-Olivier ; ibid. 904, obs. L. Coutron ; ibid. 2015. 160, obs. F. Benoit-Rohmer ; Rev. UE 2015. 33, étude S. Platon.

■ CJCE 8 avr. 1976Defrenne, n° 43/75, Rev. UE 2015. 547, étude L. Allart.

■ CJCE 31 mars 1992Dansk Denkavit, n° C-200/90, RTD eur. 1993. 331, chron. D. Berlin.

■ CJCE 5 mars 1996Brasserie du pêcheur, n° C-46/93, AJDA 1996. 489, étude D. Simon ; ibid. 1997. 342, chron. H. Chavrier, E. Honorat et G. de Bergues ; RFDA 1996. 583, note L. Dubouis ; RSC 1996. 674, obs. J.-C. Fourgoux ; RTD eur. 1997. 299, chron. D. Berlin ; Rev. UE 2015. 562, étude S. Van Raepenbusch.

 

Auteur :V. B.

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