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Droit des obligations
Location financière : nullité du contrat pour défaut de contrepartie personnelle du dirigeant
Un contrat de location avec option d’achat est nul lorsque la contrepartie est illusoire ou dérisoire. Tel est le cas de la convention conclue par les parties de façon à restreindre l’usage du véhicule objet du contrat par le dirigeant social, en sa qualité de colocataire solidaire, aux seuls besoins de l’activité de la société au bénéfice de laquelle le contrat a été conclu. En l’absence de contrepartie personnelle à l’engagement de location souscrit par le dirigeant, le contrat est nul à son égard.
Com. 23 oct. 2024, n° 23-11.749 P
Une société avait conclu un contrat de location d’un véhicule avec option d’achat (LOA) auprès d’une société dont le président s’était engagé en qualité de colocataire solidaire. À la suite de loyers impayés, la bailleresse avait notifié la résiliation du contrat puis assigné, après la restitution du véhicule, le président de la société preneuse, placée en liquidation judiciaire, au paiement d’une certaine somme en sa qualité de colocataire solidaire. Pour s’opposer au paiement, le dirigeant s’était prévalu de la nullité du contrat de colocation pour défaut de contrepartie. En son sens, la cour d’appel jugea nul à l’égard du dirigeant, en l’absence de contrepartie personnelle à son engagement de location, le contrat litigieux, et rejeta en conséquence la demande en paiement formée par la bailleresse. Elle considéra en effet que le droit d’usage du véhicule du colocataire en sa qualité de dirigeant était contractuellement limité à son activité professionnelle en sorte de satisfaire les seuls besoins de la société preneuse, si bien qu’il n’en tirait aucune contrepartie personnelle.
Devant la Cour de cassation, la bailleresse soutenait l’existence d’une contrepartie à l’obligation de payer les loyers du colocataire solidaire, qui tiendrait dans la jouissance du bien à titre professionnel. Selon elle, le dirigeant social ayant donc pu bénéficier du contrat dans le cadre de ses fonctions professionnelles restait tenu d’honorer son engagement.
La Cour de cassation était ainsi amenée à se prononcer sur la validité du contrat de location avec option d’achat du véhicule professionnel à l’égard du dirigeant social. Précisément, la contrepartie de son engagement de location solidaire pouvait-elle résider dans le seul usage professionnel du véhicule ? À cette question, la chambre commerciale répond par la négative. S’appuyant sur les termes de l’article 1169 du Code civil, selon lequel « un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ». Elle approuve l’analyse des juges du fond qui, dans leur pouvoir souverain d’interprétation des termes du contrat conclu par les parties, ont retenu que celles-ci avaient entendu limiter l’usage du véhicule aux besoins de l’activité de la société pour en déduire exactement que l’utilisation du véhicule par le dirigeant, dans le cadre de ses fonctions de dirigeant de la société crédit-preneuse, ne pouvait constituer une contrepartie personnelle à son engagement de location, de sorte que le contrat était nul à son égard.
Se trouve ainsi mise en œuvre la sanction de l’actuel défaut de contrepartie, venue se substituer à la notion de cause objective, que les rédacteurs de l’ordonnance du 10 février 2016 ont entendu supprimer (C. civ., art. 1128 et 1162). Si le terme a en effet disparu, sa finalité a toutefois été conservée pour sanctionner l’absence de contrepartie à l’obligation du débiteur. En témoigne le maintien de la nullité relative du contrat prévue en cas de contrepartie illusoire ou dérisoire à l’engagement souscrit, qui consacre dans le Code civil (art. 1169 et 1170) les solutions antérieurement rendues sur le fondement de la cause objective.
Reprenant ainsi les acquis de la jurisprudence antérieure à la réforme, l’article 1169 du Code civil dispose qu’« un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ». Bien qu’elle ne repose plus explicitement sur la notion de cause objective, cette nouvelle règle légale consacre une solution acquise sur son fondement : celle de la nullité du contrat dans lequel l’engagement est dépourvu de toute contrepartie, étant précisé que le caractère dérisoire de celle-ci équivaut à son absence (ex : vente à vil prix). Dans un même continuum, pour être proscrit, le défaut de contrepartie doit être total, comme l’exigeait déjà la jurisprudence antérieure, qui faisait dépendre la nullité du contrat de l’absence totale de cause de l’obligation, un engagement partiellement causé restant valable.
Dans le sens du droit antérieur, l’article 1168 confirme également que, par principe, « le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat ». L’article 1169 du Code civil ne pourrait alors davantage servir, au prétexte d’une contrepartie insuffisante, d’’instrument de contrôle de l’équilibre économique des conventions : le texte nouveau vise uniquement à vérifier l’existence d’une contrepartie réelle et sérieuse à l’obligation du débiteur et à fonder l’annulation du contrat qui en serait privé. Admettre d’annuler un contrat au seul motif de l’insuffisance de la contrepartie convenue reviendrait en effet à contourner le principe de validité des contrats lésionnaires, et à conférer au juge un pouvoir de rééquilibrage économique des conventions contraire à la théorie générale du contrat.
Avant la réforme, la Cour refusait donc déjà d’annuler un contrat dont la contrepartie, quoique insuffisante, n’était ni dérisoire, ni illusoire (v. not. Civ. 1re, 4 juill. 1995, n° 93-16.198 : Après avoir relevé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que le prix d'une bague n'apparaît nullement dérisoire, une cour d'appel en a justement déduit que, même si la valeur réelle du bijou était supérieure au prix demandé, la vente n'était pas nulle pour absence de cause). Cependant, la tentation fut grande d’utiliser la cause objective comme un instrument de contrôle de l’équilibre économique du contrat, et la Cour de cassation y a maintes fois cédé, notamment par la sanction de l’absence partielle de cause (par la réduction de l’acte, v. Civ. 1re, 11 mars 2003, n° 99-12.628) ou de la méconnaissance, en l’absence de contrepartie « réelle », de « l’économie du contrat voulue par les parties » (Civ. 1re, 3 juill. 1996, n° 94-14.800 ; Com. 27 mars 2007, n° 06-10.452).
En limitant la sanction aux seules hypothèses d’une contrepartie illusoire ou dérisoire, le texte du nouvel article 1169 semble de nature à contenir les tentatives d’extension ayant pu être constatées dans la jurisprudence antérieure pour cantonner la sanction de l’annulation aux contrats conclus sans aucune contrepartie à l’engagement du débiteur. Son application au cas d’espèce confirme cette orientation : l’annulation du contrat, conclu au bénéfice exclusif de la crédit-preneuse, se justifie par l’absence de contrepartie personnelle à l’engagement de son colocataire, déduite de la finalité professionnelle de son droit d’usage du véhicule. Dans cette configuration contractuelle, l’obligation au paiement du loyer incombant au dirigeant au titre de la colocation solidaire se trouve privé de cause objective, pour reprendre l’ancienne terminologie, c’est-à-dire sans contrepartie à son propre engagement de location. L’orthodoxie de la solution, rendue en stricte application des textes nouveaux, ne peut être qu’approuvée. Pour échapper à la nullité du contrat, la bailleresse avait bien tenté de démontrer l’existence d’une contrepartie suffisante à l’obligation, qu’elle inférait du droit d’usage professionnel du véhicule conféré au dirigeant. Selon elle, bien que la crédit-preneuse soit la seule bénéficiaire du contrat de LOA, le dirigeant avait toutefois pu en bénéficier par le biais de ce droit d’usage professionnel du véhicule, dont ne pouvait alors être inféré un défaut de contrepartie. L’argument est toutefois balayé par la Cour : dès lors que le bail avec option d’achat avait en effet été conclu au seul bénéfice de la crédit-preneuse, l’engagement du colocataire solidaire, souscrit par le dirigeant sans aucun droit d’usage personnel, devait être analysé comme privé de contrepartie. Exclusif d’une jouissance personnelle du bien, son droit d’usage professionnel du véhicule revenait à mettre son exercice au seul profit de l’unique bénéficiaire du contrat. En l’absence de toute contrepartie personnelle à l’obligation de colocation du dirigeant, l’engagement est donc nul à son égard.
Références :
■ Civ. 1re, 4 juill. 1995, n° 93-16.198 P : D. 1997. 206, note A.-M. Luciani ; ibid. 1996. 11, obs. G. Paisant ; RTD civ. 1995. 881, obs. J. Mestre ; RTD com. 1996. 315, obs. B. Bouloc.
■ Civ. 1re, 11 mars 2003, n° 99-12.628 P : RTD civ. 2003. 287, obs. J. Mestre et B. Fages.
■ Civ. 1re, 3 juill. 1996, n° 94-14.800 P : D. 1997. 500, note P. Reigné ; RTD civ. 1996. 901, obs. J. Mestre ; RTD com. 1997. 308, obs. B. Bouloc.
■ Com. 27 mars 2007, n° 06-10.452 : D. 2007. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson.
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