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[ 28 janvier 2022 ] Imprimer

Droit pénal général

L’office du juge pénal dans l’appréciation de la minorité

Il ne relève pas de l’office du juge pénal d’analyser comme le juge civil les documents d’état civil au regard de l’ordre public international et de la législation civile du pays d’origine du prévenu. Dès lors, il ne saurait être tenu compte des conclusions de l’examen osseux réalisé lorsque la juridiction retient que les documents produits sont authentiques et établissent la minorité.

Crim. 5 janv. 2022, n° 21-80.516

Déterminer l’âge, notamment la minorité d’une personne isolée arrivée sur le territoire, est une tâche complexe et pourtant essentielle. Complexe car le recours aux examens radiologiques osseux, technique autorisée à cette fin par l’article 388 du code civil, fait l’objet de vives critiques quant à la fiabilité du procédé et de la marge d’erreur qu’il comporte. Essentielle car l’âge du mineur détermine la mise en œuvre du dispositif de protection de l’enfant, notamment sa prise en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Cette question est ici soulevée devant le juge pénal, l’authenticité des documents attestant de la minorité étant remise en cause et se conjugue avec celle de la compétence des juridictions de droit commun. 

Arrivé en France en 2017, un jeune homme de nationalité guinéenne fait l’objet d’une ordonnance de placement provisoire – mesure prononcée au titre du danger encouru par un mineur par le juge des enfants – et confié aux services de la protection de l’enfance en qualité de mineur étranger isolé. Dans ce cadre, il avait soumis plusieurs documents dont un jugement supplétif rendu par le tribunal de première instance de Conakry ainsi qu’un extrait d’acte de naissance consécutif mentionnant une naissance en 2001. Sa situation ayant fait l’objet d’un signalement au procureur de la République, une enquête est diligentée au cours de laquelle apparaît une anomalie quant à la date des documents produits qui ne sont séparés que de deux jours lors même que le droit guinéen prévoir un délai minimal de dix jours devant être écoulés entre le jugement supplétif et sa transcription sur les registres de l’état civil. Il apparaît également que les documents n’ont pas été légalisés par le ministère des affaires étrangères guinéen. Une expertise osseuse est alors réalisée sur le fondement de l’article 388 du code civil concluant à un âge minimum de 18 ans et demi. Le tribunal correctionnel saisi des chefs d’escroquerie et de détention de faux documents administratifs s’est déclaré incompétent à raison de la minorité du prévenu. À la suite de l’appel relevé par le ministère public, la cour d’appel de Lyon a confirmé le jugement. 

Selon les juges du fond, et conformément aux dispositions de l’article 47 du code civil, il n’est nullement établi que les documents présentés par le prévenu ne sont pas authentiques, seraient falsifiés ou que les actes déclarés ne correspondent pas à la réalité de sorte qu’ils doivent faire foi de son identité. Par voie de conséquence, il ne saurait être tenu compte des conclusions de l’expertise osseuse qui ne pouvait être ordonnée. L’article 388 du code civil prévoit en effet que des examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et avec le recueil de l’accord de l’intéressé « en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable ». Ainsi, en présence de documents d’identité dont l’irrégularité n’est pas établie et dès lors que l’âge allégué n’apparaît pas invraisemblable, il ne pouvait être procédé à de tels examens. En tout état de causes, les juges ajoutent que de telles conclusions qui doivent préciser la marge d’erreur et ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l’intéressé est mineur, le doute lui profitant. 

Le procureur général, auteur du pourvoi, soulève deux griefs. D’abord, il reproche à la cour d’appel de n’avoir pas procédé à l’examen de la régularité du jugement supplétif au regard de l’ordre public international français, la cour d’appel, comme toutes les juridictions françaises étant tenue d’examiner la régularité au point de vue de l’ordre public international français du jugement supplétif, et de n’avoir pas non plus procéder à un examen de la cohérence interne entre le jugement supplétif et l’extrait du registre des actes de naissance consécutif. Le pourvoi reproche ensuite aux juges de n’avoir pas tenu compte des examens médicaux et procédé à une lecture erronée des conclusions expertales en énonçant à tort qu’elles doivent préciser une marge d’erreur.

La Cour de cassation rejette le pourvoi, confirmant en tous points le raisonnement mené par les juges du fond. Quant à la question de l’examen de la régularité du jugement étranger au regard de l’ordre public international, la Cour de cassation approuve l’absence d’un tel examen par le juge pénal et considère qu’il ne relève pas de son office d’analyser les documents d’état civil au regard de l’ordre public international et de la législation civile du pays d’origine du prévenu, cette question relevant de la compétence du juge civil.

Par ailleurs, quant à la question portant sur l’examen osseux, la Cour de cassation considère à juste titre qu’il « n’a pas à être pris en considération lorsque la juridiction retient que les documents argués de faux sont authentiques et établissent la minorité » (en ce sens, Crim. 11 déc. 2019, n° 18.84.938). La Cour de cassation s’inscrit là encore dans la continuité de la décision du Conseil constitutionnel ayant déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l’article 388 du code civil prévoyant le recours à un examen radiologique osseux, dans la mesure notamment où « cet examen ne peut être ordonné que si la personne en cause n’a pas de documents d’identité valables et si l’âge qu’elle allègue n’est pas vraisemblable » (Cons. const. 21 mars 2019, n° 2018-768 QPC).

Enfin, on précisera que, contrairement à ce qui était allégué par le Ministère public, l’article 388 du code civil qui régit le recours aux examens osseux en vue de la détermination de l’âge, énonce bien que la marge d’erreur doit être précisée. 

Références : 

■ Crim. 11 déc. 2019, n° 18.84.938D. 2019. 2414

■ Cons. const. 21 mars 2019, n° 2018-768 QPCDAE, 8 juill. 2019, note Christelle de GaudemontAJDA 2019. 662 ; ibid. 1448, note T. Escach-Dubourg ; D. 2019. 742, et les obs., note P. Parinet ; ibid. 709, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 1732, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2020. 1324, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ fam. 2019. 222, obs. A. Bouix ; RDSS 2019. 453, note A.-B. Caire ; Constitutions 2019. 152, Décision

 

Auteur :Chloé Liévaux

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