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Droit immobilier
Logement indécent : quelles sanctions pour le bailleur ?
Mots-clefs : Bail, Bailleur, Obligations, Garantie, Trouble de jouissance, Trouble causé par le bailleur, Manquement à l'obligation de délivrance d'un logement décent, Sanctions, Indemnisation
L'indemnisation du preneur pour les troubles de jouissance subis du fait du manquement du bailleur à son obligation de délivrance d'un logement décent n'est pas subordonnée à une mise en demeure.
Un couple avait loué une maison dont il était devenu ultérieurement propriétaire. Se plaignant du caractère non décent de leur logement et après avoir, le 22 décembre 2014, restitué les lieux, ils avaient assigné les bailleurs en indemnisation de leurs préjudices. Pour rejeter leur demande, la cour d’appel releva qu’en dépit de l’indécence avérée du logement, il ne pouvait être reproché aucun manquement aux bailleurs, lesquels avaient malgré tout respecté leur engagement d'indemniser les preneurs à concurrence de trois mois de loyers.
Au visa de l'article 1719 du Code civil, la Cour de cassation censure leur décision. Rappelant qu’en vertu de ce texte, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent, la cour d’appel, qui avait pourtant relevé que le, 21 janvier 2014, un expert avait identifié plusieurs désordres et indiqué les travaux propres à y remédier et que le 12 février 2014, un diagnostic de la caisse d'allocations familiales avait révélé un état d'indécence du logement, avant que le 7 mars 2014, le maire de la commune eut mis en demeure les bailleurs de réaliser les travaux prescrits par l'expert et, qu’enfin, le 17 octobre 2014, un arrêté préfectoral avait déclaré le logement insalubre à titre remédiable, en statuant comme elle l’a fait, sans rechercher si les bailleurs avaient pris les mesures nécessaires pour remédier au caractère non décent du logement, n'a pas donné de base légale à sa décision.
La loi sur la solidarité et le renouvellement urbains (L. n° 2000-1208, 13 déc. 2000, art. 187-1), complétée par celle consacrée à la mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion (L. n° 2009-323, 25 mars 2009, art. 58) ont modifié le contenu de l'article 1719 du Code civil ainsi celui de l’article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 à l’effet de mettre une nouvelle obligation à la charge du bailleur, déjà « tenu de délivrer la chose en bon état (…) » (C. civ, art. 1720), celle de délivrer un « logement décent ». Cette obligation est d’ordre public (Civ. 3e, 4 juin 2014, n° 13-17.289). L'article 1719 du Code civil par elles complété est dorénavant ainsi rédigé : « Le bailleur est obligé par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière : 1° de délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent » (…) ».
La même obligation est rappelée et la notion de logement décent, précisée, à l’article 6 de la loi précitée du 6 juillet 1989, qui impose au bailleur de remettre au locataire un logement décent, c’est-à-dire ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation. Sont ainsi visés les logements insalubres ou dangereux. Le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 pris pour l'application des articles précités et relatif aux caractéristiques du logement décent, précise par ailleurs que le logement qui fait l'objet d'un arrêté d'insalubrité ou de péril ne peut être considéré comme un logement décent.
Pour qu'un logement soit considéré comme décent, il doit donc satisfaire plusieurs conditions. Elles concernent notamment l’alimentation en eau courante (Civ. 3e, 15 déc. 2004, n° 02-20.614), la nature des matériaux de construction, des canalisations et des revêtements du logement, les branchements de gaz et d'électricité et les équipements de chauffage (Civ. 3e, 4 juin 2014, n° 13-17.289 ), les dispositifs d'ouverture et de ventilation, etc. Le logement doit également être doté d'éléments d'équipement et de confort nécessaires à l'habitation. Enfin, le logement doit disposer au moins d'une pièce principale dont la surface habitable ne peut être inférieure à 9 m2. En l’espèce, l’humidité du logement, l’insuffisance du chauffage, les déperditions thermiques, la dangerosité de l’installation électrique ainsi que l’affaissement des plafonds caractérisaient sans doute possible l’indécence du logement.
Outre le fait qu’illustre à l’extrême la notion d’indécence du logement, la décision rapportée présente également l’intérêt de rappeler les sanctions encourues par le bailleur lorsqu’il manque à ses obligations spécifiques liées à l’habitabilité et à la sécurité du logement qu’il loue. Pour remédier à l'indécence des logements déjà mis sur le marché locatif, la première loi SRU avait d’abord prévu la possibilité, comme pour les locaux soumis à la loi du 1er septembre 1948 et ne satisfaisant pas aux normes minimales de confort et d'habitabilité, d'une mise en conformité des locaux à la demande des locataires. L’article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 énonce ainsi que « Si le logement loué ne satisfait pas aux dispositions des premier et deuxième alinéas de l'article 6, le locataire peut demander au propriétaire leur mise en conformité sans qu'il soit porté atteinte à la validité du contrat en cours... ». De surcroît, le juge avait, dès l’origine, le pouvoir de réduire le montant du loyer si le bailleur, condamné à effectuer les travaux nécessaires à cette mise en conformité, ne les avait pas exécutés. Il a ensuite (L. n° 2006-872 du 13 juill. 2006) été autorisé, avant même l'exécution des travaux, à décider de réduire le montant du loyer ou de suspendre, avec ou sans consignation, son paiement ainsi que la durée du bail, jusqu'à leur réalisation effective (V. Civ. 3e, 17 déc. 2015, n° 14-22.754). Cette possibilité offerte au juge de sanctionner le bailleur sans attendre que la carence de ce dernier soit constatée a sans doute été décidée par faveur pour le locataire, échappant ainsi à la nécessité d’une seconde saisine du juge, et par sévérité pour le bailleur, ainsi incité à effectuer rapidement les travaux. Le juge peut également, dans le même sens, enjoindre la restitution de loyers indûment versés, jusqu’à l’achèvement des travaux, d’autant plus lorsque le locataire se prévaut, comme dans cette affaire, d’un arrêté préfectoral déclarant le logement en état d’insalubrité remédiable (Civ. 3e, 19 mars 2008, n° 07-12.103). En effet, il est à noter que le bailleur ne peut refuser d'exécuter des travaux qui sont matériellement envisageables. La mise en conformité s'impose en principe au propriétaire qui ne peut l'éviter en arguant du coût des travaux ou en demandant la résiliation du bail. La question qui s’est posée était celle de savoir si d'autres sanctions que celles prévues par la loi SRU pouvaient être envisagées. Le locataire victime de l’indécence de son logement peut en effet préférer, comme en l’espèce, renoncer à demander une mise en conformité, souvent pour une raison pratique liée à l’impossibilité technique d’y procéder, et agir simplement en dommages-intérêts contre le bailleur pour le trouble de jouissance causé. Cette action en indemnisation a été admise (Civ. 3e, 4 juin 2014, n° 13-12.314). Cette possibilité est confirmée par la décision rapportée. Et elle semble d’autant plus acquise que dans la précédente décision (Civ. 3e, 4 juin 2014, n° 13-12.314), la Cour avait décidé, contrairement à la règle normalement applicable en cas d’inexécution par le bailleur des travaux nécessaires à la satisfaction de son obligation de réparation (C. Civ, art. 1720 ; Civ. 3e, Civ. 3ème, 20 mars 1991, n° 89-19.866; Civ. 3e, 23 mai 2013, n° 11-29.011), l'indemnisation du locataire pour trouble de jouissance subi n'est pas subordonnée à une mise en demeure du bailleur, l'ordre d’accomplir les travaux nécessaires étant de nature à établir cette connaissance, de même que le fait pour le bailleurs d’avoir, en l’espèce, exécuté les travaux de conformité qui leur avaient été impartis l’année précédant le départ de leurs locataires, justifiait de faire droit à la demande d’indemnisation de ces derniers à une plus grande hauteur que la somme correspondant à trois mois de loyers que les bailleurs avaient promis, par une attestation sur l’honneur, de verser à leurs locataires.
Aux bailleurs dépourvus de morale privée de se rappeler que « la décence est affaire publique » (M. Yourcenar, Les Mémoires d’Hadrien).
Civ. 3e, 1er février 2018, n° 17-11.006
Références
■ Civ. 3e, 4 juin 2014, n° 13-17.289 P : D. 2014. 1274, obs. Y. Rouquet ; ibid. 2015. 1178, obs. N. Damas ; AJDI 2014. 873, obs. N. Damas.
■ Civ. 3e, 15 déc. 2004, n° 02-20.614 P: D. 2005. 109, obs. Y. Rouquet ; ibid. 305, tribune J. Monéger ; ibid. 749, obs. N. Damas ; AJDI 2005. 125, obs. Y. Rouquet ; RDI 2005. 113, obs. H. Heugas-Darraspen.
■ Civ. 3e, 17 déc. 2015, n° 14-22.754 P: D. 2016. 72 ; ibid. 1102, obs. N. Damas.
■ Civ. 3e, 19 mars 2008, n° 07-12.103 P: D. 2008. 1066 ; AJDI 2008. 755, obs. V. Zalewski.
■ Civ. 3e, 4 juin 2014, n° 13-12.314 P: D. 2014. 1274, obs. Y. Rouquet ; ibid. 2015. 1178, obs. N. Damas ; AJDI 2014. 872, obs. N. Damas.
■ Civ. 3e, 20 mars 1991, n° 89-19.866 : RTD civ. 1991. 735, obs. J. Mestre.
■ Civ. 3e, 23 mai 2013, n° 11-29.011 P: D. 2013. 1348 ; AJDI 2013. 824, obs. Y. Rouquet.
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