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Droit des obligations
Logement indécent : refus de l’exception d’inexécution
Le locataire d’un logement non décent mais habitable ne peut se prévaloir de l’exception d’inexécution en suspendant unilatéralement le paiement des loyers.
La reconnaissance progressive d’un droit fondamental au logement a justifié le renforcement des droits du locataire en matière de bail d’habitation. La loi SRU du 13 décembre 2000 (L. n° 2000-1208, 13 déc. 2000) impose désormais au bailleur de délivrer au preneur « un logement décent », du moins s’il s’agit de son habitation principale (C. civ., art. 1719, 1° ; L. n° 89-462 du 6 juill. 1989, art. 6). Si le droit de toute personne à disposer d’un logement décent constitue un objectif à valeur constitutionnelle (Cons. const., 19 janv. 1995, n° 94-359 DC), le locataire qui estime son droit méconnu ne peut toutefois se prévaloir de l’exception d’inexécution pour suspendre unilatéralement le paiement des loyers qu’à la condition de rapporter la preuve du caractère non seulement indécent mais encore inhabitable des lieux loués. Tel est le rappel auquel procède la décision rapportée (V. déjà, Civ. 3e, 17 déc. 2015, n° 14-22.754; Civ. 3e, 5 oct. 2017, n° 16-19.614).
Invoquant différents désordres affectant leur maison d’habitation, dont ils dénonçaient la vétusté et la dangerosité, des locataires avaient arrêté de payer leur loyer pendant plus de trois ans. Leur bailleur leur avait en conséquence délivré un commandement de payer visant la clause résolutoire stipulée au contrat de bail, puis les avaient assignés en acquisition de cette clause et en paiement d’arriérés de loyers. La cour d’appel accueillit la demande du bailleur. Au soutien du pourvoi en cassation qu’ils formèrent contre cette décision, les preneurs rappelaient qu’au bénéfice, reconnu par le droit commun des contrats, des règles gouvernant l’exception d’inexécution, lesquelles sont applicables à tout contrat synallagmatique et dont la mise en œuvre ne requiert aucune autorisation judiciaire préalable, un locataire peut se prévaloir du manquement à l’obligation du bailleur de mettre à sa disposition un logement décent (L. SRU, n° 2000-1208 du 13 déc. 2000) pour suspendre le règlement des loyers et paralyser le cas échéant par ce biais les effets d’un commandement de payer visant à la mise en œuvre de plein droit de la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers. Leur pourvoi est rejeté par la troisième chambre civile, approuvant les juges du fond d’avoir retenu que si le logement présentait des désordres affectant l’installation électrique et des problèmes d’humidité et d’infiltrations, les locataires ne démontraient pas avoir été dans l’impossibilité totale d’habiter les lieux dans lesquels ils s’étaient maintenus trois ans après qu’un premier jugement eut constaté la résiliation du bail ; selon les hauts magistrats, la cour d’appel en a donc souverainement déduit que les locataires ne pouvaient se prévaloir de l’exception d’inexécution pour refuser le paiement des loyers.
La partie à un contrat synallagmatique, envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation (C. civ., art. 1217, al. 1er). Remède temporaire à l’inexécution du contrat, la règle de l’exception d’inexécution, prévue par le droit commun, suppose toutefois, pour être mise en œuvre, que l’inexécution imputable à la partie défaillante soit « suffisamment grave » (C. civ., art. 1219), dans son objet comme dans ses effets.
Dans son objet tout d’abord, l’inexécution d’une obligation accessoire au contrat ne pouvant par définition atteindre la gravité suffisante requise par la loi ; seule l’inexécution d’une obligation principale incombant à l’un des contractants peut justifier que son cocontractant refuse en conséquence de remplir la sienne, même lorsque celle-ci est exigible (C. civ., art. 1219). En l’espèce, cette qualification était acquise, le bailleur d’un local d’habitation ayant pour obligation principale conjointe de délivrer à son locataire un logement décent (C. civ., 1719, 1°) et de lui assurer la jouissance paisible des lieux loués pendant toute la durée du bail (C. civ., art. 1719, 3°). L’inexécution de celle-ci par le défendeur au pourvoi était tout autant caractérisée, les juges ayant constaté, à l’appui des rapports d’expertise versés aux débats, que le logement loué, privé des équipements nécessaires à sa bonne habitabilité et à la sécurité des lieux, ne répondait pas aux normes de décence légale et réglementaire, cette non-conformité ayant empêché ses locataires d’en jouir paisiblement.
Suffisamment grave dans son objet, selon le rang occupé par l’obligation inexécutée au sein du contrat, l’inexécution doit encore l’être dans ses effets. Ainsi, en matière de bail d’habitation, seule l’impossibilité totale d’occuper le logement loué, en conséquence de l’indécence de ses conditions d’habitation, autorise le locataire à se prévaloir de l’exception d’inexécution pour s’opposer au paiement des loyers convenus. Or en l’espèce, si l’impossibilité d’habiter « normalement » le logement fut relevée, les locataires ne s’étaient toutefois pas, de fait, vus totalement privés de la possibilité de l’occuper, ce qu’ils avaient d’ailleurs choisi de faire jusqu’à ce que l’ordre de leur expulsion fût donné. Certes entravés dans leur droit à la jouissance paisible des lieux loués, les locataires n’ont pu rapporter la preuve que le non-respect par le bailleur des normes de décence avait rendu leur logement inhabitable. Ainsi le seuil de gravité requis pour faire valablement jouer l’exception d’inexécution n’était-il pas atteint, en sorte qu’ils ne pouvaient, de leur propre initiative, interrompre le paiement des loyers. Une autorisation judiciaire préalable est, dans cette hypothèse, nécessaire, sauf aux locataires à prendre le risque que le bail soit, comme en l’espèce, résilié en application de la clause résolutoire prévue à cet effet. Faute de gravité suffisante, le locataire ne peut donc unilatéralement décider d’interrompre le paiement du loyer. Il doit impérativement faire appel au juge, le seul à pouvoir l’en dispenser, ou à réduire le montant du loyer convenu (L. L. n° 89-462 du 6 juill. 1989, art. 20-1).
Civ. 3e, 28 juin 2018, n° 16-27.246
Références
■ Fiche d’orientation Dalloz : Objectif à valeur constitutionnelle
■ Cons. const., 19 janv. 1995, n° 94-359 DC : AJDA 1995. 455, note B. Jorion ; D. 1997. 137, obs. P. Gaïa.
■ Civ. 3e, 17 déc. 2015, n° 14-22.754 P: Dalloz Actu Étudiant, 26 janv. 2016 ; D. 2016. 72 ; ibid. 1102, obs. N. Damas
■ Civ. 3e, 5 oct. 2017, n° 16-19.614.
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