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Droit des obligations
Loi applicable à l'action directe du sous-acquéreur contre le vendeur initial : la Cour de cassation a tranché
Il y a lieu de transposer la qualification d'obligation non contractuelle, retenue pour la détermination de la juridiction compétente, à celle de la loi applicable, de sorte que la loi applicable à l'action directe du sous-acquéreur contre le fabricant de la chose vendue doit être déterminée en application du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (règlement Rome II).
Civ. 1re, 28 mai 2025, n° 23-20.341
Une clause de choix de la loi applicable, stipulée dans le contrat initial conclu entre le fabricant et le premier acquéreur, auquel le sous-acquéreur n'est pas partie et à laquelle celui-ci n'a pas consenti, ne constitue pas un choix de la loi applicable à l'obligation non contractuelle, au sens de l'article 14, paragraphe 1er, de ce règlement.
On se souvient qu’en mars dernier, une décision de la Cour de cassation trahissait la difficulté de qualifier l'action en responsabilité en cas de rupture brutale des relations commerciales établies, le choix de la nature délictuelle ou contractuelle de l’action variant selon les ordres juridiques en cause : délictuelle en droit interne, contractuelle en droit européen, redevenant délictuelle en droit international hors cadre européen (Civ. 1re, 12 mars 2025, n° 23-22.051). Dans l’arrêt rapporté, c'est une autre action dont la qualification prête une nouvelle fois à discussion : celle exercée par l'acquéreur d'un bien contre le vendeur de son vendeur, soit l’action directe du sous-acquéreur contre le vendeur initial du bien.
Au cas d'espèce, une société portugaise cède à sa filiale le contrat par lequel elle avait confié à une société française la conception et la construction d'une centrale photovoltaïque. Aux fins de réaliser l’ouvrage, cette dernière avait acquis des panneaux photovoltaïques auprès d'une société allemande, le contrat de vente ayant été soumis par les parties au droit allemand. Se plaignant de divers désordres, la société portugaise assigne les deux venderesses devant les juridictions françaises aux fins d’obtenir la résolution à la fois de la vente qu’elle a conclue avec la société française, ainsi que de celle conclue entre les sociétés française et allemande. Outre le problème de la juridiction compétente, résolu par le rappel d’une jurisprudence constante de la Cour n’appelant pas d’observations particulières, le pourvoi posait la question autrement plus complexe de la loi applicable à l'action directe engagée par le sous-acquéreur (la société portugaise) contre le vendeur originaire (la société allemande).
La détermination de la loi applicable suppose au préalable de qualifier l'action. Si sa nature est contractuelle, elle relève du règlement Rome I (CE, n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles), qui confère au choix des parties un rôle décisif. Si elle est délictuelle, elle relève du règlement Rome II (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles) qui, à rebours du règlement précédent, n’accorde au choix des parties qu’une place résiduelle (not. par la voie d’un accord procédural, art. 14 Règl. v. pt n° 16). Or la CJUE n'a jamais répondu directement à cette question. Elle s’est seulement prononcée, en matière de compétence juridictionnelle, sur la nature délictuelle de l'action directe du sous-acquéreur, en l’absence de lien contractuel de ce dernier avec le vendeur initial (CJCE 17 juin 1992, Handte / TMCS, aff. C-26/91, pt 16 et CJUE 7 févr. 2013, Refcomp, aff. C-543/10, pt 33), sans toutefois prendre parti sur la détermination de la loi applicable. Et la Cour de cassation d’y procéder elle-même dans l’arrêt rapporté qui, pour cette raison, mérite d’être relevé. Ainsi juge-t-elle qu’il convient de transposer la qualification d'obligation non contractuelle, retenue pour la détermination de la juridiction compétente, à celle de la loi applicable, de sorte que la loi applicable à l'action directe du sous-acquéreur contre le fabricant doit être déterminée en application du règlement Rome II, afférent aux obligations non contractuelles. Autrement dit, dans la mesure où le sous-acquéreur et le vendeur initial sont considérés dans la chaîne contractuelle comme des tiers l’un par rapport à l’autre, l'action du premier contre le second ne peut être que de nature délictuelle, et cette qualification influence non seulement la désignation de la juridiction compétente mais également, et là réside l’apport de l’arrêt, la détermination de la loi applicable. Puisque l'action n'est pas contractuelle mais délictuelle, il convient donc de faire application du règlement Rome II, et non du règlement Rome I (pt n° 21). La volonté des parties ne peut alors jouer qu’un rôle réduit. En effet, si le règlement Rome II envisage l'hypothèse d'un accord des parties sur la loi applicable à une action délictuelle, ce n'est que de manière résiduelle. L'article 14 du règlement Rome II limite en effet cette possibilité à la conclusion d’« un accord postérieur à la survenance du fait générateur du dommage ou, lorsqu'elles exercent toutes une activité commerciale, par un accord librement négocié avant la survenance du fait générateur du dommage". Au cas d’espèce, l’existence d’un tel accord en faveur de la loi allemande n’était pas susceptible d’être reconnue au sous-acquéreur puisque l’accord passé pour soumettre la vente initiale au droit allemand ne liait que le vendeur originaire et le vendeur intermédiaire. En revanche, aucun accord n’avait été convenu entre le sous-acquéreur et le vendeur initial concernant la loi applicable à l'action délictuelle du premier contre le second. Il en résulte que cette "clause de choix de la loi applicable, stipulée dans le contrat initial conclu entre le fabricant et le premier acquéreur, auquel le sous-acquéreur n'est pas partie, et à laquelle celui-ci n'a pas consenti, ne constitue pas un choix de la loi applicable à l'obligation non contractuelle, au sens de l'article 14, paragraphe 1er, de ce règlement" (pt n° 22). En l’absence d'accord des volontés, l'article 4 du règlement Rome II, désignant la loi "du pays où le dommage survient", redevient donc applicable (pt n° 23) La cour d'appel, qui avait jugé que le régime juridique de l'action directe du sous-acquéreur était soumis à la loi allemande, applicable à la vente initiale, se voit dès lors censurée. Le principe de droit interne sur lequel elle avait fondé sa solution, selon lequel dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, le sous-acquéreur ne fait qu’exercer l’action dont dispose le vendeur intermédiaire à l’encontre de son propre cocontractant, se trouve par conséquent écarté en considération des règles et impératifs distincts du droit international privé, qui supposent de tenir compte de la nature délictuelle de l’action directe engagée pour déterminer la loi applicable, soit la loi du pays où le dommage est survenu.
Si la qualification unitaire de l'action directe, dont la nature délictuelle est désormais reconnue tant sur le terrain processuel (règlement Bruxelles I) que substantiel (règlement Rome II) mérite d’être saluée, on peut en revanche regretter le manque de prévisibilité qui en résulte pour le premier vendeur, susceptible de faire l'objet d'une action directe qui n'existe pas dans le droit qu'il aura choisi et qui, à raison de sa nature délictuelle, échappe à toute limitation de responsabilité.
Références :
■ Civ. 1re, 12 mars 2025, n° 23-22.051 : A vos copies !, DAE 15 avr. 2025, D. 2025. 1107, note Harouna Sawadogo
■ CJCE 17 juin 1992, Handte / TMCS, aff. C-26/91
■ CJUE 7 févr. 2013, Refcomp, aff. C-543/10 : D. 2013. 1110, note S. Bollée ; ibid. 1503, obs. F. Jault-Seseke ; ibid. 2293, obs. L. d'Avout et S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2013. 710, note D. Bureau ; RTD civ. 2013. 338, obs. P. Remy-Corlay ; ibid. 2014. 436, obs. P. Théry ; RTD com. 2013. 381, obs. A. Marmisse-d'Abbadie d'Arrast
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