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Droit de la responsabilité civile
Loi Badinter : précisions sur l’exigence du caractère fortuit de l’accident
Le fait simplement volontaire du conducteur du VTM est exclusif de la qualification d’accident de la circulation, au sens de la loi du 5 juillet 1985, par essence fortuit.
Civ. 2e, 15 févr. 2024, n° 21-22.319
Il est acquis que le caractère accidentel de l’événement dommageable est une condition nécessaire à l’application de la loi Badinter. Notion centrale du régime prévu par la loi du 5 juillet 1985, l’accident de la circulation n’est pourtant pas défini par le texte. Du latin accidens, le terme renvoie à la soudaineté. Il désigne un événement dommageable imprévu. Le caractère accidentel de l’événement (choc, collision, incendie) fait donc défaut chaque fois qu’une infraction volontaire en est la cause. Sur ce point, la jurisprudence est constante (par ex. Civ. 2e, 30 nov. 1994, n° 93-13.399). L’antinomie de l’accident et de l’acte volontaire soulève néanmoins deux interrogations que l’arrêt sous commentaire offre l’occasion de rappeler (v. déjà, Civ. 2, 24 oct. 2019, n° 18-20.910) :
• la première porte sur l’événement dommageable proprement dit. Pour établir son caractère fortuit, un simple fait volontaire suffit-il ou doit-on y ajouter un élément intentionnel ?
• la seconde porte sur la personne au regard de laquelle le fait accidentel doit être apprécié. S’agit-il nécessairement du conducteur du véhicule impliqué, ou l’intervention d’un tiers peut-elle également être prise en compte ?
En l’espèce, la passagère d’un véhicule automobile conduit par la propriétaire de ce VTM a été blessée lors d’une sortie de route du véhicule. La victime a alors assigné la propriétaire du véhicule et son assureur pour obtenir, sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985, l’indemnisation de son dommage corporel. Sa demande ayant été accueillie en appel, l’assureur forma un pourvoi en cassation pour réfuter devant la Cour l’existence d’un accident de la circulation au cas d’espèce, dans la mesure où le dommage subi par la victime n’était pas la conséquence d’un événement fortuit mais le résultat d’un acte volontaire de la conductrice du VTM impliqué, celle-ci ayant délibérément pris la décision de précipiter son véhicule en dehors de la chaussée.
La deuxième chambre civile devait donc répondre à la question de savoir si l’action de la conductrice répondait à la condition d’accident de la circulation. Plus précisément, le fait que la conductrice ait pris l’initiative de la sortie de route à l’origine du préjudice subi, même sans avoir eu l’intention de le causer, suffit-il à évincer le caractère accidentel nécessaire à l’application de la loi ? Ou bien un élément intentionnel est-il requis de surcroît ?
Au visa de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985, la Haute juridiction casse la décision des juges du fond. Elle affirme que ne constitue pas un accident, au sens de ce texte, celui qui, volontairement provoqué par le conducteur ou par un tiers, ne présente pas, de ce fait, un caractère fortuit. Or elle relève que pour accueillir la demande de provision formée par la victime, l’arrêt d’appel a énoncé que la conductrice du véhicule était volontairement sortie de la route mais qu’aucun élément du dossier ne laissait penser qu’elle eût entendu attenter à la vie de sa passagère ; il en a déduit qu’à l’égard de celle-ci, le sinistre était un accident de la circulation dans lequel était impliqué un véhicule terrestre à moteur et que le dommage corporel de la victime était bien imputable à cet accident, au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985. En statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé le texte susvisé.
La Cour précise ainsi, par la négative, la notion d’accident, à laquelle s’oppose tout acte volontairement provoqué, quelle qu’en soit la source : initiative personnelle du conducteur ou intervention d’un tiers. Dans tous les cas - fait du conducteur ou fait d’un tiers -, la Cour juge en effet l’accident de circulation incompatible avec un acte simplement volontaire, même dépourvu d’élément intentionnel. Ces deux éléments de solution sont contestables.
Le fait du conducteur - Il est acquis que la condition d’accident s’apprécie à l’aune du comportement conducteur (ou gardien) du VTM impliqué. Cette appréciation s’évince directement de la lettre de la loi. En présence d’un accident de la circulation, l’assureur du véhicule impliqué est obligé d’indemniser la victime. C’est donc logiquement en fonction du comportement de l’assuré que la notion d’accident doit s’apprécier. Or le fait volontaire du conducteur doit conduire à écarter la notion d’accident dès lors que le dommage dont l’indemnisation est demandée résulte de cette action délibérée : faute de caractère fortuit, l’accident survenu ne peut être qualifié d’accident de la circulation au sens de la loi Badinter. Cependant, la question de l’intention dommageable se pose depuis longtemps : au-delà d’être volontaire, l’action du conducteur doit-elle avoir été intentionnelle ou même sans intention de provoquer le dommage, le fait simplement volontaire du conducteur suffit-il à écarter la qualification d’accident ? La Cour de cassation n’a jamais clairement pris parti sur la notion d’accident, qui peut donc s’entendre soit de tout fait non volontaire, soit de tout fait non intentionnel. En effet, elle a longtemps oscillé entre ces deux possibilités. Pour exclure l’accident, elle a parfois exigé que le fait du conducteur fût intentionnel (Civ. 1re, 14 oct. 1997, n° 95-18.361 ; Civ. 2e, 22 nov. 1995, n° 93-21.221). D’autres fois, de manière plus restrictive, elle a considéré que le fait simplement volontaire, commis sans intention de provoquer le dommage, suffisait à écarter la notion d’accident au sens de la loi (Crim. 6 févr. 1992, n° 90-86.966 ; Crim. 29 mars 2006, n° 05-82.515 ; Civ. 2e, 2 mars 1994, n° 92-18.818 ; Civ. 2e, 15 mars 2001, n° 99-16.852 ; Civ. 2e, 12 déc. 2002, n° 00-17.433 ; Civ. 2e, 22 janv. 2004, n° 01-11.665). Dans l’arrêt rapporté, la comparaison des motifs de la cour d’appel et de ceux de la Cour de cassation témoigne de cette alternative entre une conception stricte ou libérale de la loi. La cour d’appel jugeait la notion d’accident de circulation compatible avec un acte « simplement » volontaire, soit non intentionnel. Pour les juges du fond, la démarche volontaire de la conductrice n’empêchait pas de retenir l’existence d’un accident de la circulation, se contentant de relever que le dommage subi par la victime résultait d’un accident de la route dans lequel était impliqué un VTM ce qui, pour eux, suffisait à considérer que le dommage subi était bien la conséquence d’un accident de la circulation au sens de la loi du 5 juillet 1985. Adoptant au contraire une conception stricte de la notion d’accident, la Cour retient que l’acte volontaire de la conductrice, même non intentionnel, retire tout caractère accidentel à l’événement dommageable. Autrement dit, le fait simplement volontaire du conducteur évince l’existence d’un événement fortuit, ce qui exclut la notion d’accident et partant, l’application de la loi Badinter au cas d’espèce.
Il est vrai que lorsque le fait dommageable a été recherché par le conducteur, même sans intention de provoquer le dommage, on ne peut considérer l’événement comme fortuit : ce n’est donc pas un accident au sens strict. À plus forte raison, quand l’acte est à la fois volontaire et intentionnel, en ce que non seulement le fait dommageable est voulu mais ses conséquences également. Cependant, la Cour de cassation s’oppose ici, au nom d’une appréciation stricte de la notion d’accident, au choix des juges du fond de limiter l’exclusion de la notion à la faute intentionnelle du conducteur. Étroite, cette appréciation de la notion est contestable au regard du droit des assurances, qui préside pourtant au régime d’indemnisation issu de la loi Badinter. Rappelons en effet que l’article L. 113-1 du Code des assurances exclut la garantie de l’assureur seulement en cas de faute intentionnelle de l’assuré. Le régime d’indemnisation des accidents de la circulation étant intrinsèquement lié à l’assurance, il serait alors logique de considérer que seule la faute intentionnelle du conducteur empêche l’application de la loi et la garantie de l’assureur puisque c’est à l’aune du comportement de l’assuré que cette faute s’apprécie et que seule la faute intentionnelle est inassurable, non le simple acte volontaire. En présence d’un acte simplement volontaire, ie dont les conséquences dommageables n’ont pas été voulues, il n’est pas utile d’exclure l’application de la loi puisque l’assureur du conducteur ou gardien du VTM impliqué reste tenu d’indemniser la victime. Sous l’angle de l’assurance, il conviendrait donc de limiter l’exclusion de l’accident à la faute intentionnelle de l’assuré conducteur (en ce sens v. Civ. 1re, 10 déc. 1991, n° 90-14.218).
Le fait du tiers - De façon également contestable, la Cour de cassation ajoute que la caractérisation de la notion d’accident peut s’apprécier à l’aune du comportement d’un tiers, qui n’est donc ni le défendeur conducteur ou gardien du VTM impliqué ni la victime. Elle avait déjà admis que faute d’accident, la loi doit être écartée quand le dommage découle du fait intentionnel ou même simplement volontaire d’un tiers (Civ. 2e, 15 mars 2001, n° 99-16.852 ; Civ. 2e, 23 janv. 2003, n° 00-21.676). Toujours pour des considérations liées à l’assurance, cette solution est critiquable : à partir du moment où l’assureur tenu d’indemniser la victime est celui du conducteur ou gardien du VTM impliqué, c’est uniquement par rapport à l’assuré que la notion d’accident devrait en principe être appréciée. Autrement dit, le comportement du tiers devrait être indifférent. Du reste, malgré le fait volontaire du tiers, l’événement n’en demeure pas moins fortuit pour le conducteur ou le gardien comme pour la victime.
Références :
■ Civ. 2e, 30 nov. 1994, n° 93-13.399 : RTD civ. 1995. 132, obs. P. Jourdain
■ Civ. 2e, 24 oct. 2019, n° 18-20.910 : D. 2020. 322, note G. Trédez ; ibid. 40, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; RTD civ. 2020. 128, obs. P. Jourdain
■ Civ. 1re, 14 oct. 1997, n° 95-18.361 : D. 1997. 227
■ Civ. 2e, 22 nov. 1995, n° 93-21.221 : D. 1996. 163, note P. Jourdain
■ Crim. 6 févr. 1992, n° 90-86.966 : RTD civ. 1992. 571, obs. P. Jourdain
■ Crim. 29 mars 2006, n° 05-82.515 : AJ pénal 2006. 311, obs. G. Roussel
■ Civ. 2e, 2 mars 1994, n° 92-18.818 : RTD civ. 1995. 132, obs. P. Jourdain
■ Civ. 2e, 15 mars 2001, n° 99-16.852 : D. 2001. 1145, et les obs. ; RTD civ. 2001. 606, obs. P. Jourdain
■ Civ. 2e, 12 déc. 2002, n° 00-17.433 : D. 2003. 468, et les obs.
■ Civ. 2e, 22 janv. 2004, n° 01-11.665 : D. 2004. 1202, obs. P. Julien ; RTD civ. 2004. 519, obs. P. Jourdain
■ Civ. 1re, 10 déc. 1991, n° 90-14.218
■ Civ. 2e, 23 janv. 2003, n° 00-21.676 : D. 2003. 605
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