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[ 25 juin 2014 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Loi Badinter : une exclusivité relative

Mots-clefs : Accident de la circulation, Loi du 5 juillet 1985, Exclusivité, Responsabilité civile, Article 1384 alinéa 5, Articulation

Les dispositions d'ordre public de la loi du 5 juillet 1985 relatives à l'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation n'excluent pas celles de l'article 1384, alinéa 5, du Code civil relatives à la responsabilité du commettant du fait du préposé.

Un salarié marin-pêcheur chargé par son employeur de placer le produit de la pêche dans une glacière en avait été empêché par une fourgonnette arrêtée devant le bâtiment où il devait l’entreposer. Il s’était alors introduit dans le véhicule et l'avait déplacé, blessant grièvement, ce faisant, son propriétaire. Le tribunal correctionnel l’avait déclaré coupable du délit de blessures involontaires et l’avait condamné à réparer le préjudice des parties civiles, rendant le jugement opposable à l'employeur ainsi qu'à l'assureur du véhicule impliqué dans l'accident. 

Sur appel du prévenu et de la victime, les juges du fond ont confirmé le jugement sur la déclaration de culpabilité du salarié mais l'ont infirmé sur les intérêts civils : jugeant le salarié hors de cause et déboutant la victime des prétentions dirigées contre celui-ci, la cour considéra que l'employeur et l'assureur du véhicule impliqué dans l’accident étaient tenus de réparer le préjudice de la victime et condamna l'employeur à verser à l'assureur la moitié des sommes versées à la victime à titre de provision.

Un pourvoi fut formé contre cette décision par l'employeur ainsi que par l'établissement national des invalides de la Marine (ENIM), partie intervenante. Rappelant le principe selon lequel « relatives à la responsabilité du commettant du fait du préposé les dispositions d'ordre public de la loi du 5 juillet 1985 relatives à l'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation n'excluent pas celles de l'article 1384, alinéa 5, du Code civil», la chambre criminelle approuve l’analyse de la cour d'appel, laquelle constata que le salarié, condamné pour une infraction non intentionnelle, avait conduit le véhicule impliqué dans l'accident afin d'exécuter la mission qui lui avait été confiée par son employeur, à ce titre responsable de l’accident causé par celui-ci.

La difficulté principale soulevée par le régime spécial prévu par la loi Badinter de 1985 tient à l’articulation des règles spécifiques ainsi édictées avec l’application des règles du droit commun de la responsabilité délictuelle.

De manière générale, cette loi contient un grand nombre de règles spéciales dérogatoires à celles, générales, de la responsabilité civile, afin de faciliter l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation (par exemple l’implication de la causalité). Cette loi relève en effet davantage d’une logique d’indemnisation que d’une logique de responsabilité d’où l’impossibilité, pour le débiteur de la réparation — en pratique, l’assureur de l’auteur des dommages — d’invoquer la force majeure ou le fait d’un tiers pour être exonéré de sa dette, ce qui offre à la victime une protection accrue par rapport à celle offerte par l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil.

Spécial, ce régime aspire à une certaine exclusivité. La jurisprudence s’est clairement prononcée en ce sens (Civ. 2e, 4 mai 1987 ; Crim. 7 oct. 1992  ; Civ. 2e, 7 mai 2002  ; Civ. 2e, 23 janv. 2003), et la Cour de cassation rappelle régulièrement, comme en atteste la décision rapportée, que les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 sont d’ordre public, de telle manière que les juges du fond se voient contraints d’en faire application même dans le cas où la loi aurait été écartée par les demandeurs (Civ. 2e, 20 janv. 2000 ; Civ. 2e, 11 juin 2009).

Toutefois, l’exclusivité de la loi de 1985 n’est pas absolue. En effet, elle cède face à l’immunité de droit commun du préposé (jurisprudence dite Costedoat), dont la Cour de cassation a étendu le bénéfice au préposé conducteur. Ainsi la Cour avait-elle déjà affirmé que « n’est pas tenu à réparation le préposé, conducteur d’un véhicule de son commettant impliqué dans un accident, qui agit dans les limites de la mission qui lui a été impartie » (Civ. 2e, 28 mai 2009). Dans cette hypothèse, et sous la réserve ici rappelée que le préposé conducteur ait agi dans le cadre de la mission que son employeur lui avait confiée, le premier n’aura pas à répondre personnellement des conséquences de l’accident qu’il aura provoqué (et concrètement, d’un défaut d’assurance de son commettant), le second étant responsable des faits dommageables de ses préposés.

Crim. 27 mai 2014, n° 13-80.849

Références

■ Civ. 2e, 4 mai 1987, n°85-17.051.

■ Crim. 7 oct. 1992, n°92-80.210.

■ Civ. 2e, 7 mai 2002, n°00-20.649.

■ Civ. 2e, 23 janv. 2003, n°01-16.067.

 Civ. 2e, 20 janv. 2000, n°98-13.871.

■ Civ. 2e, 11 juin 2009, n°08-14.224, RTD civ. 2009. 541, note Ph. Jourdain.

 Civ. 2e, 28 mai 2009, n°08-13.310, D. 2010. 49, obs. O. Gout et Ph. Brun.

 Article 1384 du Code civil

« On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde.

Toutefois, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l'immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s'il est prouvé qu'il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable.

Cette disposition ne s'applique pas aux rapports entre propriétaires et locataires, qui demeurent régis par les articles 1733 et 1734 du code civil.

Le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.

Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ;

Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance.

La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère et les artisans ne prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité.

En ce qui concerne les instituteurs, les fautes, imprudences ou négligences invoquées contre eux comme ayant causé le fait dommageable, devront être prouvées, conformément au droit commun, par le demandeur, à l'instance. »

 

Auteur :M. H.


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