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Droit européen et de l'Union européenne
Loi de validation et droit à un procès équitable : condamnation de la France par la CEDH
Mots-clefs : Validation législative, Loi de validation, Droit à un procès équitable, Impérieux motifs d’intérêt général, Contrôle fiscal
Une validation législative visant à régulariser rétroactivement des agréments de contrôleurs URSSAF et s’appliquant aux instances en cours est contraire à l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme a décidé la CEDH dans une décision du 25 novembre 2010.
Au cours de l’année 2000, la société Lilly France, laboratoire pharmaceutique, a fait l’objet d’un redressement fiscal à la suite d’un contrôle par deux agents de l’URSSAF.
Après contestation de ce redressement par voie gracieuse aboutissant à une décision implicite de rejet, la société Lilly France saisit le Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) en 2002. Dans ses conclusions, elle soulevait l’irrégularité des procès-verbaux dressés par les contrôleurs et la nullité du redressement en raison de l’incompétence des auteurs des actes. Selon la requérante, les agréments des agents de contrôle n’avaient pas été régulièrement délivrés. Le TASS ne suivit pas ses conclusions. Elle interjeta alors appel de la décision. En cours d’instance, fut votée la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2004 dont une disposition (L. n° 2003-1199 du 18 déc. 2003, art. 73) prévoyait que le contrôle opéré par les agents de l’URSSAF en 2000 est réputé régulier en tant qu’il serait contesté par le moyen tiré de l'illégalité de l'agrément des agents ayant procédé aux opérations de contrôle. La cour d’appel ne fit de ce fait pas droit à la demande de la société Lilly France. La Cour de cassation estima, quant à elle, que l’intervention du législateur obéissait en l’espèce à d’impérieux motifs d’intérêt général, « qui, sans régler le fond du litige ni priver le débiteur de la contribution du droit de contester le bien-fondé du redressement, est destinée à éviter le développement d'un contentieux de nature à mettre en péril le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et par suite la pérennité du système de protection sociale ; que dès lors, la cour d'appel, en faisant application de l'article 73 de la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003 au litige en cours, a légalement justifié sa décision » (Civ. 2e, 8 nov. 2006). Les juges de la Cour de cassation estimèrent qu’en raison des impérieux motifs d’intérêt général, il n’y avait pas incompatibilité entre l’article 73 de la LFSS pour 2004 (« loi de validation ») et l’article 6 § 1de la Conv. EDH (droit à un procès équitable).
Saisie par la société requérante, la CEDH se prononce alors sur la question de savoir si l’intervention de la LFSS pour 2004 « a porté atteinte au caractère équitable de la procédure et à l’égalité des armes, en modifiant en cours d’instance, l’issue de celle-ci » (cons. 47). L’ingérence du législateur, en l’espèce, repose-t-elle sur d’impérieux motifs d’intérêt général ?
Dans sa décision du 25 novembre 2010, la Cour réaffirme que, si en principe, « le pouvoir législatif n’est pas empêché de réglementer en matière civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 § 1 s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire du litige » (cons. 46) (CEDH 9 déc. 1994, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, § 49 ; 28 oct. 1999, Zielinski et Pradal et Gonzales et a. c. France, §57).
Elle affirme, en l’espèce, que l’intervention de la loi du 18 décembre 2003 a porté atteinte au caractère équitable de la procédure et ne reposait pas sur d’impérieux motifs d’intérêt général. La Cour constate donc la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
En effet, la Cour rappelle qu’en principe, le seul intérêt financier de l’État ne permet pas de justifier l’intervention rétroactive d’une loi de validation. Or en l’espèce, le gouvernement français avait soutenu que si l’article 73 de la LFSS pour 2004 n’avait pas été adopté, le montant des recettes de la sécurité sociale qui aurait pu être contesté devant les juridictions du fait de l’incompétence des agents se serait élevé à 400 millions d’euros. Mais la Cour estime que le gouvernement ne fournit aucun renseignement sur le mode de calcul ayant abouti à cette somme et que celle-ci n’est qu’une hypothèse fondée sur des recours possibles. La réalité des montants des redressements réellement contestés sur la base de l’illégalité des agréments des agents de contrôle est moindre (131 millions d’euros). La Cour considère que « cette somme ne saurait remettre en cause, à elle seule la pérennité du système de sécurité sociale… et qu’elle n’autorise donc pas le législateur à intervenir en cours de procédure afin d’en sécuriser l’issue » (cons. 54).
Enfin, la CEDH déclare que le constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention constitue une réparation suffisante du préjudice moral de la société Lilly France.
CEDH 25 nov. 2010, Lilly France c. France, n° 20429/07
Références
« Loi votée par le Parlement dont l’objet ou l’effet est de valider rétroactivement des actes juridiques qui n’avait pas été créés valablement sous l’empire d’une loi ancienne, de manière à les rendre définitifs et insusceptibles d’annulation. Ce type de loi est nécessairement, ou naturellement, rétroactif. C’est pourquoi le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme subordonnent leur validité à l’existence “d’impérieux motifs d’intérêt général” ».
■ Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à un procès équitable
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »
■ Civ. 2e, 8 nov. 2006, n°05-13.821.
■ CEDH 9 déc. 1994, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, no 13427/87, § 49.
■ CEDH 28 oct. 1999, Zielinski et Pradal et Gonzales et a. c. France, n° 24846/94, § 57.
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