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[ 21 décembre 2017 ] Imprimer

Droit civil

Loi nouvelle : quand son application au contrat redevient immédiate

Mots-clefs : Loi nouvelle, Application dans le temps, Contrat, Survie de la loi ancienne, Exception, Application de la loi nouvelle, Conditions, Statut légal du contrat, Bail, Droit au renouvellement

La loi nouvelle régissant les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, celle-ci s’applique aux effets non encore produits d’un bail d’habitation.

Le 2 avril 1982, une femme avait pris en location une maison d'habitation acquise ultérieurement par un couple. Le 25 septembre 2014, les bailleurs lui avaient délivré, au visa de l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989, un congé pour reprise au profit de leur fille. La preneuse avait alors soulevé la nullité du congé au motif qu'elle aurait dû bénéficier d'une offre de relogement telle que le prévoit le III de ce texte (le bailleur ne peut s'opposer au renouvellement du contrat en donnant congé dans les conditions définies au paragraphe I ci-dessus à l'égard de tout locataire âgé de plus de 65 ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources fixé par arrêté). La cour d’appel avait accueilli sa demande au motif que bien que le bail ait été conclu antérieurement à la loi nouvelle, celle-ci trouvait néanmoins à s’appliquer aux parties en vertu de la règle selon laquelle les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisés sont régis par la loi en vigueur à la date où ils se produisent. Les bailleurs formèrent un pourvoi en cassation, soutenant principalement que leur congé, se rapportant à un bail souscrit antérieurement à la loi du 6 juillet 1989 reprise par la loi « ALUR » du 24 mars 2014, ne se trouvait pas soumis aux dispositions de ce nouveau texte, demeurant, par sécurité contractuelle, soumis à la loi applicable à la date de sa conclusion. Leur pourvoi est rejeté par la Cour, qui juge qu'ayant retenu, à bon droit, que la loi nouvelle régissant les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, il en résultait que l'article 15 III de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi du 24 mars 2014, était applicable et relève que la locataire étant âgée de 66 ans et disposant de ressources inférieures au plafond en vigueur pour l'attribution des logements locatifs conventionnés, la cour d'appel en a exactement déduit que le congé, qui n'avait pas été assorti d'une offre de relogement, devait être annulé.

Cet arrêt pose la question de l'application dans le temps d’une loi nouvelle à un contrat antérieur à sa promulgation, ici l'application de l'article 14 de la loi du 24 mars 2014 qui a modifié l'article 15 III de la loi de 1989. Par exception au principe d’application immédiate de la loi nouvelle, la loi ancienne s’applique généralement en matière contractuelle, par souci de préserver la sécurité et la prévisibilité des relations engagées sous son empire. Ainsi les effets des conventions conclues antérieurement à la loi nouvelle demeurent-ils soumis, dans leur ensemble, à la loi ancienne. Ils le sont en vertu de deux principes complémentaires mais distincts : les effets passés y restent soumis en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle, les effets futurs, en vertu de celui de la survie de la loi ancienne. Ainsi la loi nouvelle n’a-t-elle pas en principe d’emprise sur les effets passés comme futurs d’un contrat né avant son entrée en vigueur.

En l’espèce, le bail litigieux étant antérieur à l'entrée en vigueur du nouveau texte, ce dernier n’aurait pas dû lui être appliqué. Cependant, l’exception souffre elle-même, concernant les effets contractuels futurs, de plusieurs dérogations, ceux-ci demeurant en effet, parfois, soumis à la loi nouvelle. Ainsi, le législateur peut-il, d’une part, déroger à la survie de la loi ancienne et décider de l’application immédiate de la loi nouvelle aux effets futurs du contrat, privilégiant ainsi ses nouvelles dispositions le juge aux prévisions des parties. C’est qu’ainsi que ce dernier a procédé, ultérieurement à la loi ALUR, avec la loi Macron n° 2015-990 du 6 août 2015 qui a décidé que l'article 15 modifié par la loi du 24 mars 2014 serait dorénavant applicable aux baux en cours. Cependant, cette loi laissait subsister des incertitudes quant à la loi applicable (V. B. Vial-Pedroletti, « Droit transitoire sur droit transitoire : comment concilier les dispositifs Alur et Macron », Loyers et copr. 2015, étude 13). D’autre part le juge, pour appliquer immédiatement la loi nouvelle aux effets futurs d’un contrat, estime parfois que le contenu du contrat est fixé de manière si impérative par la loi que la loi des parties échappe finalement à celles-ci pour se rapprocher, véritablement, d’une situation légale stricto sensu. Assimilé à une situation légale, le contrat voit alors ses effets non encore mis en œuvre régis par la loi nouvelle. Roubier avait d’ailleurs jadis proposé de se référer à la notion de statut légal auquel les parties se soumettaient, sans pouvoir l’aménager autrement par leur volonté. C’est généralement le cas en matière de bail (A. Marais, Introduction au droit, 5e éd., Vuibert). Ainsi la Cour de cassation avait-t-elle pu déjà juger que le droit au renouvellement du bail commercial avait sa source dans la loi et non dans le contrat, en sorte que ce droit « se trouvait, dans ses modalités demeurant à définir, affecté par la loi nouvelle, laquelle régit immédiatement les effets des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées » (Civ. 3e, 13 déc. 1989, n° 88-11.056. V. égal. Civ. 3e, 18 févr. 2009, n° 08-13.143).

En retenant que la loi nouvelle régissant les effets légaux des situations juridiques avait pris naissance avant son entrée en vigueur et que certains n’étaient pas encore définitivement advenus, la Cour de Cassation a considéré que l'article de la loi tendant à améliorer les rapports locatifs relatif à la durée du contrat de location était applicable, et après avoir relevé que la locataire était âgée de 66 ans et disposait de ressources inférieures au plafond en vigueur pour l'attribution des logements locatifs conventionnés. Cette décision prolonge la jurisprudence commerciale précitée et rappelle qu’une semblable analyse peut être reproduite en matière de bail d’habitation (V. Civ. 3e, 17 nov. 2016, n° 15-24.552 ; Civ. 3e, 17 févr. 2010, n° 08-21.360).

 

Civ. 3e, 23 nov. 2017, n° 16-20.475


Références

■ Civ. 3e, 13 déc. 1989, n° 88-11.056 P : D. 1990. 253, obs. L. Rozès.

■ Civ. 3e, 18 févr. 2009, n° 08-13.143 P : D. 2009. 1450, obs. Y. Rouquet, note G. Lardeux.

■ Civ. 3e, 17 nov. 2016, n° 15-24.552 P : D. 2016. 2399 ; ibid. 2017. 1149, obs. N. Damas ; AJDI 2017. 281, obs. N. Damas ; ibid. 157, point de vue F. de La Vaissière ; AJ Contrat 2017. 47, obs. V. Forti ; RTD civ. 2017. 118, obs. H. Barbier.

 

■ Civ. 3e, 17 févr. 2010, n° 08-21.360 P : D. 2010. 710 ; AJDI 2010. 553, obs. Y. Rouquet.

 

Auteur :M. H.


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