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Droit des obligations
Louage d’ouvrage : la contestation exclut la réception
Dans le contrat d’entreprise, la contestation systématique et continue de la qualité des travaux réalisés exclut leur réception tacite par le maître de l’ouvrage.
Civ. 3e, 1er avr. 2021, n° 20-14.975
Un couple avait confié la réfection de son système de chauffage, l’installation d’une pompe à chaleur et la modification corrélative du réseau existant à une entreprise. Les travaux d’installation de la pompe à chaleur avaient été exécutés et payés et les parties étaient convenues que les travaux restants, consistant en la modification du réseau existant, seraient effectués ultérieurement. L’installation ayant fonctionné sans donner pleine satisfaction aux clients, les parties avaient conclu un accord pour la réalisation du reste des travaux. Puis après avoir fait dresser un constat de l’état des travaux effectués, le couple avait adressé à l’entreprise une sommation de procéder à l’adaptation du système de chauffage et assigné, après expertise, le liquidateur judiciaire de l’entreprise et son assureur en indemnisation.
La cour d’appel les débouta de leurs demandes, en l’absence de réception tacite des travaux.
Devant la Cour de cassation, les demandeurs faisaient grief à l’arrêt d’avoir rejeté leurs demandes, au moyen que la prise de possession de l’ouvrage jointe au paiement quasi-intégral des travaux permet de caractériser la réception tacite, indépendamment de l’achèvement des travaux et de l’abandon du chantier par l’entrepreneur. La Cour de cassation rejette leur pourvoi : la cour d’appel ayant constaté que les maîtres de l’ouvrage avaient seulement pris possession de la première partie des travaux réalisés et qu’ils avaient contesté de manière constante la qualité des travaux exécutés et demandé une expertise judiciaire pour établir les manquements de l’entrepreneur, et ainsi souverainement retenu que la volonté des maîtres de l’ouvrage de prendre réception de celui-ci, fût-ce avec réserves, était équivoque, elle a pu en déduire l’absence de réception tacite de l’ouvrage commandé.
La réception est l’acte juridique unilatéral par lequel le maître de l’ouvrage approuve les travaux réalisés par l’entrepreneur et déclare accepter, avec ou sans réserves, l’ouvrage réalisé. Elle est un droit pour le maître de l’ouvrage (celui de vérifier la correcte exécution des travaux), mais également une obligation, susceptible d’être prononcée judiciairement à la demande de l’entrepreneur (C. civ., art. 1792-6).
Soumise au principe de consensualisme, aucune forme n’est en principe requise pour caractériser la réception : la réception peut donc être tacite (Civ. 3e, 12 oct. 1988, n° 87-11.174), à la condition d’être univoque. L’appréciation de la réception tacite relève du pouvoir souverain des juges du fond, lesquels recherchent si la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage est établie. La Cour de cassation a dégagé des règles d’appréciation faisant présumer cette volonté lorsque les deux critères cumulatifs suivants sont réunis :
- la prise de possession de l’ouvrage ;
- le paiement de l’intégralité des travaux
Entérinant une jurisprudence constante sur les éléments constitutifs de la présomption de réception tacite, la Cour de cassation a, par un arrêt de principe du 18 avril 2019, confirme « qu’en vertu de ce texte [l’article 1792-6 du Code civil], la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque de le recevoir avec ou sans réserves », pour censurer la décision d’appel ayant subordonné la réception tacite à la démonstration de la volonté du maître d’ouvrage de le réceptionner sans réserves (Civ. 3e, 18 avr. 2019, n° 18-13.734 ; v. déjà Civ. 3e, 30 janv. 2019, n° 18-10.197 et n° 18-10.699 ; Civ. 3e, 18 mai 2017, n° 16-11.260 ; Civ. 3e, 24 nov. 2016, n° 15-25.415).
La présomption ainsi instaurée par les juges est une présomption simple, qui donc peut être renversée.
Ainsi la Cour de cassation considère-t-elle depuis près d’une décennie que la contestation de la qualité des travaux réalisés conduit à renverser cette présomption. Elle a par exemple refusé de caractériser la réception tacite de l’ouvrage, malgré sa prise de possession par le maître, ce dernier ayant manifesté son refus de recevoir l’ouvrage en introduisant dès l’année suivante une procédure de référé-expertise (Civ. 3e, 12 sept. 2012, n° 09-71.189). Aussi bien a-t-elle considéré qu’en dépit du paiement des travaux, les protestations constantes sur la qualité des travaux par les maîtres d’ouvrages excluaient toute réception tacite (Civ. 3e, 24 mars 2016, n° 15-14.830). Dans le prolongement de cette jurisprudence, elle a récemment précisé, par un arrêt du 4 avril 2019 (Civ. 3e, 4 avr. 2019, n° 18-10.412) que l’abandon du chantier par l’entrepreneur et la contestation systématique et continue de la qualité des travaux font obstacle à ce que le maître d’ouvrage soit réputé avoir réceptionné tacitement une installation.
Bien qu’elle considère, ce que le demandeur au pourvoi avait tenté d’exploiter, que « l’achèvement de la totalité de l’ouvrage n’est pas une condition de la prise de possession d’un lot et de sa réception » (Civ. 3e, 30 janv. 2019, n° 18-10.197 et n° 18-10.699), la Cour de cassation confirme par le présent arrêt que l’abandon de chantier et la contestation systématique et continue de la qualité des travaux renversent la présomption de la réception tacite par le maître d’ouvrage des travaux réalisés.
Le caractère systématique et continu des contestations se présente donc comme un élément déterminant du renversement de la présomption de réception tacite de l’ouvrage (comp., Civ. 3e, 18 avr. 2019, n° 18-13.734, les contestations émises étant dépourvues de ce caractère, la réception tacite est jugée établie), même lorsque se trouvent réunis ces deux éléments constitutifs (Civ. 3e, 4 avr. 2019, n° 18-10.412, préc.) : dès lors qu’elle fait légitimement douter de la volonté non équivoque du maître de recevoir l’ouvrage, la constance de ses contestations constitue un obstacle à une réception tacite, a fortiori exclue en l’espèce par le caractère partiel de la prise de possession de l’ouvrage comme du règlement de son prix.
Références :
■ Civ. 3e, 12 oct. 1988, n° 87-11.174 P
■ Civ. 3e, 18 avr. 2019, n° 18-13.734: D. 2019. 889 ; RDI 2019. 336, obs. B. Boubli
■ Civ. 3e, 30 janv. 2019, n° 18-10.197 et n° 18-10.699: D. 2019. 1269, note J.-P. Storck ; ibid. 1358, chron. A.-L. Collomp, C. Corbel, L. Jariel et V. Georget ; RDI 2019. 216, obs. B. Boubli
■ Civ. 3e, 18 mai 2017, n° 16-11.260: D. 2017. 1122
■ Civ. 3e, 24 nov. 2016, n° 15-25.415: D. 2016. 2464 ; RDI 2017. 144, obs. B. Boubli
■ Civ. 3e, 12 sept. 2012, n° 09-71.189 P
■ Civ. 3e, 24 mars 2016, n° 15-14.830
■ Civ. 3e, 4 avr. 2019, n° 18-10.412
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