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Droit des obligations
Maintien de la notion d’exception inhérente à la dette
La fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en œuvre d’une procédure de conciliation contractuellement prévue ne concernant que les modalités d’exercice de l’action du créancier contre le débiteur principal et non la dette de remboursement elle-même, elle ne constitue pas une exception inhérente à la dette que la caution peut opposer au créancier.
Com. 6 juill. 2022, n° 20-20.085 P
Issu de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, l’avènement de l’article 2298 nouveau du Code civil laissait craindre la disparition de la notion d’exception inhérente à la dette, qui renvoie traditionnellement à l’ensemble des exceptions jugées consubstantielles à la dette elle-même, en opposition à celles considérées comme purement personnelles au débiteur (C. civ., art. 2313 anc.).
En effet, le nouveau texte semblait vider la notion de sa substance, en disposant que « (l) a caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur. C'était oublier le maintien, à deux titres, de cette exception ie inhérente à la dette.
D’une part, dans le régime général de l’obligation, la distinction entre les exceptions inhérentes à la dette (le debitum) et celles personnelles au débiteur (l’obligatio) est conservée, principalement à propos des opérations de cession, de contrat (C. civ., art. 1216-2), de créance (art. 1324) ou de dette (art. 1328), ou bien encore de la technique de la subrogation (art. 1346-5). D’autre part, en droit spécial du cautionnement, dont relève l’article 2298 nouveau, les règles relatives à l’application de la loi dans le temps obligent à retenir cette distinction, suivant la date de conclusion du contrat : l’ordonnance du 15 septembre 2021 ne s’appliquant (sur ce point) qu’aux contrats conclus après le 1er janvier 2022, les cautionnements conclus antérieurement à cette date continuent d’être soumis à l’article 2313 ancien, qui fonde la distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et celles propres au débiteur.
En témoigne l’arrêt ici rapporté. Les faits lui ayant donné lieu étant singulièrement complexes, nous n’en retiendrons que l’essentiel. Assignée en paiement, une société s’étant porté caution d'un prêt oppose au créancier l'irrecevabilité de la demande pour non-respect de la procédure préalable de conciliation prévue par le contrat de prêt. La cour d’appel jugeant au contraire la banque créancière recevable à actionner la caution en paiement, cette dernière soutient devant la Cour de cassation que le non-respect de l’obligation de mettre en œuvre une procédure préalable de conciliation s'analyse en une exception inhérente à la dette, en ce que la stipulation méconnue, indifférente à la personne du souscripteur, concerne directement le sort de la dette principale, dont elle définit les modalités présidant à son admission et à sa mise en exécution, de sorte que son non-respect peut être valablement être opposé au créancier par la caution. Ce moyen est rejeté par la chambre commerciale au visa de l’article 2313 du Code civil : « En statuant ainsi, alors que la fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en œuvre d'une clause contractuelle qui institue une procédure de conciliation, obligatoire et préalable à la saisine du juge, ne concerne, lorsqu'une telle clause figure dans un contrat de prêt, que les modalités d'exercice de l'action du créancier contre le débiteur principal et non la dette de remboursement elle-même dont la caution est également tenue, de sorte qu'elle ne constitue pas une exception inhérente à la dette que la caution peut opposer (…) ».
En indiquant que la fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en œuvre d'une clause de conciliation n'affecte que les modalités d'exercice de l'action du créancier, la chambre commerciale considère donc que cette fin de non-recevoir est purement personnelle au débiteur et non consubstantielle à la dette en elle-même. Déjà retenue (Com., 13 oct. 2015, n° 14-19.734), la solution semble logique. La contractualisation de la procédure de conciliation instituée et voulue par les parties aurait personnalisé l’exception en sorte qu’elle ne peut être vue comme une exception inhérente à la dette.
Néanmoins, l’analyse ne convainc pas pleinement. En quoi la source de l’exception (ici le contrat de prêt) s’oppose-t-elle en soi à voir dans cette clause une exception inhérente à la dette ? La solution aurait-elle été la même si le contrat de prêt avait stipulé une clause relative à la prescription ? N’aurait-elle pas au contraire été jugée, dans ce cas, comme une exception inhérente à la dette ? Et comment comprendre la solution à l’aune de l’article 1216-2 précité, qui définit comme inhérente à la dette l'exception d'inexécution ou la résolution du contrat ? Sauf à considérer que la motivation ici retenue soit purement personnelle à ses auteurs…
Références :
■ Com. 13 oct. 2015, n° 14-19.734 P : D. 2016. 628, note V. Mazeaud ; ibid. 1279, obs. A. Leborgne ; ibid. 1955, obs. P. Crocq ; AJCA 2015. 523, obs. G. Piette ; RTD civ. 2015. 917, obs. P. Crocq ; ibid. 932, obs. P. Théry ; ibid. 2016. 114, obs. H. Barbier ; RTD com. 2016. 177, obs. B. Bouloc.
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