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Droit des obligations
Mandat apparent : application à un contrat d’assurance
Interlocutrice habituelle de son agent général d’assurance, la fille d'une assurée âgée peut apparaître légitime à souscrire un contrat multirisque habitation pour le compte de sa mère sans justifier de sa qualité à agir.
Civ. 2e, 10 nov. 2021, n° 19-25.881
Une cliente avait souscrit par l’intermédiaire d’un agent général d’assurance un contrat multirisque habitation. Après la survenance de deux sinistres successifs, déclarés à l’assureur, l’immeuble avait été vendu au décès de l’assurée par ses héritiers à un acquéreur qui, subrogé dans les droits et actions des vendeurs contre l’assureur, s’était vu opposer par ce dernier une limitation de garantie en application de deux clauses du contrat, dont l’une portait sur l’inoccupation des lieux.
L’acquéreur avait contesté cette limitation contractuelle en ce que le contrat d’assurance avait été régularisé par la fille de l’assurée sans contrôle par l’agent de sa qualité à agir (non-présentation d’un mandat ou d’un quelconque pouvoir de représentation).
Dans son pourvoi, il reprochait à la cour d’appel d’avoir admis l’existence d’un mandat apparent. Il rappelait à cette fin que si la théorie du mandat apparent postule qu’un prétendu mandant peut se voir contractuellement engagé, contre son gré, à l’égard d’un tiers par un intermédiaire ayant excédé ses pouvoirs ou n’en ayant aucun, c’est à la condition que la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire soit légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient ce tiers à ne pas vérifier ses pouvoirs de représentation. Rapportée à l’espèce, cette condition supposerait qu’un professionnel de l’assurance ne serait pas légitime à s’abstenir de vérifier que le signataire adhérant aux conditions particulières d’un contrat était doté d’un pouvoir régulier de représentation remis par l’assuré, sa qualité de professionnel l’obligeant à s’assurer que les clauses de ces conditions particulières ont été effectivement portées à la connaissance du véritable souscripteur.
La Cour de cassation devait ainsi répondre à la question de savoir si la qualité du tiers, en l’occurrence sa profession d’agent général d’assurance, excluait de facto la légitimité de sa croyance dans les pouvoirs de la fille de l’assurée, mandataire apparente.
Elle y répond par la négative, approuvant la cour d’appel qui, par une appréciation souveraine des circonstances propres à l’espèce, a estimé que la cliente, âgée de 102 ans au moment de la régularisation du contrat, ne pouvait se déplacer à l’agence, que sa fille l’avait signé avec la mention « P/O » (ie Pour ordre, indiquant que la personne qui l'a signé n'en a normalement pas le pouvoir et y a donc procédé sur ordre du détenteur dudit pouvoir), qu’elle était l’interlocutrice habituelle de l’agent général et que le lien de filiation n’était pas contestable. Les juges du fond ont ainsi justement considéré comme légitime la croyance de l’agent général d’assurance dans les pouvoirs prétendus de la fille de l’assurée.
Pour simplifier les relations d’affaires, la jurisprudence a découvert, à côté du mandat véritable, le mandat apparent, en vertu duquel une personne se trouve involontairement engagée en qualité de mandant parce qu’un tiers a cru dans le pouvoir de représentation d’un intermédiaire, avec lequel ce tiers a contracté comme si cet intermédiaire était juridiquement le mandataire de la personne représentée contre son gré. À l’effet de protéger les intérêts du tiers victime de cette apparence, le prétendu mandant sera en conséquence tenu d’exécuter les engagements contractés par ce faux mandataire (Com. 21 mars 1995, n° 93-13.132), par dérogation au principe selon lequel un mandant n’est pas obligé envers les tiers pour ce qu’un intermédiaire a accompli sans pouvoir ou en excédant celui qui lui a été confié. Cela étant, cette théorie ne vaut qu’à la condition que la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire soit légitime. Si les contours exacts de cette notion de croyance légitime restent incertains, il ressort toutefois de la jurisprudence ainsi que de la loi en ayant codifié les principaux critères constitutifs qu’outre les circonstances objectives liées à la nature de l’acte lui-même, le juge doit rechercher si, au regard des circonstances entourant sa conclusion, le tiers a pu croire aux pouvoirs vraisemblables du prétendu mandataire ayant déclaré agir au nom d’autrui ou donné à croire qu’il agissait ainsi (C. civ., art. 1156, al. 1 ; adde Ass. plén., 13 déc. 1962, n° 57-11.569). Un critère subjectif, tiré de la bonne foi du tiers, est ainsi également pris en compte. Inhérente à la croyance légitime, la bonne foi est présumée dès lors que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les pouvoirs du mandataire apparent. Légitimistes, ces circonstances doivent être telles que le tiers a pu raisonnablement croire, sans doute possible, que le prétendu mandataire l’était véritablement, et qu’il n’était donc pas nécessaire de vérifier ses pouvoirs, insoupçonnables.
Très diverses, les circonstances retenues par la jurisprudence sont partant insusceptibles d’être énumérées. Cependant, on remarque que la qualité de professionnel de nombreux tiers, en raison de l’obligation de vigilance qu’elle implique, est souvent prise en considération pour exclure la légitimité de leur croyance (v. not. Civ. 1re, 31 janv. 2008, n° 05-15.774 ; Com. 20 mars 2007, n° 06-13.552 ; Com. 6 oct. 2015, n° 14-13.812). L’arrêt rapporté présente alors l’intérêt de rappeler l’absence d’exclusivité de ce critère, qui n’évince pas systématiquement l’hypothèse de la croyance de bonne foi du tiers professionnel à une représentation apparente dès lors qu’un faisceau d’indices concourants, tels que ceux en l’espèce développés par la juridiction du second degré, établit la vraisemblance de la situation à laquelle il s’est fié (v. dans le même sens, Civ. 3e, 4 mai 1982, n° 81-11.415 : les rapports de parenté avec les prétendus mandants et le fait que le mandataire apparent gérait leurs biens depuis longtemps constituent des circonstances autorisant le tiers à ne pas vérifier les pouvoirs de son cocontractant).
La singularité de la solution invite toutefois à apprécier sa portée avec prudence. Dès lors qu’un contrat d’assurance n’est pas directement signé par le souscripteur, il reste recommandé à l’agent général d’assurance de vérifier la capacité à agir du signataire, notamment par la présentation d’un mandat signé par le mandant (comp., le cas de l’agent immobilier, soumis à la règle impérative d’ un mandat écrit, Civ. 1re, 31 janv. 2008, n° 05-15.774) ; en effet, la croyance légitime s’apprécie au regard du standard juridique d’une personne raisonnable, normalement diligent et attentif ou le cas échéant, d’un bon professionnel, compte tenu de sa spécialité.
Références :
■ Com. 21 mars 1995, n° 93-13.132, RTD com. 1995. 838, obs. B. Bouloc
■ Ass. plén., 13 déc. 1962, n° 57-11.569, D. 1963. 277
■ Civ. 1re, 31 janv. 2008, n° 05-15.774, D. 2008. 485, obs. Y. Rouquet ; ibid. 638, chron. P. Chauvin et C. Creton ; AJDI 2008. 879, obs. M. Thioye ; RTD com. 2008. 616, obs. B. Bouloc
■ Com. 20 mars 2007, n° 06-13.552, RTD com. 2007. 423, obs. D. Legeais
■ Com. 6 oct. 2015, n° 14-13.812, Rev. sociétés 2015. 733, obs. S. Prévost
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