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[ 7 janvier 2014 ] Imprimer

Droit des obligations

Mandat d’agent immobilier : vente non conclue, rémunération exclue !

Mots-clefs : Agent immobilier, Mandat, Vente, Condition suspensive, Défaillance, Rémunération, Exclusion

Un agent immobilier ne peut se prévaloir du versement d'une commission si la vente conclue sous condition suspensive n'a pas été effectivement réalisée.

Un mandat de recherche exclusif a été consenti par une personne en vue d'acquérir un bien déterminé. Ce mandat incluait une commission mais également une clause pénale en cas de refus d'acquisition de la part du mandant après une offre présentée aux conditions stipulées. Par la suite, une promesse synallagmatique de vente fut rédigée, sous la condition suspensive de l'obtention d'un prêt immobilier par l'acquéreur. À défaut d'obtention dudit prêt, la vente n’a pu aboutir. L'agence immobilière a alors assigné son mandant en paiement de la somme prévue par la clause pénale litigieuse.

Les juges du fond retiennent que la promesse de vente, négociée et conclue par l'entremise de l'agence, concrétisait la réalisation par celle-ci de ses engagements, sans que le refus d'une unique demande de prêt n'autorise le mandant à se considérer comme délié de ses engagements. Ils en déduisent que la défaillance de la condition suspensive équivalait, de la part du mandant, à un refus d'acquérir que la clause pénale avait pour objet de sanctionner.

Au visa de l'article 6, I, alinéa 3, de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, disposant qu'aucune somme d'argent n'est due, à quelque titre que ce soit, à l'agent immobilier avant que l'opération pour laquelle il a reçu un mandat écrit ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte contenant l'engagement des parties, la Cour de cassation censure cette décision.

Elle énonce « qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la vente n'avait pas été effectivement réalisée, de sorte que l'agent immobilier ne pouvait de prévaloir des dispositions de la clause précitée, laquelle emportait obligation de conclure la vente sauf à payer la somme contractuellement prévue même en l'absence de faute imputable au mandant, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».

« L'obligation contractée sous une condition suspensive est celle qui dépend ou d'un événement futur et incertain, ou d'un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties » (C. civ., art. 1181 et 1168). En effet, la condition suspensive a pour effet de geler l'exécution du contrat tant que l'événement considéré ne se sera pas accompli (il existe, avant la réalisation de la condition, un droit éventuel ou conditionnel). Ainsi, la réalisation de la condition produit un effet rétroactif, c'est-à-dire que le contrat prend effet non pas au jour de cette réalisation, mais depuis le jour de conclusion du contrat (C. civ., art. 1179). À l'inverse, la défaillance de la condition entraînera la caducité du contrat, sauf si cette défaillance trouve sa source dans des circonstances imputables au débiteur (l'article 1178 du Code civil réputant alors la condition accomplie) ou encore lorsque la partie dans l'intérêt exclusif de laquelle la condition a été stipulée y a renoncé (Civ. 3e, 4 nov. 1976. – Civ. 1re, 9 oct. 1991).

Selon le droit commun, la liberté contractuelle permet tout d'abord aux parties de subordonner leur contrat à une condition suspensive choisie par elles, sous la seule limite de l'interdiction des conditions potestatives : ainsi, par exemple, en cas d'achat d'un terrain subordonné à la condition de délivrance d'un permis de construire.

Il arrive aussi que la loi organise elle-même des contrats sous condition suspensive, celle-ci y étant présumée. C'est le cas, par exemple, dans les ventes d'immeubles destinés à l'habitation lorsque l'acquéreur non professionnel entend faire appel à un crédit pour financer son acquisition ; pour éviter que l'acquéreur-emprunteur ne soit engagé avant d'avoir l'assurance de disposer des fonds nécessaires à la réalisation de l'opération immobilière envisagée, l'article L. 312-16 du Code de la consommation prévoit que « l'acte est conclu sous la condition suspensive de l'obtention du ou des prêts qui en assurent le financement » (sous réserve toutefois de la possibilité de dérogation prévue par l'article L. 312-17 du même code).

Mais, au-delà, le dispositif consumériste a des répercussions sur le droit à rémunération de l'agent immobilier qui, investi d'un mandat, a concouru à une opération qui ne s'est pas finalement réalisée. En effet, il résulte des articles 6, I, de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 et 74 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 que l'agent immobilier ne peut réclamer « aucun bien, effet, valeur, somme d'argent, représentatif de commissions, de frais de recherche, de démarche, de publicité ou d'entremise quelconque » lorsque l'opération n'est pas effectivement conclue à cause, notamment, de la défaillance d'une condition suspensive qui y était insérée (D. n° 72-678, 20 juill. 1972, art. 74 : « lorsque l'engagement des parties contient (...) une condition suspensive, l'opération ne peut être regardée comme effectivement conclue par l'application du dernier alinéa du I de l'article 6 de la loi (...) du 2 janvier 1970 (...) tant que la condition suspensive n'est pas réalisée »).

Il existe ainsi un lien de dépendance, ici rappelé, entre la rémunération de l'agent immobilier et, le cas échéant, la réalisation de la condition suspensive d'obtention du prêt, l'échec de cette dernière entraînant l'absence de la première.

Soulignons enfin que la rémunération de l'agent immobilier en cas de défaillance de la condition suspensive demeure exclue même lorsque celle-ci est imputable à l'acquéreur (V. notam. Com. 15 déc. 1987. – Civ. 1re, 7 juin 1988).

Civ. 1re, 27 nov. 2013, n°12-13.897

Références

■ Civ. 3e, 4 nov. 1976Bull. civ. 1976, III, n° 382.

 Civ. 1re, 9 oct. 1991, Bull. civ. 1991, I, n° 250.

■ Com. 15 déc. 1987Bull.civ., IV, n° 271.

■ Civ. 1re, 7 juin 1988Bull. civ., I, n° 170.

■ Article 6-1, alinéa 3, de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970

« I - Les conventions conclues avec les personnes visées à l'article 1er ci-dessus et relatives aux opérations qu'il mentionne en ses 1° à 6°, doivent être rédigées par écrit et préciser conformément aux dispositions d'un décret en Conseil d'État : 

Les conditions dans lesquelles ces personnes sont autorisées à recevoir, verser ou remettre des sommes d'argent, biens, effets ou valeurs à l'occasion de l'opération dont il s'agit ; 

Les modalités de la reddition de compte ; 

Les conditions de détermination de la rémunération, ainsi que l'indication de la partie qui en aura la charge. 

Les dispositions de l'article 1325 du code civil leur sont applicables. 

Aucun bien, effet, valeur, somme d'argent, représentatif de commissions, de frais de recherche, de démarche, de publicité ou d'entremise quelconque, n'est dû aux personnes indiquées à l'article 1er ou ne peut être exigé ou accepté par elles, avant qu'une des opérations visées audit article ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte écrit contenant l'engagement des parties. 

Toutefois, lorsqu'un mandat est assorti d'une clause d'exclusivité ou d'une clause pénale ou lorsqu'il comporte une clause aux termes de laquelle une commission sera due par le mandant, même si l'opération est conclue sans les soins de l'intermédiaire, cette clause recevra application dans les conditions qui seront fixées par décret. 

Lorsque le mandant agit dans le cadre de ses activités professionnelles, tout ou partie des sommes d'argent visées ci-dessus qui sont à sa charge peuvent être exigées par les personnes visées à l'article 1er avant qu'une opération visée au même article n'ait été effectivement conclue et constatée. La clause prévue à cet effet est appliquée dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. 

II - Entre la personne qui se livre à l'activité mentionnée au 7° de l'article 1er et son client, une convention est établie par écrit. Cette convention dont, conformément à l'article 1325 du code civil, un original est remis au client précise les caractéristiques du bien recherché, la nature de la prestation promise au client et le montant de la rémunération incombant à ce dernier. 

Aucune somme d'argent ou rémunération de quelque nature que ce soit n'est due à une personne qui se livre à l'activité mentionnée au 7° de l'article 1er ou ne peut être exigée par elle, préalablement à la parfaite exécution de son obligation de fournir effectivement des listes ou des fichiers, que cette exécution soit instantanée ou successive. »

■ Article 74 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972

« Lorsque l'engagement des parties contient une clause de dédit ou une condition suspensive, l'opération ne peut être regardée comme effectivement conclue par l'application du dernier alinéa du I de l'article 6 de la loi susvisée du 2 janvier 1970 s'il y a dédit ou tant que la faculté de dédit subsiste ou tant que la condition suspensive n'est pas réalisée. »

■ Code civil

Article 1181

« L'obligation contractée sous une condition suspensive est celle qui dépend ou d'un événement futur et incertain, ou d'un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties. 

Dans le premier cas, l'obligation ne peut être exécutée qu'après l'événement. 

Dans le second cas, l'obligation a son effet du jour où elle a été contractée. »

Article 1168

« L'obligation est conditionnelle lorsqu'on la fait dépendre d'un événement futur et incertain, soit en la suspendant jusqu'à ce que l'événement arrive, soit en la résiliant, selon que l'événement arrivera ou n'arrivera pas. »

Article 1178

« La condition est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement. »

Article 1179

« La condition accomplie a un effet rétroactif au jour auquel l'engagement a été contracté. Si le créancier est mort avant l'accomplissement de la condition, ses droits passent à son héritier. »

■ Code de la consommation

Article L. 312-16

« Lorsque l'acte mentionné à l'article L. 312-15 indique que le prix est payé, directement ou indirectement, même partiellement, à l'aide d'un ou plusieurs prêts régis par les sections 1 à 3 et la section 5 du présent chapitre, cet acte est conclu sous la condition suspensive de l'obtention du ou des prêts qui en assument le financement. La durée de validité de cette condition suspensive ne pourra être inférieure à un mois à compter de la date de la signature de l'acte ou, s'il s'agit d'un acte sous seing privé soumis à peine de nullité à la formalité de l'enregistrement, à compter de la date de l'enregistrement. 

Lorsque la condition suspensive prévue au premier alinéa du présent article n'est pas réalisée, toute somme versée d'avance par l'acquéreur à l'autre partie ou pour le compte de cette dernière est immédiatement et intégralement remboursable sans retenue ni indemnité à quelque titre que ce soit. A compter du quinzième jour suivant la demande de remboursement, cette somme est productive d'intérêts au taux légal majoré de moitié. »

Article L. 312-17

« Lorsque l'acte mentionné à l'article L. 312-15 indique que le prix sera payé sans l'aide d'un ou plusieurs prêts, cet acte doit porter, de la main de l'acquéreur, une mention par laquelle celui-ci reconnaît avoir été informé que s'il recourt néanmoins à un prêt il ne peut se prévaloir du présent chapitre. 

En l'absence de l'indication prescrite à l'article L. 312-15 ou si la mention exigée au premier alinéa du présent article manque ou n'est pas de la main de l'acquéreur et si un prêt est néanmoins demandé, le contrat est considéré comme conclu sous la condition suspensive prévue à l'article L. 312-16. »

 

Auteur :M. H.


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