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Procédure pénale
Mandat d’arrêt européen : mesure de sûreté subie à l’étranger et déduction de la peine privative de liberté
La mesure de « bail with curfew electronically monitored (« couvre feu avec surveillance électronique ») appliquée en Grande-Bretagne peut être assimilée à une assignation à résidence sous surveillance électronique, dont la durée est déductible de celle de la peine d'emprisonnement prononcée, dans les conditions de l'article 142-11 du Code de procédure pénale.
Crim. 17 mars 2021, no 20-84.365
Deux prévenus arrêtés au Royaume-Uni en exécution de mandats d'arrêt européens émis par un juge d'instruction parisien furent placés en détention provisoire puis subirent une mesure de « bail with curfew electronically monitored » jusqu’à leur remise aux autorités françaises. Par la suite, ils furent condamnés, en France, pour infraction à la législation sur les étrangers et d'association de malfaiteurs, à une peine de trois ans d'emprisonnement et 50 000 euros d'amende. Ils formèrent alors une requête en difficulté d'exécution de leur jugement de condamnation, afin qu'il soit jugé que la période pendant laquelle ils avaient fait l'objet, au Royaume-Uni, d'une mesure restrictive de liberté, fut déduite de la durée de la peine d'emprisonnement restant à purger au titre de la condamnation prononcée en France. Par jugement du 5 juin 2020, le tribunal correctionnel de Paris accueillit leur demande et décida que la période en cause (de presque 3 mois), devait être déduite de l'emprisonnement restant à accomplir au même titre que les 32 jours de détention provisoire subis au Royaume-Uni.
Saisie par le parquet, la cour d’appel de Paris confirma ce jugement et décida à son tour qu’il fallait, au regard de la jurisprudence européenne relative à l’article 26, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584/JAI relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (CJUE 28 juill. 2016, J. Z., C-294/16 PPU), assimiler la mesure de « bail with curfew conditions » à de la détention provisoire et déduire sa durée de la peine d’emprisonnement prononcée.
Pour contredire cette appréciation, le parquet général, auteur du pourvoi, faisait valoir tout à la fois l’article 716-4 du Code de procédure pénale et la décision-cadre précitée. Ainsi selon lui, l’article 716-4 établirait une distinction entre la détention provisoire effectuée en France et l’incarcération imposée hors de France en exécution d’un mandat d’arrêt européen, qui empêcherait d’analyser une mesure de sûreté étrangère au prisme des règles applicables à la détention provisoire en France. Par ailleurs, la CJUE, dans son arrêt J. Z. du 28 juillet 2006, aurait expressément exclu de la qualification de « détention » au sens de l’article 26 de la décision-cadre 2002/584/JAI une mesure d’assignation à résidence assortie d’une surveillance au moyen d’un bracelet électronique, faute pour une telle mesure d’avoir un effet « privatif » sur la liberté de la personne concernée. Et il incomberait en tout état de cause au seul État d’exécution du mandat d’arrêt européen de préciser la durée de la détention subie sur son territoire en conformité avec sa propre législation.
Fallait-il s’en tenir au périmètre du droit anglais ou, au contraire, se fonder sur le droit français pour analyser la nature et les effets de la mesure de sûreté subie à l’étranger ? La chambre criminelle, en rejetant le pourvoi, fait pencher la balance en faveur de la seconde solution, qui entraine donc l’imputation de la durée de la mesure de « bail with curfew conditions » sur celle de la peine d’emprisonnement prononcée, par une application combinée des article 142-11 et 716-4 du Code de procédure pénale.
Pour ce faire, la Cour de cassation relève que les juges du fond ont précisément analysé la mesure de « bail with curfew electronically monitored » pour savoir si elle pouvait être qualifiée de « détention » au sens de l’article 16 de la décision-cadre, en recherchant en particulier si, au regard de son intensité, elle pouvait être comparée ou non à une incarcération. Ainsi, après une détention de 32 jours, les intéressés ont été soumis à une mesure de mise en liberté sous caution assortie d’un couvre-feu imposé sur leur lieu de résidence de 22 heures à 5 heures le lendemain et contrôlé de manière électronique, outre l'interdiction de se rendre dans certains lieux et un pointage quotidien au commissariat, étant précisé que le port d’un bracelet électronique à la jambe et l’obligation d’avoir leur téléphone allumé constituaient des obligations permanentes. Ils en ont déduit que, même si le droit anglais n’assimilait pas ce type de mesure à une privation de liberté (le droit anglais se fondant pour cela sur la seule durée du couvre-feu, inférieure à 9 heures), il y avait lieu, en droit français, de l’assimiler à une mesure d'assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE), laquelle n’opère aucune distinction selon la durée quotidienne de l'obligation de rester au domicile (V. C. pr. pén., art. 142-5 s. ). Or l’article 142-11 du Code de procédure pénale disposant expressément que « l'assignation à résidence avec surveillance électronique est assimilée à une détention provisoire pour l'imputation intégrale de sa durée sur celle d'une peine privative de liberté, conformément à l'article 716-4 », lequel « ne distingue pas selon que la mesure de détention provisoire est effectuée en France ou qu’elle est imposée sous la forme d’une incarcération provisoire, en exécution d’un mandat d’arrêt européen, lorsqu’il prévoit cette déduction » (pour la détention provisoire subie à l’étranger, V. Crim. 5 oct. 2011, no 11-90.087 ; Crim. 13 mars 2013, no 12-83.024), ils en ont déduit que la durée de la mesure de « bail with curfew conditions » subie au Royaume-Uni s’imputait bien sur celle de la peine d’emprisonnement prononcée.
Pour la chambre criminelle, la cour d’appel a justifié sa décision en appréciant, après un débat contradictoire, les circonstances de la cause au vu des informations produites par l’État d’exécution du mandat d’arrêt européen portant sur le détail des mesures imposées. L’État d’émission n’est donc pas lié par la qualification juridique étrangère, ce qui préserve sa souveraineté (et sert ici les intérêts des personnes concernées, puisque la solution opère in favorem). Le terme de « détention » de l'article 26 de la décision-cadre est une notion autonome du droit de l'Union et il est vrai qu’en 2006, la CJUE avait refusé cette qualification à une mesure de « bail with curfew conditions ». Mais la Cour de Luxembourg avait énoncé que la mesure n'était pas, « en principe, eu égard au genre, à la durée, aux effets et aux modalités d'exécution de l'ensemble », contraignante au point d'être comparable à une incarcération. Face à des modalités plus contraignantes telles qu’en l’espèce, la qualification de mesure privative de liberté pouvait donc s’appliquer, et emporter la conséquence prévue par l’article 26, paragraphe 1.
Références
■ Rép. pén. Dalloz, vo Mandat d’arrêt européen, par J. Lelieur, nos 178 s.
■ CJUE 28 juill. 2016, J. Z., C-294/16 PPU : D. 2016. 1703 ; RTD eur. 2017. 364, obs. F. Benoît-Rohmer
■ Crim. 5 oct. 2011, no 11-90.087 P: D. 2011. 2477 ; ibid. 2811, chron. N. Maziau ; AJ pénal 2012. 356, obs. M. Herzog-Evans
■ Crim. 13 mars 2013, no 12-83.024 P : Dalloz actualité, 15 avr. 2013, obs. S. Fucini ; D. 2013. 915 ; AJ pénal 2013. 425, obs. J. Lasserre Capdeville
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