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[ 8 janvier 2018 ] Imprimer

Droit commercial et des affaires

Mandat de gestion : appréciation du préjudice

Mots-clefs : Marchés financiers, Mandat de gestion, Dépassement de mandat, Faute, Préjudice, Contours, Appréciation

Le préjudice causé par le non-respect d'un mandat de gestion est constitué par les pertes financières nées des investissements faits en dépassement du mandat.

Un investisseur avait confié à une société de gestion de patrimoine un mandat dont l’objet était « d'obtenir la valorisation du capital confié sans prendre de risque », avec une gestion prudente et en vue de l'obtention d'une performance régulière ; l'offre de gestion préconisant un « profil prudent investi à 100 % en obligations convertibles de bonne qualité ». 

Deux ans après que la société de gestion eût investi pour le compte de l’investisseur dans des obligations émises par l'État grec, ce dernier avait résilié le mandat et cédé les titres. Ayant constaté une moins-value qu'il estimait avoir été fautivement causée par la société de gestion, l’investisseur avait alors assigné celle-ci en réparation de son préjudice et obtenu gain de cause en appel. La société de gestion forma un pourvoi en cassation, reprochant principalement aux juges du fond de l’avoir condamnée pour avoir causé un préjudice constitué par les pertes financières subies par son client sans avoir, à tort, tenu compte des résultats satisfaisants de la gestion de l’ensemble du portefeuille, alors même qu’un préjudice financier subi par un investisseur doit, pour être caractérisé, être apprécié en considération de la globalité du portefeuille géré qui constitue une universalité et doit être traité comme un tout indivisible. 

La Cour de cassation rejette son pourvoi, jugeant que le préjudice causé par le non-respect d'un mandat de gestion est constitué par les pertes financières nées des investissements faits en dépassement du mandat, indépendamment de la valorisation éventuelle des autres fonds investis et de l'évolution globale du reste du portefeuille géré conformément au mandat. Or, après avoir retenu que certains des titres choisis par la société ne répondaient pas aux orientations du mandat de gestion prudente, à l'absence de tout risque expressément stipulé par l’investisseur et à la catégorie des obligations de bonne qualité définies par l'une des agences mentionnées dans l'offre de gestion, ce dont elle avait déduit que la société de gestion n'avait pas respecté son mandat, la cour d'appel avait, à bon droit, décidé que le préjudice causé par la faute ainsi caractérisée était constitué par la perte financière constatée lors de la cession des titres litigieux et par celle de tout rendement de ces investissements. 

Le dépassement du mandat est une faute de gestion qui engage la responsabilité civile du mandataire (Com. 13 mai 1997, n° 95-13-212. Civ. 1re, 11 mai 1999, n° 97-10.802). L’hypothèse la plus courante, qui était aussi celle de l’espèce, vise le détournement, par le mandataire, d’un mandat de gestion classique « prudent » ou « équilibré » en une gestion en fait spéculative et risquée. En effet, un tel changement d'orientation nécessite en principe une autorisation expresse du client : « avant de modifier l'orientation de la gestion, il appartenait au (gestionnaire) de faire signer un nouveau mandat de gestion qui lui était confié » (CA Paris, 20 oct. 2006, SA Sedec Finance c/ O, n° 05/06360), faute de quoi ce dernier est tenu de dénoncer le contrat et non de continuer à opérer une gestion non conforme à l'objectif initial (CA Paris, 25 mai 2007, SA Crédit Lyonnais c/ B, n° 05/22074). En sa qualité de professionnel, le gestionnaire de portefeuille est ainsi tenu de respecter les termes du mandat de gestion ; en investissant au-delà des termes et limites convenus au contrat, il commet un dépassement de mandat. 

En l’espèce, le gestionnaire avait violé les termes du mandat de gestion prudente et sans risque qu’il avait signé avec son client. Ainsi sa faute était-elle, sans aucun doute, caractérisée. Concernant le préjudice subi en conséquence par l’investisseur, il est, comme le reflète la décision rapportée, généralement matériel et constitué par la perte financière éprouvée, correspondant à la moins-value accusée par le portefeuille géré et/ou un gain manqué constitué par la différence entre la valeur du portefeuille du client et celle qui aurait été la sienne si le gestionnaire n'avait pas commis de faute. Enfin, s’agissant de l’appréciation du préjudice, nécessaire à son évaluation, ce dernier doit, en application du droit commun de la responsabilité civile, être certain, direct et prévisible. L’exigence du premier de ces caractères, la certitude du dommage, explique le refus des juges, dans cette affaire, de tenir compte « de la valorisation éventuelle des autres fonds investis et de l’évolution globale du reste du portefeuille géré conformément au mandat ». Dans la mesure où la notion de préjudice certain exclut que sa concrétisation soit soumise à la réalisation d'un élément éventuel, la reconstitution a posteriori des valeurs de ce portefeuille aurait, précisément, été purement hypothétique. Alors que le gestionnaire avait fondé la thèse de son pourvoi sur la nécessité de prendre en compte les plus-values réalisées sur certaines lignes du portefeuille géré, en ce qu’elles auraient été susceptibles de compenser les moins-values résultant de la dépréciation des obligations grecques, la Cour de cassation la condamne au nom de l’exigence classique de la certitude du préjudice, le gestionnaire étant à ce titre tenu d'indemniser le préjudice certain subi par son client, résultant à la fois de la perte en capital et d’une perte de rendement du fait de la moins-value réalisée lors de la cession des obligations grecques, sans que ces pertes manifestement éprouvées puissent être compensées par d’éventuels avantages financiers dont l’évaluation actuelle ne pouvait être qu’incertaine.

Com. 6 déc. 2017, n° 16-23.991

Références

■ Com. 13 mai 1997, n° 95-13-212 P.

■ Civ. 1re, 11 mai 1999, n° 97-10.802 P.

■ CA Paris, 20 oct. 2006, SA Sedec Finance c/ O, n° 05/06360.

■ CA Paris, 25 mai 2007, SA Crédit Lyonnais c/ B, n° 05/22074.

 

Auteur :Merryl Hervieu

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