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Droit des personnes
Mandat de protection future : sa cessation peut être ordonnée par le juge
Lorsque la protection des intérêts patrimoniaux de la personne n’est pas assurée, le juge peut révoquer un mandat de protection future et lui substituer une mesure de protection judiciaire.
Un homme avait conclu un mandat de protection future désignant son épouse en qualité de mandataire. Conformément à ce que permet une telle mesure, conférant à la personne le pouvoir d’organiser elle-même et à l’avance les modalités de sa protection par un tiers pour le jour où elle ne sera plus capable de gérer seule ses affaires, le mandat avait été mis à exécution au jour où le mandant n’avait plus pu pourvoir seul à la gestion de ses intérêts, soit deux ans après sa conclusion. Née d’un premier lit, la fille du mandant avait, à peine un mois plus tard la prise d’effet du mandat, dénoncé l’insuffisance de protection, par sa belle-mère, des intérêts patrimoniaux de son père et sollicité l’ouverture d’une mesure de protection judiciaire qui se substituerait au mandat.
La cour d’appel accueillit sa demande. Après avoir constaté que la mise en œuvre du mandat ne permettait effectivement pas de garantir le respect des intérêts patrimoniaux du mandant, elle prononça l’ouverture d’une mesure de curatelle renforcée, et désigna un organisme habilité en qualité de curateur.
A l’appui de leur pourvoi en cassation, les époux se prévalaient de l’article 12 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées et de l’article 428 du Code civil pour soutenir que les mesures relatives à l'exercice de la capacité juridique doivent respecter les droits, la volonté et les préférences de la personne concernée, en sorte qu'un mandat de protection future ne peut être écarté qu'en présence d'une atteinte effective et prouvée aux intérêts de cette personne ; or en l’espèce, aucune atteinte aux intérêts patrimoniaux du mandant nécessitant la mise en place d’une curatelle renforcée n’avait été effectivement constatée. Ils rappelaient également le principe de nécessité de toute mesure judiciaire de protection de l’incapacité pour contester qu'une mesure de cette nature eût été ordonnée alors que le mandat conclu suffisait à pourvoir aux intérêts de l'intéressé.
La Haute juridiction rejette le pourvoi, confirmant l’analyse des juges du fond appuyée sur la pluralité des manquements imputables à l’épouse mandataire dans l’administration des biens du mandant : retard dans l’inventaire des biens, de surcroît lacunaire en raison de l’absence de mention des engagements financiers souscrits ; redressement fiscal du mandant à la suite de l’oubli de la déclaration d’ISF sur deux années consécutives ; situation d’un de ses biens immobiliers inconnue ; placements, revenus financiers et mouvements bancaires omis et/ou non justifiés ; débits conséquents effectués sans affectation déclarée et sans utilisation justifiée. Rappelant qu’en vertu de l’article 483, 4° du Code civil, la révocation du mandat de protection future peut être prononcée par le juge des tutelles lorsque son exécution est de nature à porter atteinte aux intérêts du mandant et qu’aux termes de l’article 485, alinéa 1er, du même code, le juge qui met fin au mandat peut ouvrir une mesure de protection juridique, la Cour juge que c’est à bon droit que les juges du fond ont en l’espèce ordonné l’ouverture d’une mesure de curatelle renforcée. En revanche, elle désigne l’épouse en qualité de curatrice, au regard des soins personnels apportés à son conjoint.
Grande innovation de la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007, le mandat de protection future permet à toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l’objet d’une mesure de tutelle de charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter pour le cas où elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts (C. civ., art. 477).
Soumise à des règles spéciales, cette mesure conventionnelle d’anticipation de l’incapacité n’en demeure pas moins un contrat de mandat au sens commun du terme, conclu entre le mandant (la personne qui anticipe l’altération de ses facultés) et le mandataire (celui qui gérera ses intérêts personnels et/ou patrimoniaux). Reposant par conséquent sur le principe de liberté contractuelle et celui, subséquent, de non-immixtion du juge dans le contrat, le juge des tutelles ne peut donc pas modifier le contenu du mandat ou restreindre les pouvoirs du mandataire tels qu’ils auront été conventionnellement définis. Cependant, la spécificité de l’objet de ce contrat – la protection patrimoniale et/ou personnelle des intérêts d’une personne juridiquement capable mais médicalement diminuée, suppose d’apporter certains tempéraments à ces principes commun. C’est ainsi que le juge des tutelles, quoique lié par les termes du mandat, détient un pouvoir de contrôle sur son exécution (V. Droit de la famille, F. Lefebvre, Memento pratique, 55115). Ainsi peut-il, notamment, le révoquer, à la demande de tout intéressé et dans certaines situations, limitativement énumérées (C. civ., art. 483).
Cette révocation est possible dans trois cas (V. Droit de la famille, op. cit., 55160): si les facultés personnelles du mandant sont suffisamment ou pleinement recouvrées ; si les règles du droit commun de la représentation ou celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et aux régimes matrimoniaux apparaissent suffisantes pour qu’il soit pourvu aux intérêts de la personne par son conjoint avec qui la communauté de vie n’a pas cessé ; enfin, si l’exécution du mandat est, comme en l’espèce, de nature à porter atteinte aux intérêts du mandant.
Civ. 1re, 17 avr. 2019, n° 18-14.250
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz : Mandat de protection future
■ Convention relative aux droits des personnes handicapées
Article 12
« Reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité
Les États Parties réaffirment que les personnes handicapées ont droit à la reconnaissance en tous lieux de leur personnalité juridique.
Les États Parties reconnaissent que les personnes handicapées jouissent de la capacité juridique dans tous les domaines, sur la base de l’égalité avec les autres.
Les États Parties prennent des mesures appropriées pour donner aux personnes handicapées accès à l’accompagnement dont elles peuvent avoir besoin pour exercer leur capacité juridique.
Les États Parties font en sorte que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique soient assorties de garanties appropriées et effectives pour prévenir les abus, conformément au droit international des droits de l’homme. Ces garanties doivent garantir que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique respectent les droits, la volonté et les préférences de la personne concernée, soient exemptes de tout conflit d’intérêt et ne donnent lieu à aucun abus d’influence, soient proportionnées et adaptées à la situation de la personne concernée, s’appliquent pendant la période la plus brève possible et soient soumises à un contrôle périodique effectué par un organe compétent, indépendant et impartial ou une instance judiciaire. Ces garanties doivent également être proportionnées au degré auquel les mesures devant faciliter l’exercice de la capacité juridique affectent les droits et intérêts de la personne concernée.
Sous réserve des dispositions du présent article, les États Parties prennent toutes mesures appropriées et effectives pour garantir le droit qu’ont les personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, de posséder des biens ou d’en hériter, de contrôler leurs finances et d’avoir accès aux mêmes conditions que les autres personnes aux prêts bancaires, hypothèques et autres formes de crédit financier; ils veillent à ce que les personnes handicapées ne soient pas arbitrairement privées de leurs biens. »
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