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[ 17 mars 2017 ] Imprimer

Droit des obligations

Mandat immobilier : un revirement motivé par la réforme du droit des contrats

Mots-clefs : Vente immobilière, Mandat, Agent immobilier, Conditions de forme, Violation, Sanction, Protection du mandant, Nullité relative, Motivation, Réforme du droit des contrats

L’évolution du droit des obligations ainsi que du nouveau contexte légal renforçant la protection du locataire justifie de considérer que les prescriptions de forme du mandat édictées par la loi Hoguet visent non plus la protection de l’intérêt général mais seulement celle du mandant dans ses rapports avec le mandataire.

Opérant un revirement de jurisprudence, la chambre mixte vient de juger que les dispositions des articles 7, alinéa 1er de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, dite loi Hoguet, et 72, alinéa 5, du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, visent la seule protection du mandant dans ses rapports avec le mandataire et que leur méconnaissance doit être sanctionnée par la nullité.

En l’espèce, un locataire s’était vu délivrer un congé pour vente du lieu loué par l’intermédiaire d’un agent immobilier, mandaté par le bailleur. Cet agent était titulaire d’un mandat d’administration et de gestion du bien donné à bail, à usage d’habitation, comportant le pouvoir de « donner tous congés ». Le terme du bail approchant, et après concertation avec l’agent immobilier, le propriétaire lui avait indiqué, dans une lettre, qu’il le mandatait pour vendre l’appartement moyennant un certain prix et pour délivrer congé au locataire. Celui-ci avait alors assigné le bailleur en nullité du congé, invoquant la violation des prescriptions formelles de la loi Hoguet et de son décret d’application. Il faisait en ce sens plus particulièrement valoir que l’agent immobilier ne justifiait pas d’un mandat spécial pour délivrer congé pour vente du lieu loué et qu’en toute hypothèse, la lettre le mandatant ne mentionnait pas la durée du mandat et ne comportait pas le numéro d’inscription du mandat, en violation des dispositions précitées. L’arrêt de la cour d’appel attaqué par le pourvoi rejeta l’ensemble des demandes du locataire. 

La question principale soumise à la formation solennelle de la Cour de cassation portait sur le point de savoir si le locataire pouvait se prévaloir de la violation des prescriptions formelles édictées par la loi du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce ainsi que de son décret d’application, pour voir juger l’inefficacité à son endroit du congé qui lui aurait été délivré à l’appui d’un mandat nul. 

Une réponse positive s’imposait a priori sur le fondement d’une jurisprudence établie et unie de la première et troisième chambres civiles énonçant qu’il résulte des articles 1er et 6 de ladite loi que les conventions conclues avec des personnes physiques ou morales se livrant ou prêtant d’une manière habituelle leur concours aux opérations portant sur les biens d’autrui doivent respecter les conditions de forme prescrites par l’article 72 du décret du 20 juillet 1972 à peine de nullité absolue, laquelle peut en conséquence être invoquée par toute partie y ayant intérêt (Civ. 1re, 25 févr. 2003, n° 01-00.461 ; Civ. 3e, 8 avr. 2009, n° 07-21.610), et donc par un locataire pourtant tiers au contrat de mandat. 

La solution était fondée sur le but d’intérêt général en partie poursuivi par la loi Hoguet, celui de réglementer et d’assainir la profession d’agent immobilier, prédominant celui de protéger l’intérêt privé de leurs clients. Les règles de forme ayant pour objet de préserver l’intérêt général, la nullité était absolue et pouvait, en conséquence, être invoquée par tout intéressé. 

Changeant sa position, la chambre mixte de la Cour de cassation considère, par le présent arrêt, que la protection du locataire étant désormais assurée et même renforcée par d’autres lois, dont deux récentes (L. n° 89-462 du 6 juill. 1989 : indication du motif de congé , droit de préemption et préavis ; L. n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et à un urbanisme rénové et L. n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques lesquelles ont, notamment, allongé dans certains cas le délai de préavis et prévu une notice d’information). L’évolution du contexte législatif doit conduire à considérer que les prescriptions formelles de la loi Hoguet visent seulement à protéger le mandant dans ses rapports avec le mandataire. Et la Cour de motiver sa nouvelle solution par l’évolution du droit des obligations, telle qu’elle résulte de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, laquelle doit la conduire, énonce-t-elle, à apprécier différemment l’objectif poursuivi par le législateur à travers les dispositions de la loi Hoguet en cernant, plus précisément, celui de chacune des dispositions légales, dont celle invoquée en l’espèce, de pure protection donc, et relevant à ce titre de la nullité. 

Cette motivation est remarquable car si l’ordonnance a donné une assise légale à la distinction entre nullité absolue et nullité relative, celle-ci était de longue date retenue par la jurisprudence. En outre, l’ordonnance ne se prononce quant à la nature de la nullité en cas de manquement à une exigence de forme du mandat (C. civ., art. 1172, al. 2). Surtout, l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations précise que si les nouveaux textes du Code civil entrent en vigueur au 1er octobre 2016, les contrats conclus avant cette date restent par principe soumis à la loi ancienne. Ainsi la Cour, plutôt que de justifier son revirement par la seule instauration légale de nouveaux mécanismes de protection du locataire, prend-elle soin de faire référence à la nouvelle ordonnance, pourtant inapplicable aux contrats anciens. Ainsi décide-t-elle, non sans surprise, d’interpréter d’anciennes dispositions à la lumière de dispositions nouvelles formellement inapplicables, renforçant ainsi la portée de la dernière réforme même si celle-ci ne modifie pas, concernant la théorie moderne des nullités, l’état du droit antérieur. Il n’en reste pas moins que les juges modifient ici leur position, relative à d’anciens textes dont ils renouvellent l’orientation, au regard de dispositions nouvelles a priori inapplicables à la cause et au recours, également remarquable, de la nouvelle méthode de motivation des Hauts magistrats les conduisant à resituer leur raisonnement dans leur cadre jurisprudentiel antérieur(V. déjà : Com. 22 mars 2016, n° 14-14.218), ainsi qu’au contrôle de proportionnalité des intérêts en présence, jugeant en l’espèce que les dispositions protectrices du locataire assurent un juste équilibre entre les intérêts de ce dernier et ceux du bailleur. 

Ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 15-20.411

Références

■ Civ. 1re, 25 févr. 2003, n° 01-00.461.

■ Civ. 3e, 8 avr. 2009, n° 07-21.610 P, D. 2009. 1142 ; AJDI 2009. 890, obs. M. Thioye.

■ Com. 22 mars 2016, n° 14-14.218 P, D. 2016. 704 ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki ; RTD civ. 2016. 343, obs. H. Barbier ; RTD com. 2016. 317, obs. B. Bouloc.

■ V. La réforme du droit des obligations, G. Chantepie et M. Latina, Dalloz 2016, spéc. n° 458.

 

Auteur :M. H.

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