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[ 30 janvier 2013 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Manifestation des convictions religieuses dans l’entreprise

La Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt du 15 janvier 2013 regroupant quatre requêtes, est venue préciser au regard des articles 9 (liberté de religion) et 14 (principe de non-discrimination) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sa jurisprudence relative d’une part, à la liberté de religion et de son exercice au sein de l’entreprise, et d’autre part, aux restrictions que peuvent imposer l’État et l’employeur.

Si la liberté de religion est un droit prévu à l’article 9 § 1er de la Conv. EDH, la liberté de manifester sa religion (individuellement ou collectivement, en privé ou en public), protégée par l’article 9 § 2, peut, quand elle, faire l’objet de restrictions. Ainsi les atteintes portées à cette liberté pourront trouver leur justification, notamment, lorsque la mesure prise aura pour but d’assurer le respect des convictions de chacun (concernant le rôle de l’État en tant qu’organisateur neutre et impartial de l’exercice des différentes religions : v. CEDH, gr. ch., 10 nov. 2005, Leyla Sahin c/ Turquie, et CEDH 25 mai 1993, Kokkinakis c/ Grèce, relatif au prosélytisme).

Les formes de manifestation de la religion protégées par l’article 9 § 1er  sont uniquement le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites (CEDH 13 déc. 2001, Église métropolitaine de Bessarabie et autres c/ Moldova ). Toutefois, la Commission européenne, dans une affaire du 12 octobre 1978, est venue préciser que tout acte motivé ou influencé par une religion ou une conviction ne peut être considéré comme une pratique protégée (Comm. EDH 12 oct. 1978, Arrowsmith c/ Royaume-Uni, concernant le droit de manifester ses convictions pacifistes).

De son côté, le droit français prévoit des limitations à la liberté de religion dans l’entreprise, notamment avec l’article L.1133-1 du Code du travail, qui dispose qu’il n’y a pas de discrimination si les différences de traitement « répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée ». De même, le Haut Conseil à l’intégration, dans un avis du 1er septembre 2011 intitulé « Expression religieuse et laïcité dans l’entreprise », avait recommandé que le législateur intervienne pour autoriser les employeurs à encadrer les pratiques religieuses, notamment en les autorisant à intégrer dans leur règlement intérieur, des dispositions relatives aux tenues vestimentaires, au port de signes religieux et aux pratiques religieuses dans l’entreprise « au nom d’impératifs tenant à la sécurité, au contact avec la clientèle ou la paix sociale interne ». Aussi, avant d’en assurer la protection, le juge français contrôlera-t-il le caractère indispensable de la pratique revendiquée dans le cadre de la religion considérée.

Dans la décision ici rapportée regroupant quatre requêtes, la Cour européenne des droits de l’homme a dû se prononcer sur la proportionnalité d’une interdiction de port d’un objet religieux, faite à l’encontre d’une part d’une hôtesse de l’air — dont le code vestimentaire imposait, sauf autorisation, le port du bijou sous l’uniforme —, et d’autre part, à l’encontre d’une infirmière — au motif qu’une croix pouvait être source de lésions pour un patient.

Dans la première requête, la Cour estime, au regard de l’article 9 combiné à l’article 14 de la Convention, que les juridictions nationales n’ont pas su aménager un juste équilibre entre, d’une part, le désir de la requérante de manifester sa foi et de pouvoir la communiquer à autrui et, d’autre part, le souhait de son employeur de véhiculer une certaine image de marque, qui plus est, n’avait pas été entachée dans des cas précédents, par le port d’autres vêtements religieux (turban ou hijab). En outre, sur le fait qu’ultérieurement la compagnie avait modifié son règlement intérieur, la Cour souligne que ce changement de politique interne était une preuve que l’interdiction « n’était pas d’une importance cruciale ».

Dans la seconde requête, appliquant une jurisprudence constante à l’espèce (par ex., concernant l’hygiène lors des abatages rituels : CEDH, gr. Ch., 27 juin 2000, Cha’are Shalom Ve Tsedek c/ France), la Cour estime, qu’une telle interdiction, au regard des motivations de santé et de sécurité, apparait comme proportionnée dans une société démocratique, étant ajouté, qu’une telle restriction avait déjà été faite à l’encontre d’objets d’autres religions et de badges d’identité. Ainsi, la Cour, d’une part, en conclut qu’il n’y a eu aucune ingérence dans le droit de manifester sa religion et d’autre part, refuse de reconnaitre la violation de l’article 9 de la Conv. EDH.

Les deux autres affaires sanctionnent des comportements discriminatoires vis-à-vis des couples homosexuels, par des employés au nom de leur croyance. La première espèce était relative à un officier d’état civil qui était amené à devoir célébrer des cérémonies de partenariat civil entre couples homosexuels, conformément à la législation de son pays. Estimant que les relations homosexuelles étaient contraires à ses convictions religieuses, l’officier fit preuve de discrimination, au détriment de la politique de respect de l’égalité et de la diversité de l’autorité publique. La seconde espèce était relative à un employé d’un organisme de conseil conjugal dont les convictions religieuses entraient aussi en conflit avec son travail auprès des couples homosexuels. De part son attitude, ce dernier ne respectait pas non plus la politique de l’organisme en matière d’égalité des chances.

La marge d’appréciation laissée aux autorités publiques étant assez importante, la Cour note que dans les deux affaires, l’équilibre entre les droits des employeurs de garantir les droits d’autrui et le droit de leurs employés de manifester leur religion, a été respecté par les juridictions nationales. Le droit de ne pas subir de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle étant lui aussi protégé par la Convention, les employeurs étaient donc fondés d’exiger de leurs employés qu’ils s’acquittent de leurs fonctions et de refuser d’admettre des opinions allant à l’encontre des principes fondamentaux déclarés, d’autant plus qu’ils avaient une origine légale. La Cour conclut donc à la non-violation de l’article 14 combiné avec l’article 9 pour l’officier et à la non-violation de l’article 9 pris isolément ou combiné avec l’article 14 pour le conseiller.

Cette décision s’inscrit donc dans la jurisprudence constante de la Cour qui se doit, avant de se prononcer, mettre en balance le droit personnel de manifester sa religion protégé par la convention avec les droits d’autrui.

CEDH 15 janv. 2013, Eweida et autres c. Royaume-Uni, n°48420/10 ; 5942/10 ; 51671/10 ; 36516/10.

Références

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 9 - Liberté de pensée, de conscience et de religion

« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites .

La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».

Article 14 - Interdiction de discrimination

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».

 Article L 1133-1 du Code du travail

« L'article L. 1132-1 ne fait pas obstacle aux différences de traitement, lorsqu'elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée. »

 CEDH, gr. ch., 10 nov. 2005, Leyla Sahin c/ Turquie, aff. no 44774/98, § 106.

■ CEDH 25 mai 1993, Kokkinakis c/ Grèce, aff. n° 14307/88.

■ CEDH 13 déc. 2001, Église métropolitaine de Bessarabie et autres c/ Moldova , aff. n° 45701/99, §114.

■ Comm. EDH 12 oct. 1978, Arrowsmith c/ Royaume-Uni, aff. n°7050/75, §71.

■ Sur l’avis, « Expression religieuse et laïcité dans l’entreprise », RDT 2011. 643, obs. René de Quenaudon.

■ CEDH, gr. ch., 27 juin 2000, Cha’are Shalom Ve Tsedek c/ France, aff. n° 27417/95, AJDA 2000. 1006, chron. Flauss.

 

Auteur :H. V.


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