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Manifestations : le schéma national du maintien de l'ordre à revoir
Les journalistes doivent pouvoir exercer librement leur travail lors des manifestations, certaines obligations mentionnées par le schéma national du maintien de l'ordre ne sont pas compatibles avec l’exercice de leurs missions, elles ont été annulées par le Conseil d’État, il en est de même pour la technique d’encerclement prévue par ce même schéma.
■ Le schéma national du maintien de l'ordre (SNMO)
Le document attaqué devant le Conseil d’État est annexé à une circulaire du 16 septembre 2020 du ministre de l'intérieur. Il a pour objectif de définir le cadre d'exercice du maintien de l'ordre, applicable à toutes les manifestations se déroulant sur le territoire national, fixant une doctrine commune pour l'ensemble des forces de l'ordre.
Ce schéma a été décidé à la suite d’un constat : les manifestations, notamment celles ayant eu lieu pendant le mouvement des Gilets jaunes, ont changé de visage. Elles sont souvent plus violentes, rarement déclarées, autonomes par rapport aux syndicats, difficiles à contenir… Les débordements sont assez courants. Les manifestations « classiques » avec leur propres services d’ordre syndical se font rare. Les casseurs sont très souvent infiltrés au sein des cortèges. Les forces de l’ordre ont donc été contraintes de revoir la façon dont il convenait de gérer les manifestations. C’est pourquoi il a été décidé de créer un SNMO afin de fixer un nouveau cadre d’exercice du maintien de l’ordre. Ce document est accessible au public et applicable sur tout le territoire. Il a un triple objectif : permettre à chacun de s’exprimer librement en garantissant la liberté de manifester dans le respect du droit, de protéger les manifestants dans le contexte nouveau des mouvements de contestation et d’agir contre les auteurs de violences qui œuvrent pour que dégénèrent les manifestations.
■ Le recours pour excès de pouvoir contre le SNMO
Dans un premier temps, le Conseil d’État s’est posé la question de savoir si les mesures définies par le schéma national du maintien de l'ordre pouvaient faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (REP). Il s’est ainsi référé à sa jurisprudence GISTI du 12 juin 2020 (n° 418142) selon laquelle « les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices. Il appartient au juge d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane ».
Les mesures du SNMO « participent à la définition d'une doctrine de maintien de l'ordre applicable lors des manifestations », elles sont donc « susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation des organisateurs de manifestations, des manifestants, des journalistes, des observateurs et de tiers ». Ce document peut donc faire l’objet d’un REP.
■ Les mesures contestées
Il s’agit de 4 mesures du SNMO
· Protection et identification des journalistes : 2.2.1 « La nécessité de préserver l’intégrité physique des journalistes sur le terrain est réaffirmée. Eu égard à l’environnement dans lequel ils évoluent, les journalistes peuvent porter des équipements de protection, dès lors que leur identification est confirmée et leur comportement exempt de toute infraction ou provocation ». Le Conseil d’État rappelle que le ministre de l’intérieur n’est pas compétent pour fixer des conditions au port, par des journalistes, d'équipements de protection lors des manifestations. Sont donc annulés, pour excès de pouvoir, les mots « dès lors que leur identification est confirmée et leur comportement exempt de toute infraction ou provocation » du point 2.2.1.
· Accréditation des journalistes pour accéder au canal d’échange dédié qui peut être mis en place par les forces de l’ordre lors des manifestations : 2.2.2 « Un officier référent peut être utilement désigné au sein des forces et un canal d’échange dédié mis en place, tout au long de la manifestation, avec les journalistes, titulaires d’une carte de presse, accrédités auprès des autorités ». Ces dispositions ont pour objet d’ouvrir uniquement à certains journalistes la possibilité d'obtenir des forces de l'ordre, en temps réel, des informations supplémentaires relatives au déroulement d'une manifestation. Elles n'affectent pas, par elles-mêmes, les règles concernant la liberté d'expression et de communication en réservant l'accès au canal dédié aux seuls journalistes titulaires de la carte d'identité professionnelle. En revanche, le fait de soumettre l’accès à ces informations aux seuls journalistes « accrédités auprès des autorités » sans préciser la portée, les conditions et les modalités de l’accréditation, qui peut permettre un choix discrétionnaire des journalistes accrédités parmi tous ceux titulaires de la carte de presse en faisant la demande, portent une atteinte disproportionnée à la liberté de la presse et à la liberté de communication. Sont ainsi annulés, pour excès de pouvoir, les mots « accrédités auprès des autorités ».
· Obligation pour les journalistes de quitter les lieux quand un attroupement est dispersé : 2.2.4 « Concomitamment, il sera proposé aux journalistes des sensibilisations au cadre juridique des manifestations, aux cas d’emploi de la force et notamment aux conduites à tenir lorsque les sommations sont prononcées, ainsi qu’aux dispositions du SNMO. Il importe à cet égard de rappeler que le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation ne comporte aucune exception, y compris au profit des journalistes ou de membres d’associations. Dès lors qu’ils sont au cœur d’un attroupement, ils doivent, comme n’importe quel citoyen obtempérer aux injonctions des représentants des forces de l’ordre en se positionnant en dehors des manifestants appelés à se disperser ». Si des dispositions du Code pénal (art. 431-4 et 431-5) répriment le fait de continuer volontairement à participer à un attroupement après qu'ont été faites les sommations de se disperser, elles ne peuvent pas faire échec à la présence de la presse sur le lieu d'un attroupement afin que les journalistes puissent exercer librement leur mission. Toutefois, il convient que les journalistes se placent de telle sorte qu'ils ne puissent être confondus avec les manifestants et ne fassent pas obstacle à l'action des forces de l'ordre. Le point 2.2.4 est donc annulé dans sa totalité.
Les dispositions des points 2.2.1, 2.2.2 et 2.2.4 du SNMO avaient déjà fait l’objet d’un référé devant le Conseil d’État en octobre 2020 (CE, réf., 27 oct. 2020, n° 444876). Le juge des référés avait considéré que ces mesures n’étaient pas de nature, par elles-mêmes, à porter une atteinte grave et immédiate aux conditions d'exercice de la profession de journaliste.
· Encerclement des manifestants (technique de la nasse) : 3.1.4 « Sans préjudice du non-enfermement des manifestants, condition de la dispersion, il peut être utile, sur le temps juste nécessaire, d’encercler un groupe de manifestants aux fins de contrôle, d’interpellation ou de prévention d’une poursuite des troubles. Dans ces situations, il est systématiquement laissé un point de sortie contrôlé aux personnes ». Si la technique de l’encerclement peut s’avérer nécessaire dans certaines circonstances pour répondre à des troubles caractérisés à l'ordre public, elle est susceptible d'affecter significativement la liberté de manifester, d'en dissuader l'exercice et de porter atteinte à la liberté d'aller et venir. Le fait que le SNMO prévoit dans ce point uniquement qu’il puisse « être utile » de recourir à cette technique sans encadrer précisément les cas dans lesquels elle peut être mise en œuvre ni apporter des précisions garantissant que l'usage de cette technique de maintien de l'ordre soit adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances conduit le Conseil d’État à annuler également ces dispositions.
La technique de l’encerclement avait déjà fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Il était reproché au reprochant au législateur de ne pas l'avoir suffisamment encadrée. Toutefois, le Conseil constitutionnel a rejeté la QPC au motif qu'un tel encadrement ne relevait pas de la loi (Cons. const. 12 mars 2021, n° 2020-889 QPC).
Références
■ CE 12 juin 2020, GISTI, n° 418142 A : AJDA 2020. 1196 ; ibid. 1407, chron. C. Malverti et C. Beaufils ; AJ fam. 2020. 426, obs. C. Bruggiamosca ; AJCT 2020. 523, Arrêt du mois S. Renard et E. Pechillon, Arrêt du mois S. Renard et E. Pechillon ; RFDA 2020. 785, concl. G. Odinet ; ibid. 801, note F. Melleray
■ CE, réf., 27 oct. 2020, n° 444876 : AJDA 2021. 189, note M. Burg
■ Cons. const. 12 mars 2021, n° 2020-889 QPC : Dalloz actualité, 16 mai 2021, obs. D. Goetz ; AJDA 2021. 1156 , note X. Bioy ; D. 2021. 528
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