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[ 26 octobre 2012 ] Imprimer

Droit administratif général

Manquement à l’obligation d’information du patient : reconnaissance par le Conseil d’État d’un préjudice distinct de celui résultant de la perte de chance

Mots-clefs : Responsabilité administrative, Obligation d’information du patient, Responsabilité médicale, Obligation d’information du patient, Perte de chance, Intervention chirurgicale, Défaut d’information sur les risques d’un acte médical

L’arrêt du Conseil d’État en date du 10 octobre 2012 en matière de responsabilité médicale marque une étape importante dans la jurisprudence administrative qui tend à se rapprocher de celle développée par la jurisprudence judiciaire.

En l’espèce, un patient avait subi au sein d’un centre hospitalier régional et universitaire (CHRU) une intervention chirurgicale rendue nécessaire par la découverte d’une tumeur rectale. Huit jours après l’opération des complications sont apparues (abcès périnéal et fistule). Pendant plusieurs mois la fistule a été traitée sans succès par le CHRU. Ce n’est qu’à la suite d’une intervention chirurgicale dans un hôpital parisien que le patient a vu son état de santé consolidé. Le patient et son épouse ont alors recherché la responsabilité du CHRU.

Deux points distincts ont été abordés par le Conseil d’État : la responsabilité du CHRU au titre d’un manquement à l’obligation d’information et la responsabilité de ce centre au titre d’une faute médicale.

■ La responsabilité du CHRU au titre d’un manquement à l’obligation d’information du patient

Le devoir d’information du patient résulte notamment des articles L. 1111-2 et R. 4127-35 du Code de la santé publique. Les questions qui se posaient aux juges du Palais Royal étaient les suivantes : la responsabilité d’un centre hospitalier peut-elle être engagée uniquement en cas de préjudice résultant d’un manquement du médecin dans son obligation d’information envers le patient ? Et en cas de réponse affirmative, quel préjudice peut être indemnisé ?

Dans un premier temps, le Conseil d’État rappelle sa jurisprudence relative à la perte d’une chance : «un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée ; [que] c'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l'existence d'une perte de chance » (V. par ex : CE 11 juill. 2011). En l’espèce, l’intervention était impérieusement requise pour extraire la tumeur du patient et le manquement des médecins à leur obligation d’information (le patient n’avait pas été informé que l’intervention qu’il allait subir impliquait le recours à une poche d’iléostomie et qu’elle comportait des risques de complications graves, notamment la possibilité d’une atteinte des fonctions sexuelles) n’a pas, dans les circonstances de l’espèce, fait perdre à l’intéressé une chance de refuser l’intervention et d’échapper ainsi à ses conséquences dommageables.

Dans un second temps, le Conseil d’État accepte pour la première fois l’existence possible d’un préjudice distinct de celui de la perte de chance lié au manquement à l’obligation d’information : « indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a pu subir du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles ».

Par cette décision, les juges du Conseil d’État se rapprochent de la jurisprudence développée par la première chambre civile de la Cour de cassation depuis le revirement jurisprudentiel relatif à l’obligation d’information du patient de 2010 (Civ. 1re, 3 juin 2010).

En revanche sur la nature du préjudice indemnisable, au titre de l’obligation d’information, il semble que la Cour de cassation ait une approche moins restrictive que celle qui vient d’être adoptée par le Conseil d’État. Ce préjudice, appelé parfois préjudice d’impréparation, consiste « dans le fait de se trouver atteint dans son intégrité physique sans avoir pu s’y préparer par la faute du médecin » (V. Creton). Dans l’arrêt du 10 octobre 2012, le Conseil d’État admet pour la première fois la possible réparation de ce préjudice mais cantonne cette réparation à la nécessité que le risque se soit réalisé pour obtenir une indemnisation au titre de l’obligation d’information. Un dommage corporel est nécessaire (« (…) lorsque ces risques se réalisent  (…) droit d’obtenir réparation des troubles (….) »).

La Cour de cassation, dans l’arrêt de 2010 précité mais également dans un arrêt de 2012 (Civ. 1re, 12 juin 2012), tend à reconnaître que l’omission de toute information pouvant éclairer le consentement du patient constitue une faute donnant droit à réparation : « Le non-respect par un médecin du devoir d'information dont il est tenu envers son patient, cause à celui auquel cette information était légalement due un préjudice qu'en vertu du texte susvisé [principes du respect de la dignité de la personne humaine et d'intégrité du corps humain et C. civ., art. 1382] le juge ne peut laisser sans réparation » (Civ. 1re, 12 juin 2012, préc.).

Dans l’affaire rendue le 10 octobre 2012, le patient n’ayant pas invoqué, devant les juges du fond, l’existence d’un préjudice résultant d’un manquement à l’obligation d’information, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit.

■ La responsabilité du CHRU au titre d’une faute médicale

Le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour d’appel et renvoie l’affaire. La cour d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique des faits en retenant que le choix thérapeutique ne présentait pas un caractère fautif, alors que, selon le rapport d’expertise, les médecins avaient persisté à pratiquer un traitement inefficace, réalisant ainsi un retard thérapeutique.

CE 10 oct. 2012, n° 350426

 

Références

■ CE 11 juill. 2011, n° 328183, Audinot, Lebon ; AJDA 2011. 1468.

 CE 24 sept. 2012, n° 339285, Pichon , au Lebon ; AJDA 2012. 1828.

 Civ. 1re, 3 juin 2010, n° 09-13.591, AJDA 2010. 2169, note Lantero D. 2010. 1522, note Sargos ibid. 1801, point de vue Bert ibid. 2092, chron. Auroy et Creton 

■ Civ. 1re, 12 juin 2012, n° 11-18.327, D. 2012. 1794, note Laude.

■ Code de la santé publique

Article L. 1111-2

« Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. 

Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. 

Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. 

La volonté d'une personne d'être tenue dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic doit être respectée, sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission. 

Les droits des mineurs ou des majeurs sous tutelle mentionnés au présent article sont exercés, selon les cas, par les titulaires de l'autorité parentale ou par le tuteur. Ceux-ci reçoivent l'information prévue par le présent article, sous réserve des dispositions de l'article L. 1111-5. Les intéressés ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant, d'une manière adaptée soit à leur degré de maturité s'agissant des mineurs, soit à leurs facultés de discernement s'agissant des majeurs sous tutelle. 

Des recommandations de bonnes pratiques sur la délivrance de l'information sont établies par la Haute Autorité de santé et homologuées par arrêté du ministre chargé de la santé. 

En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen.

L'établissement de santé recueille auprès du patient hospitalisé les coordonnées des professionnels de santé auprès desquels il souhaite que soient recueillies les informations nécessaires à sa prise en charge durant son séjour et que soient transmises celles utiles à la continuité des soins après sa sortie. »

Article R. 4127-35

« Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension.

Toutefois, lorsqu'une personne demande à être tenue dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic, sa volonté doit être respectée, sauf si des tiers sont exposés à un risque de contamination. 

Un pronostic fatal ne doit être révélé qu'avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite. »

 Article 1382 du Code civil

« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

 

Auteur :C. G.


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