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[ 22 juin 2020 ] Imprimer

Droit de la famille

Mariage : impossible d’échapper au règlement de comptes…

Les époux ne peuvent déroger par une clause de leur contrat de mariage au devoir incombant à chacun d’eux de contribuer aux charges du mariage, qui est d’ordre public

Mariés depuis 1978 sous le régime de la séparation de biens et séparés de fait depuis 2013, deux époux avaient, en 2016, engagé une procédure de divorce au cours de laquelle l’épouse avait, par acte daté du 28 juin 2016, demandé le versement d’indemnités par son conjoint au titre de la contribution aux charges du mariage à laquelle il avait, durant plusieurs mois, renoncé.

Un premier jugement en date du 5 mai 2017 lui donna gain de cause et condamna l’époux au versement d’une somme mensuelle de 3 000 euros, correspondant aux charges dues à compter du 1er janvier 2016 jusqu'au 10 mars 2017, date de l'ordonnance de non-conciliation.

L’époux interjeta appel de ce jugement avec succès, la cour déclarant irrecevable la demande de son ex-femme au motif qu’une clause figurant dans leur contrat de mariage des époux stipulait non seulement « que chacun des époux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet », mais également « qu'ils n'auront pas de recours l'un contre l'autre pour les dépenses de cette nature » ; faisant ainsi ressortir que cette stipulation instituait expressément une clause de non-recours entre les parties, la juridiction d’appel en déduisit que celle-ci avait la portée d’une fin de non-recevoir, justifiant l’irrecevabilité de l’action en contribution aux charges du mariage formée par l’épouse.

Devant la Cour de cassation, cette dernière fit alors principalement valoir que le caractère d’ordre public que revêt l’obligation de contribution aux charges du mariage interdit aux époux de stipuler une clause de non-recours qui priverait celui victime de l’inexécution d’une telle obligation par son conjoint de toute action en justice ; partant, la clause litigieuse du contrat litigieux ne l’empêchait pas de saisir le juge aux fins de contraindre son conjoint à exécuter son obligation de contribution.

Au visa des articles 214226 et 1388 du Code civil, dont la première chambre civile induit de leur combinaison la règle selon laquelle l’obligation d'ordre public de contribuer aux charges du mariage n’est pas susceptible d’exclusion conventionnelle, la décision des juges du fond est cassée, la clause litigieuse ne faisant pas obstacle, contrairement à ce qu’ils avaient en violation des textes susvisés retenu, au droit de l’un d’eux, pendant la durée du mariage, d’agir en justice pour contraindre l’autre à remplir, pour l’avenir, son obligation de contribution. La demande de l’épouse tendant à une fixation judiciaire d’une telle contribution à compter de la date de son assignation aurait donc dû être accueillie.

Si le caractère impératif des devoirs personnels paraît s’affaiblir, les aménagements conventionnels aux obligations de communauté de vie ou de fidélité ayant, sous l’effet de la contractualisation croissante du droit de la famille, été parfois admis par certains juges du fond (sur ce point, v. J. Garrigue, Droit de la famille, Dalloz, 2 éd., 2018, n°212), suscitant d’ailleurs l’inquiétude d’une partie de la doctrine, le caractère prescriptif de leurs devoirs pécuniaires demeure bien ancré, comme en atteste la décision rapportée, dont il ressort sans équivoque que les époux ne peuvent déroger au devoir de contribution aux charges du mariage, qui est bel et bien d’ordre public.

Ce devoir relève du « régime primaire impératif », applicable aux époux par le seul effet du mariage, et quel que soit leur régime matrimonial, même séparatiste donc (C. civ., art. 1388 et 226). Le caractère impératif de l’obligation de contribuer aux charges du mariage (C. civ., art. 214, al. 2) signifie que par principe, les époux ne peuvent jamais s’y soustraire, sauf à rapporter la preuve, incombant au conjoint défaillant, de circonstances particulières (Civ. 1re, 17 juill. 1985, n° 84-12.288). Sous cette réserve, l’époux qui méconnaît cette obligation s’expose au risque d’y être judiciairement contraint par l’autre, même s’il en est séparé de fait (Civ. 1re, 18 déc. 1978, n° 77-14.987) ou qu’une procédure de divorce est dans le même temps engagée (Les mesures provisoires ordonnées dans le cadre d’une procédure de divorce, sur le fondement de l’article 255, se substituant d’office à la contribution aux charges du mariage dès le prononcé de l’ordonnance de non-conciliation, Civ. 2e, 30 nov. 1994, n° 92-20.656). Si les époux ne peuvent se décharger de cette obligation, il leur est cependant loisible de l’aménager. En effet, si en principe, les époux contribuent aux charges du mariage « à proportion de leurs facultés respectives » (art. 214, al. 1), la jurisprudence leur permet d’opter pour un autre mode de répartition : ainsi l’engagement librement pris par un époux et accepté par l’autre, en dehors du contrat de mariage, pour définir autrement la répartition des frais du ménage, est valable (Civ. 1re, 3 févr. 1987, n° 84-14.612). Les membres du couple ne peuvent pas pour autant dispenser l’un d’entre eux de toute participation car ils porteraient alors atteinte au caractère impératif de l’article 214. Seule une redéfinition des modalités de contribution est donc autorisée. Enfin, concernant le rôle du juge quant à la détermination de la période pour laquelle la contribution est due, s’il doit apprécier le bien-fondé de la demande de contribution au jour où il statue (Civ. 1re, 18 févr. 1976, n° 74-14.288), ce principe, qui s’applique seulement lorsqu’il s’agit de fixer cette contribution pour l’avenir, n’implique nullement que la juridiction saisie ne puisse statuer sur le montant de cette contribution pour une période antérieure à sa décision (Civ. 1re, 5 juill. 1983, n° 81-16.613), que la juridiction d’appel aurait donc dû, en l’espèce, déterminer.

Conforme au principe traditionnel selon lequel les époux n’ont pas la faculté d’exclure d’un commun accord l’application des devoirs conjugaux leur incombant, ce dont la jurisprudence déduisait autrefois logiquement qu’étaient nulles les conventions destinées à dispenser les membres du couple de leurs impératifs conjugaux (Civ. 14 juin 1882 ; Civ. 2e, 22 avr. 1977), la solution rapportée mérite d’être approuvée, en ce qu’elle témoigne de la volonté de la Haute cour, face aux tentations libérales de certaines juridictions du fond, de maintenir l’interdiction des contrats supprimant les devoirs, notamment pécuniaires, dont le législateur impose le respect aux époux.

Civ. 1re, 13 mai 2020, n° 19-11.444

Références

■ Civ. 1re, 17 juill. 1985, n° 84-12.288: Gaz.pal., 1986.1.127, note J.M.

■ Civ. 1re, 18 déc. 1978, n° 77-14.987

■ Civ. 2e, 30 nov. 1994, n° 92-20.656 P

■ Civ. 1re, 3 févr. 1987, n° 84-14.612 P

■ Civ. 1re, 18 févr. 1976, n° 74-14.288 P

■ Civ. 1re, 5 juill. 1983, n° 81-16.613 P

■ Civ. 14 juin 1882: DP 1883.1.248

■ Civ. 2e, 22 avr. 1977: D. 1977, IR 359

 

Auteur :Merryl Hervieu

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