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Droit des régimes matrimoniaux
Mariage : quelles sont vos intentions ?
Le choix présumé des époux quant à leur régime matrimonial peut être démenti par la preuve contraire, à la condition que celle-ci éclaire l’intention qui était la leur au jour du mariage, et les contestations relatives à la liquidation de ce régime ne peuvent être déléguées au notaire sans que le juge ne se rende coupable d’un déni de justice.
En 1982, un couple s’était marié, sans contrat préalable, en Algérie, où naquirent leurs trois enfants. En 1995, ils s’étaient installés en France et avaient acquis la nationalité française. Après leur divorce, prononcé en 2012, ils s’étaient opposés sur la détermination de la loi applicable à leur régime matrimonial.
La cour d’appel jugea que les époux devaient se voir appliquer le régime français de la communauté réduite aux acquêts, au motif qu’ils avaient, pendant le mariage, établi en France leurs intérêts personnels et pécuniaires en y travaillant, y élevant leurs enfants, y acquérant des biens immobiliers, et qu’ils s’étaient en outre toujours présentés, lors des différents actes de leur vie privée, comme mariés sous le régime français de la communauté légale, tant pour le couple dans deux actes notariés versés aux débats que pour l’épouse, dans un questionnaire officiel du ministère du développement industriel et scientifique ; les juges du fond en avaient donc déduit que les époux avaient eu, au moment de leur mariage, la volonté d’adopter ce régime et non celui de la séparation de biens prévu par la loi algérienne.
En conséquence de ce régime, la juridiction d’appel ordonna à l’ancien époux de produire tous les justificatifs des charges qu’il prétendait avoir réglées seul sur une certaine période afin qu’elles soient prises en compte dans le cadre de la liquidation des droits des ex-époux, sous réserve qu’elles puissent constituer des créances contre l’indivision post-communautaire au sens de l’article 815-13 du Code civil ou des créances entre époux. Elle retint que la répartition de la prise en charge des frais relatifs à l’indivision post-communautaire au titre des mesures provisoires ne saurait faire obstacle à l’application de l’article 815-13, alinéa 1er, du Code civil et que dès lors, chacun des époux pouvait faire valoir des créances au titre de règlements effectués pour l’indivision post-communautaire mais que l’époux ne présentant pas précisément les créances qu’il entendait revendiquer et ne les chiffrant pas, il lui appartiendrait d’en justifier au cours des opérations de liquidation, les parties étant renvoyées devant un notaire pour la poursuite de celles-ci.
La cour de cassation censure cette décision, au visa des articles 3 et 4 du Code civil.
En vertu du premier texte, elle rappelle que la détermination de la loi applicable au régime matrimonial d’époux mariés sans contrat, avant l’entrée en vigueur en France, le 1er septembre 1992, de la Convention de la Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, doit être faite en considération, principalement, de la fixation de leur premier domicile matrimonial. Elle ajoute que cette règle, ne constituant qu’une présomption, peut être détruite par tout autre élément de preuve pertinent, les juges du fond pouvant, dans cette perspective, prendre en considération certains événements postérieurs au mariage s’ils éclairent la volonté des époux, notamment, la localisation de leurs intérêts pécuniaires au moment de leur union ; elle souligne enfin que le rattachement du régime matrimonial légal ou conventionnel à la loi choisie par les époux à la date de leur union est permanent. Elle reproche en conséquence aux juges du fond d’avoir en l’espèce fait échec à cette présomption alors que les circonstances qu’ils avaient relevées, postérieures de plus de douze ans au mariage, étaient impropres à révéler que les époux avaient eu la volonté, au moment de sa célébration, de soumettre leur régime matrimonial à une autre loi que celle de l’Algérie, pays dans lequel ils avaient fixé leur premier domicile matrimonial, stable et durable.
En référence à l’article 4, elle juge qu’en s’étant dessaisie de ses pouvoirs pour les déléguer au notaire liquidateur, alors qu’il lui incombait de trancher elle-même les contestations soulevées par les parties quant à la liquidation et au partage de l’indivision post-communautaire, la cour d’appel avait méconnu son office et violé le texte susvisé.
L’objet de la preuve peut se trouver déplacé sous l’effet d’une présomption. Il existe différents types de présomptions, que l’on peut classer en fonction de leur source, de leur force probante, ou encore de leur effet. Or certaines présomptions peuvent avoir pour seul effet de déplacer l’objet de la preuve. Ainsi, l'ancien article 1349 du Code civil définissait les présomptions comme : « (…) des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu ». Le texte évoque un raisonnement probatoire fondé sur la probabilité et qui permet d’établir un lien logique entre un fait inaccessible, objet initial de la preuve, et un fait accessible, objet déplacé de la preuve. Par un raisonnement logique, la preuve d’un fait inaccessible, en l’espèce, l’intention des époux au moment du mariage (en l’absence de choix exprès) est déduite d’un fait accessible (le premier domicile conjugal). Parmi ces présomptions, certaines avaient pour effet de déplacer l’objet de la preuve, quand d'autres allaient jusqu'à opérer un véritable renversement de la charge de la preuve.
Désormais, la loi civile ne vise expressément que les présomptions qui dispensent le justiciable de rapporter la charge de la preuve (C. civ., art. 1354, al. 1er : « La présomption que la loi attache à certains actes ou à certains faits en les tenant pour certains dispense celui au profit duquel elle existe d’en rapporter la preuve »). Ce recours aux présomptions est couramment utilisé par le législateur et par le juge pour alléger la tâche probatoire des plaideurs ; ainsi, lorsque tel qu’en l’espèce, s’élève un conflit relatif à l’identification du régime matrimonial d’un couple divorcé, et donc plus largement à la détermination de la loi applicable, la loi présume ce qu’ils auraient normalement la charge d’établir. S’applique la loi du pays d’élection de leur premier domicile conjugal. En dispensant ainsi les époux de la charge de la preuve, cette présomption facilite son administration mais en raison de l'incertitude qui l’affecte, celle-ci, comme toute autre présomption, est susceptible d'être combattue par la preuve contraire. En particulier, la présomption simple, comme celle applicable à l’espèce, peut être renversée par tous types de preuves susceptibles de la renverser. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation souligne que la règle en cause « ne constituant qu’une présomption, (celle-ci) peut être détruite par tout autre élément de preuve pertinent ».
Ce mécanisme a des incidences sur l’office du juge : en effet, il appartient à ce dernier de déterminer souverainement, d’après les circonstances concomitantes ou postérieures au mariage, le lieu où les époux ont eu effectivement, à la date de leur mariage, la volonté de localiser leurs intérêts pécuniaires et dont la loi régira ces intérêts (Civ. 1re, 12 janv. 1982, n° 80-15.176). Mais la volonté présumée des époux de choisir la loi du lieu de leur premier domicile conjugal ne peut être efficacement combattue que si les indices contraires postérieurement relevés démentent que telle était leur intention au jour du mariage : seule cette date doit être prise en compte pour déceler la volonté des époux, peu important qu’elle ait, par la suite, changé. En l’absence de telles circonstances propres à révéler que les époux avaient eu la volonté, au moment de leur mariage, de soumettre leur régime matrimonial à une autre loi que celle de l’Algérie, la présomption qui s’attachait à rendre applicable la loi du pays où les époux ont en premier lieu choisi d’élire domicile, de façon stable et durable, l’Algérie, devait recevoir application (V. dans le même sens, Civ. 1re, 31 janv. 2006, n° 02-18.297; Civ. 1re, 19 sept. 2007, n° 06-15.295). Pour cette première raison, les juges du fond méritaient la désapprobation de la Cour de cassation. Celle-ci était d’autant plus justifiée qu’ils s’étaient également rendus coupables, concernant la liquidation du régime, d’un déni de justice, prohibé par le célèbre article 4 du Code civil. Ce texte interdit au juge de refuser d’exercer la mission qui lui est confiée par la loi, et qui consiste à trancher le litige en application des règles de droit qui lui sont applicables (C. pr. civ., art. 12), de façon à garantir l’effectivité du droit d’action en justice dont disposent les justiciables. Le déni de justice constitue un délit pénal sanctionné par une amende de 7500 euros et l’interdiction d’exercer des fonctions publiques pour une durée de 5 à 20 ans (C. pén., art. 434-7-1). L’interdiction du déni de justice se traduit, notamment, par l’interdiction faite au juge de déléguer ses pouvoirs. Ainsi cette décision rappelle-t-elle que dans les litiges relatifs à des opérations de liquidation et de partage de la communauté entre les époux, les juges ne peuvent s’en dessaisir et déléguer leurs pouvoirs aux notaires liquidateurs, alors qu’il leur incombe de trancher eux-mêmes les contestations dont ils étaient saisis (Civ. 1re, 24 sept. 2014, n° 13-21.005. V. aussi Civ. 1re, 23 mai 2012, n° 11-12.813).
Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-22.945
Références
■ Civ. 1re, 12 janv. 1982, n° 80-15.176 P
■ Civ. 1re, 31 janv. 2006, n° 02-18.297 P : D. 2006. 601
■ Civ. 1re, 19 sept. 2007, n° 06-15.295 P : D. 2007. 2476 ; Rev. crit. DIP 2008. 99, note P. Gannagé
■ Civ. 1re, 24 sept. 2014, n° 13-21.005 P : AJ fam. 2014. 641, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2015. 106, obs. J. Hauser
■ Civ. 1re, 23 mai 2012, n° 11-12.813 P : D. 2012. 1403 ; ibid. 2013. 798, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2012. 462, obs. C. Elkouby Salomon
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