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Droit de la famille
Mariages fictifs : la Convention européenne des droits de l’homme ne les protège pas !
Mots-clefs : Famille, Mariage, Formation, Consentement, Consistance, Réalité, Intention matrimoniale, Communauté de vie, Mariage fictif, Droit au respect de la vie privée et familiale, Droit au mariage, Protection (non)
Un mariage purement fictif n’est protégé ni par le droit au mariage ni par le droit au respect de la vie privée et familiale, en sorte que le mariage contracté uniquement pour assurer l’avenir de la fille de la mariée dont la nullité est demandé doit être prononcée.
Un homme se marie en 2000 avec la fille de sa compagne. A son décès, onze ans plus tard, ses enfants nés d’une première union avaient assigné la veuve en annulation du mariage pour défaut de consentement (C. civ. art. 146). Selon eux, leur père ayant vécu de nombreuses années avec la mère de son épouse, son mariage n’aurait été contracté qu’à des fins successorales. La cour d’appel accueillit la demande au motif, d’une part, que le défunt vivait avec la mère de son épouse dès les années 1990, soit dix ans avant la célébration de son mariage, et ce jusqu'à son décès et qu'aucun élément n'établissait une autre communauté de vie que celle qu'il entretenait avec celle-ci et, d'autre part, qu'il n'y avait pas eu entre les époux, au jour de leur mariage, un échange de consentements véritables en vue d'une union matrimoniale mais un mariage de façade destiné exclusivement à assurer l'avenir de la fille de l’épouse.
La veuve forme un pourvoi en cassation, arguant de la réalité de son consentement comme de celui de son défunt époux, au jour du mariage, celui-ci ayant eu lieu en présence d'un tiers attestant de la réalité de leurs volontés maritales réciproques, outre le fait que leur union avait été suivie d'actes révélant une communauté de vie (déclarations fiscales communes et intervention de la demanderesse au pourvoi auprès de l'administration en tant qu'épouse lors de l'hospitalisation de son mari et à la suite de son décès), étant établi que l'union a duré onze ans. Elle reproche également aux juges du fond de ne pas avoir recherché si la demande en nullité de mariage ne constituait pas une ingérence injustifiée dans son droit au respect de sa vie privée et familiale, tel qu’il est protégé par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que par l'article 9 du Code civil. La Cour de cassation rejette le pourvoi. Confirmant l’analyse des juges du fond quant à l’absence de consentement réel des époux au mariage, la Cour ajoute qu’un mariage purement fictif ne relève de la protection ni de la vie privée et familiale ni du droit au mariage (Conv. EDH art. 8 et 12), en l’absence de toute intention matrimoniale et de toute vie familiale effective.
Pour que le mariage soit valable, l’expression formelle du consentement des époux ne suffit pas ; encore faut-il que les intentions qu’ils expriment et déclarent lors de la cérémonie correspondent réellement à leurs volontés. Ainsi est-il nécessaire que les consentements exprimés soient réels, et c’est à la date de la célébration du mariage que le juge doit se placer pour apprécier si cette condition est remplie, bien qu’il tienne logiquement compte de faits antérieurs et/ou postérieurs à la cérémonie dans la mesure où ceux-ci se révèlent très souvent nécessaires à l’appréciation de l’état de santé ou d’esprit des époux au jour de leur union. Le consentement ne peut être considéré comme réel qu’à deux conditions : il faut d’abord qu’il ait été donné par une personne lucide ; il est également nécessaire qu’il ait émané d’un individu sincère. Ainsi, bien que formellement exprimé, le consentement fait en réalité défaut lorsque celui l’ayant exprimé était dans un état intellectuel et mental tel qu’il ne pouvait raisonnablement être en mesure de comprendre la portée de son engagement (v. par ex., en cas de « lourdes déficiences mentales », Civ. 1re, 4 mai 2011, n° 09-68.983). Le consentement des époux peut aussi faire défaut alors même que ces derniers sont en pleine possession de leurs moyens intellectuels et que leurs consentements ont été, du moins formellement, effectivement exprimés ; en effet, alors que la jurisprudence exige l’existence d’une intention matrimoniale véritable (Civ. 1re, 8 juin 1999, n° 97-15.520. Civ. 1re, 9 juill. 2008, n° 07-19.079), celle-ci ne peut être caractérisée en cas d’insincérité de l’un ou des deux membres du couple. La nullité du mariage est alors encourue. C’est le cas lorsque l’objectif poursuivi est, selon une jurisprudence constante, « étranger à l’union matrimoniale » (Civ. 1re, 20 nov. 1963, n° 62-12.722. V. aussi Civ. 1re, 28 oct. 2003, n° 01-12.574. Civ. 1re, 22 nov. 2005, n° 03-18.209. Civ. 1re, 19 déc. 2012, n° 09-15.606), tels un titre de séjour (Civ. 1re, 6 juill. 2000, n° 98-10.462) ou des avantages patrimoniaux (Civ. 1re, 28 oct. 2003, n° 01-12.574. Civ. 1re, 19 déc. 2012, n° 09-15.606).
Cela étant, pour que l’union puisse être invalidée, il ne suffit pas que l’un des époux ait recherché un avantage conféré par l’état matrimonial ; il faut en outre que ce conjoint ait d’emblée exclu de mener une véritable vie conjugale. Autrement dit, pour être annulé, le mariage doit avoir été contracté par au moins l’un des époux pour obtenir un avantage lié au statut de conjoint et qu’il n’a jamais entendu avoir une vie conforme à celle que sont censées mener les personnes mariées. Ainsi, lorsque l’annulation est prononcée, les juges soulignent presque toujours que les conjoints n’ont jamais vécu sous le même toit, qu’ils n’ont jamais eu de relations intimes ou que leur communauté de vie n’a soit jamais existé ou bien qu’elle n’a duré que très peu de temps (Civ. 1re, 8 juin 1999, n° 97-15.520. Civ. 1re, 22 nov. 2005, n° 03-18.209. Civ. 1re, 19 déc. 2012, n° 09-15.606). Dans ces circonstances, il est en effet logique de considérer que l’un des membres du couple n’a jamais entendu mener une vie conjugale et familiale véritable, et que son consentement au mariage était factice. Sous l’angle des éléments pris en compte pour apprécier la réalité du consentement des époux, l’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence classique et constante. Il est, déjà de ce point de vue, une confirmation. Il l’est aussi sous l’angle du droit au mariage : bien qu’elle conduise à analyser les raisons ayant incité les conjoints à s’unir, la nullité du mariage pour défaut de consentement réel des époux à ce dernier ne peut pas être considérée comme contraire au droit de convoler (V. Cons. const., 22 juin 2012, n° 2012-261 QPC).
Son intérêt vient de ce que la Cour de cassation exclut l’application de la Convention européenne des droits de l’homme au cas de l’espèce pour affirmer plus généralement qu’un mariage fictif ne relève pas de la protection offerte par le droit européen au droit au respect de la vie privée et familiale dès lors que les époux, faute d’intention matrimoniale, n’ont jamais réellement ni mené une vie maritale et familiale ni entendu le faire (Sur ce point, V. J. Garrigue, Droit de la famille, Dalloz, Hypercours, n° 142 s.).
Civ. 1re, 1er juin 2017, n° 16-13.441
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8
« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Article 12
« Droit au mariage. A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit. »
■ Civ. 1re, 4 mai 2011, n° 09-68.983 P, D. 2011. 2387, note G. Raoul-Cormeil ; ibid. 2501, obs. J.-J. Lemouland, D. Noguéro et J.-M. Plazy ; ibid. 2012. 971, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 1033, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2011. 330, obs. C. Siffrein-Blanc ; RTD civ. 2011. 515, obs. J. Hauser.
■ Civ. 1re, 8 juin 1999, n° 97-15.520 P, D. 2000. 413, obs. J.-J. Lemouland.
■ Civ. 1re, 9 juill. 2008, n° 07-19.079 P, D. 2009. 1557, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2008. 436, obs. A. Boiché ; Rev. crit. DIP 2009. 493, note P. Lagarde.
■ Civ. 1re, 20 nov. 1963, n° 62-12.722 P.
■ Civ. 1re, 28 oct. 2003, n° 01-12.574 P, D. 2004. 21, note J.-P. Gridel ; ibid. 2964, obs. J.-J. Lemouland ; AJ fam. 2004. 27, obs. F. B. ; RTD civ. 2004. 66, obs. J. Hauser.
■ Civ. 1re, 22 nov. 2005, n° 03-18.209 P, D. 2006. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; RTD civ. 2006. 92, obs. J. Hauser.
■ Civ. 1re, 19 déc. 2012, n° 09-15.606 P, D. 2013. 1117, obs. I. Gallmeister, note E. Naudin ; ibid. 798, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 1089, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2013. 137, obs. B. de Boysson ; RTD civ. 2013. 353, obs. J. Hauser.
■ Civ. 1re, 6 juill. 2000, n° 98-10.462.
■ Civ. 1re, 28 oct. 2003, n° 01-12.574 P, D. 2004. 21, note J.-P. Gridel ; ibid. 2964, obs. J.-J. Lemouland ; AJ fam. 2004. 27, obs. F. B. ; RTD civ. 2004. 66, obs. J. Hauser.
■ Cons. const., 22 juin 2012, n° 2012-261 QPC, D. 2013. 1089, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2012. 466, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2012. 510, obs. J. Hauser.
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