Actualité > À la une

À la une

[ 17 janvier 2020 ] Imprimer

Droit des obligations

Masquer les odeurs n’est pas sans risque pour le vendeur

Taire l’existence d’un trouble anormal constituant en même temps un vice caché du bien immobilier vendu oblige le vendeur à indemniser l’acheteur sur le double fondement de l’obligation précontractuelle d’information et de la garantie des vices cachés.

Par acte notarié, un couple avait acquis, pour y habiter, une ferme rénovée par ses propriétaires, située en zone rurale ; se plaignant de nuisances olfactives insupportables en provenance d’un élevage avicole industriel situé dans la commune voisine et dont l’existence leur avait été cachée au moment de la vente, ils avaient assigné les vendeurs en résolution de la vente, ainsi qu’en paiement de dommages-intérêts sur divers fondements, dont le manquement à l’obligation précontractuelle d’information et la garantie des vices cachés. 

La cour d’appel accueillit l’ensemble de leurs demandes. 

Devant la Cour de cassation, les vendeurs, invoquant leur ignorance des nuisances dénoncées à la date de la vente, faisaient grief à l’arrêt d’avoir rejeté leur fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en garantie des vices cachés et de les avoir déclaré, en dépit de leur bonne foi, responsables du préjudice subi par les acquéreurs. Leur pourvoi est rejeté. 

La Cour de cassation retient d’une part qu’ayant relevé que la date à laquelle les vendeurs avaient quitté les lieux, certes antérieure à la conclusion de la vente, restait postérieure aux nuisances « effectives » déjà constatées et à l’autorisation d’agrandissement de l’usine avicole, alors que l’acte de vente ne faisait aucunement mention de la présence, à proximité, de cette installation et des nuisances par elle engendrées, puis souverainement retenu que les vendeurs, qui avaient eux-mêmes été incommodés par celles-ci, connaissaient l’autorisation préfectorale d’extension de l’installation, laquelle avait fait l’objet d’une enquête publique, alors que les acquéreurs n’avaient pas eu connaissance du phénomène affectant la localité, la cour d’appel, qui a pu déduire de ces seuls motifs qu’en taisant cette information, les vendeurs avaient commis un manquement fautif à leur obligation précontractuelle d’information et de renseignement sur les éléments essentiels de la vente, les acquéreurs ayant choisi cette ferme rénovée en raison de son environnement rural agréable, a fondé sa décision sur l’article 1382, devenu 1240, du Code civil, invoqué par les acquéreurs à titre principal. D’autre part, dès lors qu’il ne visait que la prescription de l’action en garantie des vices cachés, le moyen, pris de l’irrecevabilité de la demande, était inopérant.

Cette décision prolonge une décision récente selon laquelle le vendeur qui dissimule des troubles anormaux de voisinage à son acheteur commet un dol entraînant la nullité de la promesse de vente, dès lors que la tranquillité et la sécurité d’un logement sont des éléments déterminants du consentement de son bénéficiaire (Civ. 3e, 18 avr. 2019, n° 17-24.330). 

En effet, pour être considérée comme dolosive, la dissimulation du vendeur doit être faite sciemment, dans l'intention de tromper l'autre partie sur une information déterminante pour elle (C. civ. art.  1137, al. 2 dans sa rédaction issue de l'Ord. 2016-131 du 10 févr. 2016). La règle, maintenue par la réforme du droit des contrats, est constante. Dès lors qu’il est établi que le silence a été volontairement gardé, les juges doivent donc rechercher si ce mensonge par omission a déterminé le consentement de sa victime à contracter. Lorsque la victime fonde son action, exclusivement ou, tel qu’en l’espèce, à titre principal, sur un manquement à l’obligation précontractuelle d’information, la recherche de ce caractère déterminant est identique. En effet, « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information (…) » (C. civ., art. 1112-1, al. 1er). Ainsi, qu’il s’agisse d’obtenir la nullité du contrat, sur le terrain du dol, ou l’engagement de la responsabilité extracontractuelle du débiteur de l’obligation précontractuelle d’information, sur le terrain du devoir de renseigner autrui, l’information à fournir doit donc, en toute hypothèse, avoir été déterminante du consentement à contracter de celui auquel cette information, à ses yeux essentielle, n’a pas été livrée. Généralement, sont considérés par l’acheteur comme déterminants de son consentement le prix, le délai de livraison, les pénalités de retard, les clauses de non responsabilité, les garanties, les prescriptions, ou encore l’octroi d’un droit de rétractation. L’originalité de la décision rapportée réside dans l’élément jugé essentiel : la qualité de l’environnement du lieu, légitimement attendue compte tenu de sa ruralité et partant, de l’absence escomptée de troubles de quelque nature que ce soit, en l’occurrence olfactifs, outrepassant ceux inhérents à tout voisinage.

En l’espèce, les juges ont relevé que les vendeurs avaient de toute évidence eu connaissance, dès la date de la vente, des nuisances qu’ils avaient eux-mêmes subies et qui avaient été rendues publiques, à la fois par voie administrative, policière (ouverture d’une enquête), médiatique (coupures de presse, reportage télévisuel), et même associative (un « collectif » s’étant créé à l’annonce du projet d’extension de l’usine). Ils ont également relevé que les acquéreurs, étrangers à l’endroit de leur acquisition, ignoraient légitimement le phénomène affectant la localité et ses habitants, alors que cette information était déterminante pour eux, qui avaient choisi cette ferme rénovée « pour son environnement rural agréable ». Partant, les vendeurs qui, en pleine connaissance de cause, ont tu cet élément essentiel de la vente, l’acte étant resté entièrement muet sur ce point, ont manqué à leur obligation précontractuelle d’information et de renseignement en même temps qu’ils ont commis un dol par réticence, sans toutefois qu’il y ait eu lieu, en l’espèce, de caractériser un élément intentionnel, le dol n’ayant été invoqué qu’à titre subsidiaire.

De surcroît, les nuisances constituaient un vice caché (C. civ., art. 1641 s.) : antérieur à la vente et non perceptible, le trouble subi affectait la ferme dans son habitabilité au point d’en diminuer notablement l’usage, en sorte que les acquéreurs ne l’auraient pas acquise, ou alors à un moindre prix, s’ils avaient connu l’existence de ce vice. Tenus à garantie, les vendeurs devaient, en conséquence de la résolution demandée de la vente, en restituer le prix, et indemniser les acquéreurs du préjudice subi, sans que la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de l’action en garantie des vices cachés, qui n’est pas d’ordre public (Civ. 1re, 26 oct. 1983, n° 82-13.560), puisse être accueillie, faute pour eux d’avoir su, en cause d’appel, en justifier, alors que celui qui oppose la fin de non-recevoir tirée du dépassement du délai d’exercice de l’action en garantie des vices cachés doit pouvoir rapporter la preuve que le délai de deux ans à compter de la découverte du vice a été effectivement dépassé (Civ. 3e, 9 févr. 2011, n° 10-11.573).

Civ. 3e, 21 nov. 2019, n° 18-18.826

Références

■ Fiches d’orientation Dalloz Vente (obligation de délivrance)Dol,  

■ Civ. 3e, 18 avr. 2019, n° 17-24.330AJDI 2019. 562

■ Civ. 1re, 26 oct. 1983, n° 82-13.560 P

■ Civ. 3e, 9 févr. 2011, n° 10-11.573 P: D. 2011. 593

 

Auteur :Merryl Hervieu


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr