Actualité > À la une

À la une

[ 19 octobre 2017 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Mediator : l’exonération du fabricant est refusée

Mots-clefs : Responsabilité civile, Produits défectueux, Produit de santé, Médicament, Mediator, Mise en circulation, Notion, Date, Effet, Exonération, Risque de développement, Appréciation

L’état des connaissances techniques et scientifiques étant, à la date de la mise en circulation du médicament, suffisant pour en connaître les dangers, l’exonération de son fabricant ne peut être obtenue.

Une patiente à laquelle avait été prescrit, durant trois ans, du Mediator, présenta une insuffisance aortique. Après avoir sollicité une expertise judiciaire, elle assigna le laboratoire producteur de ce médicament en réparation de son préjudice. La cour d'appel de Versailles ayant accueilli sa demande, le producteur forma un pourvoi en cassation reprochant aux juges du fond, d'une part, d'avoir retenu que l'insuffisance aortique présentée par cette patiente était imputable au Mediator alors même que la nécessité d’établir, à défaut d’un lien causal scientifiquement certain entre l’administration du produit de santé et l’apparition du dommage, la réunion de présomptions graves, précises et concordantes suffisantes pour constituer la preuve d’un lien de causalité, n’avait pas en l’espèce été rapportée et, d'autre part, d'avoir écarté l'exonération de responsabilité invoquée sur le fondement du 4° de l'article 1386-11 du Code civil (devenu l’article 1245-10), selon lequel le producteur peut s’exonérer de sa responsabilité s’il établit que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, ne lui permettait pas de déceler l’existence du défaut ce que la cour d’appel n’avait pas, selon le demandeur au pourvoi, recherché. 

Le pourvoi est rejeté par la première chambre civile, les juges du fond ayant en en effet relevé que, si l'expert judiciaire a conclu à une causalité seulement plausible, le collège d'experts, placé auprès de l'ONIAM, et chargé d'émettre un avis sur les dommages et les responsabilités en vue d'une indemnisation amiable des victimes du médicament, s'est ensuite, à la demande de cette patiente, prononcé en faveur d'une imputabilité de l'insuffisance aortique à la prise de Mediator, que la connaissance sur les effets nocifs du médicament avait alors progressé, qu'aucune hypothèse faisant appel à une cause étrangère n'avait été formulée et qu'aucun élément ne permettait de considérer que la pathologie de l'intéressée était antérieure au traitement par le Mediator, dès lors qu'elle s'était bornée à reproduire les constatations médicales sur le grade de l'insuffisance aortique présentée par cette patiente, la cour d'appel avait donc pu en déduire qu'il existait des présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir que sa pathologie était bien imputable au Mediator. De surcroît, selon la Haute cour, « le producteur est responsable de plein droit du dommage causé par le défaut de son produit à moins qu'il ne prouve, selon le 4° de l'article 1386-11, devenu 1245-10 du Code civil, que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut », ce qu’il n’avait su, en l’espèce, établir.

La mise en circulation du produit est une des notions clés du régime spécial de responsabilité du fait des produits défectueux. Matrice de la responsabilité du producteur, ce dernier étant considéré comme devant répondre à titre principal de la défectuosité du produit, la notion de mise en circulation détermine l'appréciation de plusieurs éléments de sa responsabilité dont, principalement, l'appréciation de la sécurité offerte aux destinataires du produit et de l'état des connaissances scientifiques et techniques susceptibles de déceler son défaut et d’en mesurer le danger ce qui permet, lorsque celles-ci n’étaient pas acquises à la date de la mise en circulation du produit, d’exonérer son producteur. 

Un produit est considéré comme mis en circulation lorsque le producteur s'en est dessaisi volontairement (C. civ., art. 1245-6), c’est-à-dire lorsque ce dernier a fait sortir le produit du processus de fabrication en vue de sa distribution et de sa commercialisation. La CJCE avait en ce sens jugé que l’article 11 de la directive du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux devait être interprété en ce sens qu'  « un produit est mis en circulation lorsqu'il est sorti du processus de fabrication mis en oeuvre par le producteur et qu'il est entré dans un processus de commercialisation dans lequel il se trouve en l'état offert au public aux fins d'être utilisé ou consommé » (CJCE 9 févr. 2006, Declan O’Byrne c/ Sanofi Pasteur, n° C.127/04). Ainsi la question de la date de la mise sur le marché du produit est-elle, comme en atteste la décision rapportée, déterminante pour apprécier tant la possibilité d’engager la responsabilité du producteur que de l’exonérer de celle-ci ; en effet, parmi les causes spécifiques d’exonération figure celle du « risque de développement », grâce à la preuve duquel le producteur peut s'exonérer de sa responsabilité s’il parvient à établir que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut. Le risque de développement peut ainsi être défini comme le défaut d'un produit que le producteur n'a pu découvrir, ni éviter, pour la raison que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment de la mise en circulation du produit, ne le lui permettait pas. En matière de santé, cette cause d'exonération est spécialement susceptible d’être exploitée par les fabricants de médicaments, dont la dangerosité n’apparaît souvent que plusieurs mois, voire plusieurs années après leur mise sur le marché. Cependant, un producteur ne saurait se prévaloir de son ignorance de façon illégitime : les dangers dénoncés du produit, même éventuels, doivent tout de même le conduire à s’enquérir de leur réalité. En outre, l'exonération pour risque de développement faisant exception au principe de la responsabilité du producteur, celle-ci doit être interprétée strictement (en ce sens, V. CJCE 10 mai 2001, Henning Veedfald c/ Arhus Amtskommune, n° C-203/99)Ce n'est donc pas l'état des connaissances habituellement utilisées dans un milieu professionnel qui doit être pris en considération mais l'état des connaissances à son niveau le plus élevé (en ce sens, Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, Litec, 2éd. 2009, n° 749)

En l'espèce, l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment de la mise en circulation du produit, permettait de déceler l'existence du défaut invoqué du Mediator. En effet, la Haute cour juge qu’« après avoir retenu le caractère défectueux du Mediator, l'arrêt de la cour d'appel de Versailles décrit, par motifs propres et adoptés, les conditions dans lesquelles ont été révélés les effets nocifs de ce produit en raison, notamment, de sa similitude avec d'autres médicaments qui, ayant une parenté chimique et un métabolite communs, ont été, dès 1997, jugés dangereux, ce qui aurait dû conduire la société à procéder à des investigations sur la réalité du risque signalé, et, à tout le moins, à en informer les médecins et les patients ». Elle ajoute, pour confirmer l’analyse des juges du fond, que « la possible implication du Mediator dans le développement de valvulopathies cardiaques, confirmée par le signalement de cas d'hypertensions artérielles pulmonaires et de valvulopathies associées à l'usage du benfluorex, avait été mise en évidence par des études internationales et conduit au retrait de ce médicament en Suisse en 1998, puis à sa mise sous surveillance dans d'autre pays européens et à son retrait en 2003 en Espagne, puis en Italie ».

Civ. 2e, 20 sept. 2017, n° 16-19.643

Références

■ CJCE 9 févr. 2006, Declan O’Byrne c/ Sanofi Pasteur, n° C-127/04 : D. 2006. 671 ; ibid. 1259, obs. C. Nourissat ; ibid. 1929, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RTD civ. 2006. 265, obs. P. Remy-Corlay ; ibid. 331, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2006. 515, obs. M. Luby.

■ CJCE 10 mai 2001, Henning Veedfald c/ Arhus Amtskommune, n° C-203/99 : D. 2001. 3065, note P. Kayser ; RTD civ. 2001. 898, obs. P. Jourdain ; ibid. 988, obs. J. Raynard ; RTD com. 2001. 827, obs. M. Luby.

 

Auteur :M. H.

Autres À la une


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr