Actualité > À la une

À la une

[ 12 décembre 2023 ] Imprimer

Droit des successions et des libéralités

Même non daté, un testament olographe peut être valable

En dépit de son absence de date, un testament olographe n'encourt pas la nullité dès lors que des éléments intrinsèques à l'acte, corroborés par des éléments extrinsèques, établissent qu'il a été rédigé au cours d'une période déterminée et qu'il n'est pas démontré qu'au cours de cette période, le testateur ait été frappé d'une incapacité de tester ou ait rédigé un testament révocatoire ou incompatible.

Civ. 1re, 22 nov. 2023, 21-17.524 B

L'absence de date sur un testament olographe n'entraîne pas nécessairement sa nullité. L’annulation peut en effet être évitée si la date du testament est susceptible d’être reconstituée à partir d'éléments intrinsèques (se trouvant dans le testament lui-même) et corroborés par des éléments extérieurs à celui-ci. C'est ce que vient de rappeler la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 22 novembre dernier (v. déjà, Civ. 1re, 5 mars 2014, n° 13-14.093) dans une affaire où la testatrice, ayant laissé pour lui succéder ses deux frères, avait désigné l’un d’entre eux comme son légataire universel, aux termes d'un testament olographe rédigé au verso d'un relevé de compte bancaire, arrêté au 31 mars 2014, que cette dernière avait signé mais omis de dater. Le frère du légataire avait assigné ce dernier en nullité du testament. Il fut débouté en appel, la cour jugeant valable le testament litigieux, même dépourvu de date manuscrite, compte tenu de la date imprimée sur le relevé bancaire. L’héritier déçu forma alors un pourvoi en cassation, soutenant que lorsque le testament ne comporte, de la main même du testateur, aucun élément indicatif de la date de sa rédaction, la date imprimée sur le papier portant testament ne peut suffire à constituer un élément intrinsèque contenant le principe et la racine de la date du testament, ce qui empêche de recourir, ensuite, à des éléments extrinsèques pour reconstituer celle-ci. Aussi avançait-il qu’en tout état de cause, l'élément intrinsèque contenu dans le testament, en l'absence de date, doit être complété par des éléments extrinsèques en l’absence desquels les juges du fond auraient dû, en l’espèce, constater l’irrégularité du testament litigieux.

Se trouvait ainsi posée à la Cour de cassation la question des conditions de reconstitution de la date d’un testament olographe non daté à l’époque de sa signature. Pour y répondre et rejeter, en conséquence, le pourvoi formé contre la décision des juges du fond, la Cour de cassation rappelle qu’en dépit de son absence de date, un testament olographe n'encourt pas la nullité dès lors que des éléments intrinsèques à l'acte, éventuellement corroborés par des éléments extrinsèques, établissent qu'il a été rédigé au cours d'une période déterminée et qu'il n'est pas démontré qu'au cours de cette période, le testateur ait été frappé d'une incapacité de tester ou ait rédigé un testament révocatoire ou incompatible. Elle précise alors, eu égard aux circonstances de l’espèce, qu’une date pré-imprimée sur le support utilisé par le testateur pour rédiger son testament olographe peut constituer un élément intrinsèque à celui-ci.

Ayant relevé, d'une part, que la mère du légataire avait établi son testament au verso de l'original d'un relevé de banque donnant la valorisation d'une épargne au 31 mars 2014 et y avait indiqué l'adresse de son domicile, laquelle correspondait à celle figurant sur le relevé, et, d'autre part, que l'intéressée avait été hospitalisée à compter du 27 mai 2014 jusqu'à son décès, la cour d'appel a estimé, en présence de deux éléments intrinsèques, corroborés par un élément extrinsèque, que le testament avait été écrit entre ces deux dates.

Ayant également retenu qu'il n'était pas démontré que la testatrice était atteinte d'une incapacité de tester à cette période, pendant laquelle elle n'avait pas pris d'autres dispositions testamentaires, la cour d'appel, qui en a déduit qu'il n'y avait pas lieu de prononcer la nullité du testament en raison de son absence de date, a, ainsi, légalement justifié sa décision.

En principe, un testament non daté ne devrait jamais être considéré comme valable. En effet, selon l’article 970 du Code civil, la date du testament olographe est une condition essentielle à sa validité : cette condition a pour but de vérifier la capacité du testateur au jour de la rédaction du testament et à empêcher, ainsi, toute fraude.

Visant à protéger le testateur, l’exigence d’un testament daté doit donc être appréciée dans son seul intérêt. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation interprète cette condition avec une souplesse que l’auteur du pourvoi entendait combattre, en appelant à une lecture formelle des termes de l’article 970. Cependant, la Cour refuse depuis longtemps d’adopter une telle approche, que la date du testament soit incomplète, incertaine, ou totalement absente : « Les faits et circonstances extrinsèques au testament peuvent, dans la mesure où ils corroborent les éléments intrinsèques dans lesquels doit avoir son principe et sa racine la preuve de la date, servir à établir cette date ou à la compléter » (v. Civ. 1re, 24 juin 1952 ; en l’espèce, mention du 4 novembre sans indication de l’année). Ainsi, même en l’absence totale de date de rédaction du testament, la reconstitution de cette date est admise (Civ. 1re, 10 mai 2007, n° 05-14.366 ; 5 mars 2014, préc.). En outre, contrairement à ce que soutenait le demandeur au pourvoi, dès lors que l’acte testamentaire comporte l’indication d’une date, même non formellement apposée, de la main du testateur, il incombe aux juges du fond de rechercher si des éléments extrinsèques à l’acte ne permettent pas d’interpréter l’écriture de l’auteur pour confirmer la date indiquée (Civ. 1re, 18 nov.1997, n° 95-18.026).

L’esprit de l’article 970 du Code civil est ainsi préféré à sa lettre. Si la loi exige un testament daté pour vérifier la capacité de son rédacteur d’exprimer une volonté libre et éclairée, la pleine capacité de celui-ci, dans la période supposée de rédaction, et l’absence de tout autre testament révocatoire ou inconciliable avec le testament considéré, privent logiquement de cause l'exigence formelle de date.

Ce raisonnement revient, comme en témoigne la décision commentée, à faire peser la charge de la preuve de la vulnérabilité du testateur ou de la caducité du testament litigieux sur les héritiers qui le contestent.

En l’espèce, le frère du légataire n’a pas su la rapporter, dès lors qu’avait été établi le cumul de deux éléments intrinsèques, constitués par la date figurant sur le relevé bancaire ainsi que par l’adresse du domicile de la testatrice, correspondante à celle indiquée sur ce support, conjugués à l’élément extrinsèque constitué par la date et la durée d’hospitalisation de la testatrice (jusqu’à son décès). La réunion de l’ensemble de ces éléments démontrait que le testament n’avait pu être rédigé qu’entre le 31 mars et le 27 mai 2014. En outre, aucun élément ne parvenait à établir l’insanité d’esprit ou une perte de discernement de la défunte durant l’intégralité de cette période au cours de laquelle le testament avait été nécessairement écrit par elle, sans que la preuve d’une révocation ultérieure de ce dernier n’ait pu, par ailleurs, être apportée.

On comprend aussi qu'il s'agissait moins de reconstituer une date qu’une période de rédaction, ce que révélait déjà la jurisprudence antérieure (Civ. 1re, 10 mai 2007, n° 05-14.366 ; 5 mars 2014, préc.).

Références :

■ Civ. 1re, 5 mars 2014, n° 13.14-093 P : DAE, 25 mars 2014, note M. Hervieu D. 2014. 1133, note G. Raoul-Cormeil ; ibid. 1905, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; ibid. 2259, obs. J.-J. Lemouland, D. Noguéro et J.-M. Plazy ; AJ fam. 2014. 248, obs. N. Levillain ; RTD civ. 2014. 428, obs. M. Grimaldi.

■ Civ. 1re, 24 juin 1952 : D. 1952. 613.

■ Civ. 1re, 10 mai 2007, n° 05-14.366 D. 2007. 1510 ; ibid. 2126, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; ibid. 2327, chron. P. Chauvin et C. Creton ; AJ fam. 2007. 315, obs. F. Bicheron ; RTD civ. 2007. 604, obs. M. Grimaldi.

■ Civ. 1re, 18 nov.1997, n° 95-18.026 P : D. 1999. 310, obs. M. Nicod.

 

Auteur :Merryl Hervieu


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr