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Droit de la famille
Même sans motifs graves, le juge peut s’opposer au droit d’hébergement du parent non gardien de l’enfant
Pour s’opposer à la demande d’un droit d’hébergement de l’enfant formulée par le parent non gardien, le juge n’est pas tenu de constater des motifs graves, dès lors qu'il ne refuse pas à ce dernier tout droit de visite.
Civ. 1re, 16 nov. 2022, n° 21-11.528
Après la séparation de ses parents, l’enfant réside le plus souvent auprès de l’un ou de l’autre d’entre eux. Pour éviter que les liens l’unissant au second parent ne se distendent, il est donc essentiel que ce dernier dispose d’un droit de visite et d’hébergement. Lorsque les circonstances le justifient, ce droit peut toutefois être limité dans l’intérêt de l’enfant. Dans des cas exceptionnels, ce droit peut même être purement et simplement refusé au parent séparé qui le demande, au nom de l’intérêt supérieur de son enfant. Jusqu’alors, ce refus devait être justifié par des motifs graves. Or cette condition est explicitement délaissée par la Cour de cassation dans la décision rapportée, qui marque ainsi une évolution notable du régime de l’autorité parentale en cas de séparation du couple.
Au cas d’espèce, à la suite de la séparation d’un couple, un juge aux affaires familiales avait fixé la résidence de l'enfant au domicile de sa mère et accordé au père un droit de visite simple, ie sans droit d’hébergement complémentaire. Précisons d’emblée que le droit de visite ne consiste pas seulement dans la faculté de rencontrer un enfant : il comprend aussi « le droit d’emmener (celui-ci) pour une période limitée dans un lieu autre que celui de sa résidence habituelle » (Conv. La Haye 25 oct. 1980, art. 5 ; Règl. UE n° 2201/2003, 27 nov. 2003, art. 2). Le droit d’hébergement « constitue (ainsi) une des modalités du droit de visite » (Civ. 1re, 5 mai 1986, n° 84-16.901). Le père avait alors adressé au juge une requête à l’effet d’obtenir, au-delà d’un seul droit de visite, le droit d’héberger son enfant. Pour refuser d’accéder à sa demande, la cour d’appel retint que le père ne rapportait pas la preuve d'avoir été empêché d'exercer son droit d'hébergement et ne prétendait d'ailleurs pas même avoir tenté de le faire, que l'adolescente avait expliqué ne plus vouloir rencontrer son père dans la mesure où des visites récentes, exercées après plusieurs années sans rencontre, se seraient mal passées et que les modalités d'un droit de visite simple étaient adaptées à une reprise de contact en l'état d'une longue interruption des séjours de l’enfant auprès de son père. Devant la Cour de cassation, le père reprochait aux juges du fond de ne pas avoir ainsi caractérisé l’existence de motifs graves seuls à mêmes de justifier ainsi la restriction de son droit de visite. Rappelant les termes de l'article 373-2-9, alinéa 3 du code civil, selon lequel lorsque la résidence de l'enfant est fixée au domicile de l'un des parents, le juge aux affaires familiales statue sur les modalités du droit de visite de l'autre parent, lequel peut prendre, dans l'intérêt de l'enfant, la forme d'un droit de visite simple sans hébergement, la Cour rejette le pourvoi, la cour d’appel n’étant pas « tenue de constater des motifs graves dès lors qu'elle ne refusait pas au père de l'enfant tout droit de visite ».
Il est souhaitable que malgré la séparation, l’enfant continue à entretenir des relations avec ses deux parents. S’il vit habituellement chez l’un d’eux, il convient donc que le second puisse non seulement le rencontrer, mais également le recevoir à son propre domicile, à intervalles réguliers. L’exercice d’un droit de visite et d’hébergement de l’enfant est donc une condition déterminante du maintien du lien parental.
Les modalités de ce droit sont diverses. Elles sont qualifiées de classiques quand son titulaire reçoit l’enfant un week-end sur deux et pendant la moitié des vacances scolaires. Le droit de visite peut toutefois être étendu. À l’inverse, il doit parfois être restreint. Dans ce cas, les limitations qui lui sont apportées doivent en principe être justifiées par des raisons suffisamment impérieuses : « le parent qui exerce conjointement l’autorité parentale ne peut se voir refuser un droit de visite et d’hébergement que pour des motifs graves tenant à l’intérêt supérieur de l’enfant » (Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 04-19.527). Ainsi un juge ne peut-il pas priver un père de son droit d’héberger sa fille et ne lui accorder qu’un simple droit de visite « sans caractériser de motif grave tenant à l’intérêt de l’enfant » (Civ. 1re, 9 nov. 2016, n° 15-20.610). En effet, sur le fondement de l’article 373-2-1 alinéa 2 du code civil, le parent qui exerce conjointement l’autorité parentale ne peut se voir refuser un droit de visite et d’hébergement qu’en considération de faits manifestement attentatoires à l’intérêt de l’enfant. Or les circonstances de l’espèce tenant au fait que l’enfant ne souhaite pas revoir son père (Civ. 2e, 29 avr. 1998, n° 96-18.460) et au risque de perturbation psychologique que présenterait pour lui un hébergement au domicile de ce dernier (Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 04-19.527) ne constituent pas, en principe, des motifs d’une gravité suffisante pour refuser l’octroi d’un droit d’hébergement. En effet, la gravité des motifs pour justifier ce refus est généralement établie par des comportements menaçants, des actes de violences physiques ou psychologiques, ou encore par le risque d’enlèvement de l’enfant et de la perte par l’autre parent de son autorité parentale (Civ. 1re, 2 mars 2004, n° 03-17.768 ; Civ. 1re, 24 oct. 2000, n°98-14.386 ; Civ. 1re, 25 mars 1997, n° 94-18.697).
Au cas d’espèce, la Cour de cassation aurait donc dû, en conformité avec sa jurisprudence antérieure, accorder un droit d’hébergement au père, quitte à le réduire sensiblement ou à l’encadrer en prévoyant son exercice dans un espace de rencontre (C. civ., art. 373-2-9, al.4), pour prendre en compte l’intérêt de l’enfant sans méconnaître toutefois les droits de son père. Or la Cour fait le choix inédit de confirmer le refus pur et simple des juges du fond d’octroyer au père un droit d’hébergement, évinçant par là-même l’exigence d’un motif grave à ce refus. Justifiée par la primauté de l’intérêt de l’enfant sur les droits de ses parents, la solution est nouvelle : désormais, le juge peut donc refuser au parent non gardien un droit d’hébergement dès lors qu’il maintient son droit de visite et qu’un motif légitime, même s’il ne revêt pas le caractère de gravité jadis requis, est susceptible de justifier ce refus.
Références :
■ Civ. 1re, 5 mai 1986, n° 84-16.901
■ Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 04-19.527 : D. 2006. 881, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2007. 2192, obs. A. Gouttenoire et L. Brunet ; AJ fam. 2006. 202, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2006. 300, obs. J. Hauser ; ibid. 549, obs. J. Hauser
■ Civ. 1re, 9 nov. 2016, n° 15-20.610
■ Civ. 2e, 29 avr. 1998, n° 96-18.460 : RTD civ. 1998. 896, obs. J. Hauser
■ Civ. 1re, 2 mars 2004, n° 03-17.768 : D. 2004. 994 ; ibid. 2005. 1821, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2004. 184, obs. F. Bicheron ; RTD civ. 2004. 276, obs. J. Hauser
■ Civ. 1re, 24 oct. 2000, n° 98-14.386 : RDSS 2001. 151, obs. F. Monéger ; RTD civ. 2001. 126, obs. J. Hauser
■ Civ. 1re, 25 mars 1997, n° 94-18.697 : D. 1998. 291, obs. F. Dumont
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