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Droit des personnes
Mineur non accompagné : les contours de la preuve de la minorité
Le juge saisi d’une demande d’assistance éducative concernant un mineur non accompagné ne peut refuser d’y faire droit au motif que l’incohérence des documents d’état civil établis à l’étranger renverse la présomption de régularité de ces actes, alors qu’il lui incombe de rechercher, au besoin en ordonnant une radiographie osseuse, si l’âge allégué par l’intéressé n’est pas vraisemblable.
Civ. 1re, 15 oct. 2020, n° 20-14.993
Illustration de notre tragique actualité, l’attentat commis à l’encontre de deux journalistes que son auteur suspectait d’être membres de l’équipe de rédaction de Charlie Hebdo a fait ressurgir le débat relatif aux mineurs isolés (désormais appelés mineurs non accompagnés), conforté par le constat qu’un certain nombre d’entre eux sont en fait majeurs, tel l’assaillant de l’attentat perpétré. La minorité de ces ressortissants étrangers, séparés de leurs représentants légaux sur le territoire français, est pourtant une condition indispensable à l’aménagement à leur profit des règles relatives au séjour des étrangers et, corrélativement, à leur prise en charge par l’aide sociale à l’enfance au titre de la minorité : en effet, les mineurs non accompagnés ne sont soumis à aucune exigence relative à la régularité de leur entrée ou de leur séjour sur le territoire national et ne peuvent faire l’objet d’aucune mesure d’éloignement dès lors que leur santé, leur sécurité ou leur moralité sont en danger. Il en est de même si les conditions de leur éducation ou de leur développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises. Des mesures d'assistance éducative peuvent alors être ordonnées par le juge (C. civ., art. 375). Déterminante du bénéfice de la protection que la loi confère à ces ressortissants, cette règle de la minorité est en pratique assez peu respectée en raison de plusieurs éléments tant juridiques que factuels, dont la conjonction facilite l’affranchissement : le manque de fiabilité, régulièrement observé, des documents d’identité présentés au juge ; la présomption de régularité attachée par l’article 47 du code civil aux actes d’état civil des étrangers nés à l’étranger, et partant la véracité présumée de la date de naissance indiquée dans les documents, même douteux, fournis par le demandeur ; la difficulté de renverser cette présomption, lorsque certains éléments contredisent la régularité de ces actes, par d’autres éléments censés établir avec certitude la minorité du demandeur.
Lorsqu’il n’existe pas de documents d'identité valables et que l'âge allégué par le mineur n'est pas vraisemblable, l’article 388 du Code civil prévoit ainsi, à cet effet, la faculté pour le juge, mais non son obligation, de faire pratiquer des examens radiologiques osseux, avec l'accord de l'intéressé (al. 1). Connues pour leur relative fiabilité, les conclusions de ces expertises, lorsqu’elles auront été ordonnées, ne peuvent néanmoins à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur, étant précisé que si un doute persiste à l’issue de cet examen radiologique, celui-ci devra être considéré comme n’ayant pas encore atteint l’âge de la majorité (al. 2). Pour toutes ces raisons, en l’absence de documents réguliers ou de pièces rendant vraisemblable l’âge allégué, le doute relatif à la minorité du jeune étranger peine à être levé et corrélativement, la présomption de véracité de l’âge indiqué dans les actes d’état civil dressés à l’étranger se révèle difficile à combattre.
Ces lacunes et insuffisances n’autorisent cependant pas le juge à exclure la minorité du jeune étranger et à lui refuser toute mesure d’assistance éducative, au seul motif que sa minorité ne serait pas établie. Tel est l’enseignement principal de l’arrêt rapporté, soulignant l’importance du contrôle judiciaire de la vraisemblance de l’âge allégué par le demandeur, dont elle trace les contours en précisant la portée des mesures d’instruction susceptibles d’être alors ordonnées.
Ainsi, même en présence de documents invraisemblables, le juge ne peut s’affranchir de son obligation de rechercher l’âge réel du demandeur, notamment par le biais d’une radiographie des os qu’une loi récente (L. n° 2016-297 du 14 mars 2016) lui a permis d’ordonner pour faciliter cette recherche et en renforcer l’efficacité. Depuis lors, le juge peut ainsi se voir reprocher de ne pas avoir exercé cette faculté pour vérifier, comme cela lui incombe, si l’âge allégué par le demandeur n’est pas vraisemblable.
C’est ce qui justifie, en l’espèce, la cassation de l’arrêt rendu par la juridiction d’appel qui avait prononcé un non-lieu à assistance éducative sollicitée par un jeune migrant au motif qu’eu égard aux incohérences manifestes des documents d’état civil produits, la présomption de régularité édictée par l’article 47 du Code civil était de ce seul fait renversée, et la minorité de l’intéressé exclue. Au visa des articles 375 alinéa 1 et 388 alinéas 1 et 2 du même code, la première chambre civile juge qu’en se déterminant ainsi, la cour a privé sa décision de base légale en s’abstenant de rechercher si l’âge allégué était vraisemblable, notamment en ordonnant un examen radiologique osseux. C’est pourquoi si l’examen radiologique des os ne peut à lui seul suffire à déterminer l’âge du demandeur, il doit cependant être ordonné en cas de doute à l’effet de comparer l’âge réel avec celui allégué. En ce sens, la Haute cour affirme qu’il se déduit des dispositions précitées que le juge ne peut rejeter une demande de protection d’un mineur au titre de l’assistance éducative « sans examiner le caractère vraisemblable de l’âge allégué et, le cas échéant, ordonner un examen radiologique osseux » ; « le cas échéant », autrement dit, si cela se révèle nécessaire.
Par cette incise, la Haute cour rappelle que la liberté du juge d’ordonner une telle mesure n’est qu’apparente. En vérité, le juge est, en cas de doute, tenu de l’ordonner, quoiqu’il reste libre d’en apprécier le résultat (Civ. 1re, 21 nov. 2019, nos 19-17.726 et 19-15.890 ; Civ. 1re, 19 sept. 2019, n° 19-15.976), et qu’il lui incombe de veiller au respect du caractère subsidiaire de cet examen, par ailleurs entouré de multiples garanties constitutionnellement protégées au nom de l’intérêt de l’enfant (Cons. const. 21 mars 2019, n° 2018-768 QPC) : c’est ainsi que la majorité de l’intéressé ne peut être déduite de son seul refus de se soumettre à cet examen osseux ni du seul résultat, s’il est ordonné, qui en résulte (Civ. 1re, 3 oct. 2018, n° 18-19.442, en application de l’art. 388, al. 2), l'autorité judiciaire devant apprécier son âge en tenant compte d’autres éléments susceptibles d’être recueillis (évaluation sociale, entretiens réalisés par les services de la protection de l'enfance) et dont l’éventuelle contradiction avec les conclusions des examens radiologiques, par essence incertaines (C. civ., art. 388, al. 3), se résoudra en faveur de l’intéressé, dont la minorité sera ainsi actée.
En cette matière, le doute profite donc à l’intéressé comme il profite, en droit pénal, à l’accusé (v. aussi en droit des obligations, C. civ. art. 1191). Traditionnelle et légitime, cette règle de faveur pourrait toutefois ici, par son ampleur, entraver la quête tout aussi traditionnelle et légitime de la vérité judiciaire, que ne conduit pas à faciliter l’objet du contrôle imposé par cet arrêt aux juges du fond qui par « un subtil jeu d’équilibriste (…), doivent à la fois mettre tout en œuvre pour déterminer l’âge du mineur, sans être tenus de suivre les résultats scientifiques de l’examen radiologique osseux » (C. Hélaine, « Précisions sur la portée du contrôle du juge dans la détermination de l’âge d’un mineur », Dalloz actualité, 30 oct.2020) .
Références :
■ Civ. 1re, 21 nov. 2019, nos 19-17.726 et 19-15.890 P: AJDA 2019. 2407 ; D. 2019. 2301 ; AJ fam. 2020. 65, obs. C. Bruggiamosca ; RTD civ. 2020. 71, obs. A.-M. Leroyer
■ Civ. 1re, 19 sept. 2019, n° 19-15.976 P: AJDA 2019. 1840 ; D. 2019. 1832 ; ibid. 2020. 506, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2019. 588, obs. C. Bruggiamosca ; RTD civ. 2019. 829, obs. A.-M. Leroyer
■ Cons. const. 21 mars 2019, n° 2018-768 QPC: AJDA 2019. 662 ; ibid. 1448, note T. Escach-Dubourg ; D. 2019. 742, et les obs., note P. Parinet ; ibid. 709, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 1732, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2020. 1324, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ fam. 2019. 222, obs. A. Bouix ; RDSS 2019. 453, note A.-B. Caire
■ Civ. 1re, 3 oct. 2018, n° 18-19.442 P: AJDA 2018. 1936 ; D. 2018. 1911 ; ibid. 2019. 1732, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2018. 676, obs. L. Gebler ; RTD civ. 2019. 77, obs. A.-M. Leroyer
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