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Droit des obligations
Mise en œuvre de la clause résolutoire : limite à l’exigence de bonne foi du bailleur
Si le preneur ne respecte pas les délais de paiement accordés par le juge des référés, la clause résolutoire est définitivement acquise au bailleur, peu important la bonne foi de ce dernier.
Civ. 3e, 26 oct. 2023, n° 22-16.216
Sur le fondement de l’article 1343-5 du code civil, le juge des référés peut accorder au locataire poursuivi par son bailleur des délais de paiement. En faveur pour le preneur, la loi prévoit que l’octroi de tels délais a pour effet de suspendre les effets de la clause résolutoire stipulée au contrat (C. com., art. L. 145-41). L’on sait toutefois que lorsque le locataire ne respecte pas scrupuleusement les délais de paiement fixés dans l’ordonnance de référé, la clause résolutoire se trouve définitivement acquise (Civ. 3e, 3 déc. 2003, n° 02-14.645, à propos d’un dépassement de délai de quelques jours ; Civ. 3e, 14 mai 2008, n° 07-17.121, même si l’ordonnance n’a pas précisé expressément qu’à défaut de respect du délai, la clause résolutoire est acquise). Cette rigueur imposée au locataire, qui n’a dans ce cas plus d’autre choix que de voir son bail définitivement résilié, ne va pas de soi. Non requise par la loi, elle résulte d’une construction jurisprudentielle particulièrement favorable au bailleur : en effet, non seulement les juges du fond sont dénués de tout pouvoir d’appréciation sur l’ampleur du non-respect du délai si bien que même mineur, le non-respect de l’échéancier devra être sanctionné, mais ils sont également privés de la possibilité d’accorder au locataire de nouveaux délais de paiement (Civ. 3e, 2 avr. 2003, n° 01-16.834, D. 2003. 1366, obs. Y. Rouquet ; Civ. 3e, 15 oct. 2008, n° 07-16.725), malgré l’absence d’autorité de la chose jugée attachée à l’ordonnance de référé (Civ. 3e, 25 févr. 2004, n° 02-12.021), Par l’arrêt rapporté, la Cour de cassation apporte une précision nouvelle qui vient encore renforcer le régime de faveur applicable au bailleur : peu importe sa bonne ou mauvaise foi lorsqu’il poursuit, dans ce cas, l’expulsion du locataire.
Au cas d’espèce, un délai de vingt-quatre mois avait été accordé à un preneur pour le paiement d’arriérés ainsi que des loyers courants. Bien qu’il eût manqué au respect d’une échéance, la cour d’appel refusa de constater la résiliation du contrat, motif pris que la somme restant due était « minime » et que la quasi intégralité des arriérés avait été réglée dans un délai bien plus bref que celui accordé par le juge des référés. En l’absence de pouvoir d’appréciation reconnu aux juges du fond, l’argumentation avait de quoi surprendre. Rappelons en ce sens que la résiliation définitive du bail a pu être imposé à un locataire malgré son règlement, en cours d’instance, de l’intégralité des sommes visées au commandement de payer délivré par le bailleur (Civ. 3e, 14 mai 2008, préc.). Raison pour laquelle la cassation de sa décision n’est point, quant à elle, surprenante : même infime, le non-respect de l’échéancier fixé dans l’ordonnance de référé devait emporter la résiliation du contrat. Toutefois, la cour d’appel avait également considéré que ce caractère minime du solde restant dû trahissait la mauvaise foi de la bailleresse dans sa volonté de mettre en œuvre la clause résolutoire. Sous cet angle, l’argumentation aurait dû en revanche susciter l’adhésion de la Cour de cassation, qui érige traditionnellement la bonne foi du bailleur en condition de mise en œuvre de la clause résolutoire (Civ. 3e, 1er févr. 2018, n° 16-28.684 ; Civ. 3e, 25 oct. 2018, n° 17-17.384 ; Civ. 3e, 25 févr. 2016, n° 14-25.087 ; Civ. 3e, 5 nov. 2015, n° 14-11.024). Et pourtant, la troisième chambre civile affirme, cette fois non sans surprise, que la clause résolutoire est acquise « sans que la mauvaise foi de la bailleresse à s’en prévaloir puisse y faire obstacle ». Est-ce à dire que la Cour de cassation procède à un revirement de jurisprudence en admettant que la mauvaise foi du bailleur ne puisse plus faire obstacle à la mise en œuvre de la clause résolutoire ? En vérité, la réponse nous semble être négative. La Cour relève en effet que l’ordonnance de référé était passée en force de chose jugée, soit tenue pour vraie dès lors qu’elle n’était plus susceptible d’être attaquée par les voies de recours ordinaires (C. pr. civ., art. 500 ; sur la distinction entre autorité et force de la chose jugée, v. A. Marais, Introduction au droit, 10 éd., n°160). L’ordonnance de référé, et l’échéancier qui y était mentionné, devait donc être exécuté peu important la bonne ou mauvaise foi de celui qui s’en prévalait. Seules les conventions conclues entre les parties doivent être exécutées de bonne foi, non les décisions de justice.
Dont acte : demeurant inchangée, l’exigence de bonne foi dans la mise en œuvre d’une clause résolutoire ne peut toutefois s’étendre à la mise en œuvre d’une décision judiciaire revêtue de la force jugée.
Références :
■ Civ. 3e, 3 déc. 2003, n° 02-14.645 : AJDI 2004. 374, obs. M.-P. Dumont
■ Civ. 3e, 14 mai 2008, n° 07-17.121
■ Civ. 3e, 2 avr. 2003, n° 01-16.834 : D. 2003. 1366, obs. Y. Rouquet ; AJDI 2003. 583, obs. J.-P. Blatter
■ Civ. 3e, 15 oct. 2008, n° 07-16.725 : D. 2008. 2719, obs. Y. Rouquet ; AJDI 2009. 194, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; RTD com. 2009. 81, obs. F. Kendérian
■ Civ. 3e, 25 févr. 2004, n° 02-12.021 : D. 2004. 1086, et les obs.
■ Civ. 3e, 1er févr. 2018, n° 16-28.684 : D. 2018. 1511, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2018. 591, obs. C. Dreveau
■ Civ. 3e, 25 oct. 2018, n° 17-17.384 : AJDI 2019. 359, obs. P. Haas
■ Civ. 3e, 25 févr. 2016, n° 14-25.087 : D. 2016. 1613, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2016. 509, obs. D. Lipman-W. Boccara
■ Civ. 3e, 5 nov. 2015, n° 14-11.024 : D. 2016. 1613, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2016. 272, obs. R. Hallard
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