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Droit des obligations
Mise en œuvre de mauvaise foi d’une clause résolutoire
Mots-clefs : Civil, Bail à construction, Inexécution du contrat, Clause résolutoire, Mise en œuvre, Mauvaise foi
Ne donne pas de base légale à sa décision la cour d’appel qui s’abstient de s’expliquer sur le point de savoir si la mauvaise foi du bailleur, s’agissant d’un bail à construction conclu pour soixante ans, ne pouvait pas se déduire de la mise en œuvre à son profit d’une clause résolutoire stipulée à l’acte et justifiée par l’édification irrégulière d’une construction édifiée trente-cinq ans avant l’engagement de la procédure.
Un preneur aux droits duquel se trouvait, depuis 1999, une société civile immobilière, avait conclu un contrat de bail à construire pour une durée de soixante ans, à compter du 1er juillet 1971. Par ce contrat, le preneur s’était obligé à édifier ou à faire édifier à ses frais sur le terrain appartenant à la bailleresse des constructions conformes aux plans et devis descriptifs prévus dans l’acte, comme il s’était interdit d’apporter au projet de construction convenu quelconque modification d’exécution ou de délai sans avoir préalablement obtenu, par écrit, l’accord de la bailleresse. Or le preneur avait fait réaliser, sans son autorisation, de nouvelles constructions dont la bailleresse n’avait eu connaissance qu’en 2007, date à laquelle le maire l’avait informée du défaut de conformité de certaines des constructions édifiées, les autres n’ayant, en outre, pas obtenu d’autorisation, faute pour le preneur d’avoir cherché à obtenir un permis de construire. Le 26 novembre 2010, la bailleresse avait alors délivré à la SCI un commandement visant la clause résolutoire en sorte que le preneur mît en conformité le site quant aux surfaces construites, effectuât des travaux et entretint les constructions pour les rendre conformes à leur destination. A défaut de réaction du preneur, elle avait porté l’affaire en justice pour voir constater l’acquisition de la clause résolutoire. Pour déclarer celle-ci effectivement acquise, la cour d’appel retint que la bailleresse avait légitimement fait délivrer le commandement du 26 novembre 2010 et que dans le délai qui lui avait été imparti, le preneur n’avait pas satisfait aux causes de ce commandement. Au visa de l’article 1134 du Code civil, la Cour de cassation censure cette décision, reprochant à la cour d’appel d’avoir omis de rechercher, comme le preneur le lui demandait, si la clause résolutoire n’avait pas été mise en œuvre de mauvaise foi.
Dans la conception classique du droit des contrats, la bonne foi ne joue pas le rôle qu’on lui connaît aujourd’hui. D’ailleurs, si l’origine de la bonne foi se trouve à Rome (bona fides), la bonne foi romaine visait simplement à lutter contre les comportements malhonnêtes. Il s’agissait surtout d’une exigence de loyauté se traduisant par l’obligation du débiteur d’exécuter rigoureusement ses engagements. Les rédacteurs du Code civil vont reprendre cette notion. Cela étant, elle joue pour eux un rôle modeste. La meilleure preuve en est d’ailleurs qu’elle n’est contrôlée qu’au stade de l’exécution du contrat. Surtout, la bonne foi n’est pas dans l’esprit des rédacteurs un moyen de restreindre les pouvoirs du créancier, elle vient au contraire imposer au débiteur d’exécuter loyalement, c’est-à-dire scrupuleusement, ses obligations. Rappelons en effet que dans l’idéologie révolutionnaire, la loi est presque sacrée : expression de la volonté générale, elle s’applique à tous sans distinction de qualité ou de classe. On pourrait donc dire que par cette analogie, les rédacteurs du Code civil ont entendu imposer aux parties d’observer et de respecter la convention qu’ils ont conclue avec la même rigueur que le citoyen doit observer et respecter une obligation légale. Le contractant doit donc être très exactement tenu à ce à quoi il s’est engagé, strictement lié par la parole qu’il a librement donnée en sorte que, traditionnellement, la bonne foi sert à soutenir la force obligatoire du contrat. Telle était d’ailleurs la position classique de la loi et de la jurisprudence jusqu’aux années 70. Ainsi, le débiteur serait de mauvaise foi s’il prétendait que le contrat n’a pas mis telle obligation à sa charge et refusait en conséquence de s’exécuter. Selon la conception classique, le contrôle du juge se porte principalement sur la mauvaise foi du débiteur dans l’exécution de ses obligations car la bonne foi sert en vérité à garantir la bonne exécution de la convention et le respect de la parole donnée. Or aujourd’hui, plus personne ne doute que la mauvaise foi peut tout autant, et même plus, émaner du créancier. Ce renversement de perspective, renouvelant le rôle conféré à la bonne foi, se traduit à l’époque contemporaine par ce constat que la bonne foi ne s’applique non plus seulement au contenu du contrat mais aux comportements des contractants lors de l’exécution de leurs obligations. Dit autrement, la jurisprudence moderne fait application de l’article 1134 alinéa 3 non plus seulement pour vérifier que les obligations contenues dans l’acte sont objectivement exécutées, elle s’en sert aussi pour paralyser certains comportements déloyaux du contractant, sanctionner les « mauvaises manières contractuelles ». Or le jeu des clauses résolutoires, c’est-à-dire celles qui entraînent automatiquement la résiliation ou la résolution du contrat si le débiteur n’exécute pas son obligation, constitue l’exemple le plus connu de la sanction de la mauvaise foi du créancier (Civ. 1re, 31 janv. 1995, n° 92-20.654).
En l’espèce, la mauvaise foi de la bailleresse était susceptible d’être retenue, s’agissant d’un bail à construction conclu pour une durée de soixante ans et d’une construction édifiée au début des années 1970, soit trente-cinq ans avant l’engagement de la procédure et ce, dans la cadre d’un bail dont le loyer était largement tributaire de l’achèvement des constructions. Cette nouvelle illustration de la mise en œuvre de mauvaise foi d’une clause résolutoire exemple illustre une tendance plus générale de la jurisprudence à soumettre l’exercice que peut faire un contractant d’une prérogative contractuelle dont il dispose à un contrôle. La notion de bonne foi permet ainsi de sanctionner l’usage abusif d’une prérogative contractuelle, entendue comme un pouvoir juridique unilatéral accordé à l’une des parties.
Civ. 3e, 19 nov. 2015, n° 14-18.487
Références
■ Code civil
■ Civ. 1re, 31 janv. 1995, n° 92-20.654, D. 1995. 389, note C. Jamin ; ibid. 230, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 1995. 623, obs. J. Mestre.
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