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Droit des obligations
Modification de l’objet du litige par les juges du fond : rappel de l’interdiction
Méconnaissent l’interdiction qui leur est faite de modifier l’objet du litige les juges du fond qui prononcent la réduction du prix du contrat d’entreprise alors qu’était demandée en appel la réparation du préjudice subi en conséquence de l’inexécution partielle du contrat.
Civ. 3e, 7 sept. 2022, n° 21-20.576
Dans un arrêt rendu le 7 septembre dernier au croisement des règles de procédure civile et du droit des obligations (v. aussi Civ. 1re, 7 sept. 2022, n° 21-16.254 ; D. 2022. 1558), la troisième chambre civile de la Cour de cassation est venue rappeler aux juges du fond qu’il leur est interdit, en vertu de l’article 4 du code de procédure civile, de modifier l’objet du litige tel qu’il a été défini par les parties.
En l’espèce, le propriétaire d’une maison individuelle avait confié la réalisation d’une piscine à une société spécialisée. Le procès-verbal de réception des travaux, dressé deux mois plus tard, n’avait pas été signé par le maître de l’ouvrage, motif pris de l’absence de construction d’escaliers à l’intérieur de la piscine, celle-ci ayant pourtant été contractuellement prévue. Malgré l’inexécution alléguée, la société avait assigné son client en paiement du solde du prix convenu. Ce dernier avait alors reconventionnellement demandé la réparation du préjudice causé par l’absence de construction de l’escalier ou, à titre subsidiaire, l’exécution forcée en nature de l’obligation (construction de l’escalier manquant). En appel, la cour condamna la société à payer à son cocontractant une certaine somme au titre d’une réduction du prix du contrat, sur le fondement de l’article 1223 du code civil. Le maître de l’ouvrage s’est pourvu en cassation, reprochant aux juges du fond d’avoir violé l’article 4 du code de procédure civile puisqu’il n’avait pas demandé, au dispositif de ses écritures, la réduction du prix, mais la seule indemnisation de son préjudice. Adhérant sans surprise à la thèse du pourvoi, la troisième chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel pour violation de la loi : « en statuant ainsi, alors que M. [H] demandait non la réduction du prix mais des dommages et intérêts en réparation des conséquences de l’inexécution du contrat, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Ayant les honneurs d’une publication au Bulletin, l’arrêt rapporté confirme la vigilance dont la Cour de cassation fait preuve quant à la répartition des rôles respectivement attribués par le code de procédure civile aux parties et au juge s’agissant de la détermination de l’objet du litige.
■ La détermination de l’objet du litige par les parties. Au cœur du principe dispositif, les parties, qui ont la libre disposition de leurs droits, disposent de la définition de l’objet du litige (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, 35e éd., Dalloz, coll. « Hypercours », 2020, p. 412, n° 519). Elles en ont à la fois la maîtrise exclusive et la pleine liberté. Ainsi, les parties déterminent-elles librement les contours du litige qu’elles vont soumettre au juge, en sorte qu’elles peuvent faire le choix de ne pas présenter au juge l’intégralité de leur différend en circonscrivant le litige à certaines demandes. Ainsi, en l’espèce, le maître d’ouvrage a limité sa demande à l’indemnisation de son préjudice, délaissant celle, qu’il aurait aussi bien pu formuler, de la réduction du prix du contrat. L’objet du litige correspond donc à ce qui est demandé au juge, par chacune des parties, dont la combinaison des prétentions respectives concourt à définir l’objet du litige soumis au juge.
■ L’indisponibilité de l’objet du litige pour le juge. Les parties disposant seules de l’objet du litige, le juge est en conséquence lié par le cadre fixé par les parties : l’objet du litige est pour lui indisponible. Il ne peut ni le définir ni le modifier. En ce sens, l’article 5 du code de procédure civile précise que « (l)e juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ». Ainsi est-il fait interdiction au juge de statuer infra petita – ie de ne pas statuer sur l’ensemble des demandes – ou extra petita – ie de statuer sur un moyen qui n’a pas été soulevé, sauf à en relever un d’office. C’est cette dernière interdiction qu’ont méconnue les juges du fond dans l’arrêt précité. En effet, le maître de l’ouvrage n’avait pas demandé la diminution du prix jugée en cause d’appel, mais la réparation de son préjudice ou, à titre subsidiaire, l’exécution forcée en nature de l’obligation. En l’absence totale de la réduction du prix dans le débat, la cassation de leur décision pour violation de l’article 4 était naturellement encourue. Si la modification de l’objet du litige par les juges du fond était ici patente, il convient toutefois d’ajouter que la conception stricte de la notion d’objet du litige adoptée par la Cour de cassation la conduit à censurer les décisions de juges du fond qui, bien que se démarquant de l’objet exact de la demande initiale, aboutissent au résultat escompté (v. par ex. Civ. 3e, 8 mars 2018, n° 17-10.970 : une cour d’appel prononce la résolution judiciaire d’un bail alors que les conditions d’acquisition de la clause résolutoire invoquée à l’appui de la demande du locataire n’étaient pas réunies ; cassation de la décision, la Cour considérant que la cour d’appel a ainsi modifié l’objet du litige, la demande visant à obtenir la confirmation du jugement constatant l’acquisition de la clause résolutoire se distinguant de celle visant à obtenir la résiliation judiciaire de ce même contrat).
■ La sanction de l’extra petita. En ignorant la demande indemnitaire du maître de l’ouvrage pour condamner son cocontractant à lui restituer une partie du prix versé, les juges du fond ont accordé au demandeur ce qu’il aurait pu solliciter, au lieu de s’en tenir à ce qu’il avait effectivement demandé. La Cour de cassation devait donc prononcer la cassation de leur décision : en optant, par faveur pour la force obligatoire du contrat, pour la réduction à due proportion du prix versé, la cour d’appel a octroyé à la victime de l’inexécution du contrat (« exécution imparfaite », nous dit le nouvel article 1223) ce qu’elle n’avait jamais demandé ; ayant ainsi statué extra petita, elle s’était, ce faisant, immiscée dans la définition de l’objet du litige, laquelle n’appartient qu’aux parties.
■ Les effets de la sanction de l’extra petita. Les parties n’ayant pas intégré au dispositif de leurs conclusions la question de la réduction du prix du contrat en cas d’exécution imparfaite, la sanction de l’extra petita privait d’intérêt de mener cet examen au fond, qui était pourtant attendu. En effet, aucun arrêt n’a encore, à notre connaissance, procédé à l’examen du nouvel article 1223, laissant en suspens les multiples problèmes qu’il soulève, notamment celui de son application dans le temps, consécutif à la double rédaction du texte, entre le 1er octobre 2016 et le 1er octobre 2018 (M. Latina et G. Chantepie, Le nouveau droit des obligations et des contrats. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, Dalloz, 2e éd., n° 641). On peut alors légitimement regretter que l’arrêt sous commentaire ne permette pas de les clarifier. Cette occasion manquée se comprend toutefois parfaitement : au fond, la question ne pouvait être débattue dès lors que les parties ne l’avaient pas intégrée au dispositif de leurs écritures. Le droit processuel chasse ainsi le droit substantiel.
Références :
■ Civ. 1re, 7 sept. 2022, n° 21-16.254 : D. 2022. 1558
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