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Droit de la copropriété
Monument historique : la protection de l’immeuble l’emporte sur celle du droit de jouissance de ses propriétaires
Ne peut être considérée illicite comme portant atteinte aux droits des propriétaires de locaux commerciaux la clause du règlement de copropriété prohibant la pose d'enseignes en façade de l'immeuble, dès lors que cette clause correspond à la destination de l'immeuble situé dans un périmètre de protection de biens classés au titre des monuments historiques.
Dans un immeuble en copropriété dont le règlement prohibait l’apposition de panneaux publicitaires et d’enseignes commerciales sur sa façade, le syndicat des copropriétaires avait assigné un locataire afin qu’il retirât les enseignes commerciales qu’il avait apposées sur la façade de l’immeuble.
Après qu’il eut été condamné à les enlever, un couple de copropriétaires, commerçants exerçant également au sein de cet immeuble, avait formé tierce opposition à cette décision.
En appel, la cour dit n’y avoir lieu de rétracter cette décision, à bon droit motivée par la violation de la clause litigieuse, laquelle ne pouvait être déclarée illicite au seul motif qu’elle porterait atteinte aux droits des propriétaires de locaux commerciaux dès lors qu’elle se révélait être conforme à la destination de l'immeuble, situé dans un périmètre architectural spécialement protégé.
Devant la Cour de cassation, les demandeurs soutenaient que le règlement de copropriété stipulant que les boutiques situées au rez-de-chaussée de l'immeuble pourront être utilisées à des fins commerciales, pour n'importe quel commerce ou industrie, la clause selon laquelle « il ne pourra être placé sur la façade des immeubles aucune enseigne, réclame, lanterne ou écriteau quelconque » devrait alors être jugée contraire à la destination de l'immeuble et partant, réputée non écrite.
Mais la Cour de cassation approuve l’analyse des juges d’appel qui, ayant retenu que la clause litigieuse correspondait à la destination de l'immeuble qui était situé dans le périmètre de protection des remparts de la commune d’Avignon, ont pu, par ces seuls motifs, en déduire que cette stipulation ne pouvait être considérée comme illicite au motif qu'elle porterait atteinte aux droits des copropriétaires des locaux commerciaux.
Respectueux du caractère fondamental et absolu traditionnellement reconnu au droit de propriété, le législateur prévoit depuis longtemps que « (l)e règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires, en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l'immeuble, telle qu'elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation » (L. n° 65-557 du 10 juill. 1965 art. 8, I, al. 2 ; v. Civ. 3e, 1er avr. 1987, n° 85-11.717). Par principe, les clauses restrictives des droits des copropriétaires sont donc proscrites, et ce n’est que par exception qu’elles sont admises, à la stricte condition que la destination de l’immeuble les justifie ; en effet, à l’instar de toute exception, celle prévue par ce texte est d’interprétation stricte. Il appartient en conséquence aux juges du fond de rechercher concrètement en quoi la restriction apportée aux droits des copropriétaires était justifiée par la destination de l'immeuble. En pratique, les clauses jugées licites sont rares (V, pour la clause du règlement de copropriété interdisant la vente des lots secondaires à des personnes qui ne seraient pas déjà copropriétaires, Civ. 3e, 1er oct. 2013, n° 12-17.474 ; adde, pour une clause restrictive de la faculté pour chaque copropriétaire de diviser son lot : ayant pour finalité de conserver à l'immeuble son caractère résidentiel, tenant compte de son environnement et de son « standing », la clause est conforme à la destination de l’immeuble, Civ. 3e, 19 oct. 2010, n° 09-69.998).
Cette appréciation est d’autant plus complexe dans l’hypothèse en pratique assez fréquente où le règlement de copropriété confère à l'immeuble une double destination, à la fois commerciale et d'habitation (Civ. 3e, 19 nov. 2015, n° 14-23.733). Elle l’est aussi lorsque, tel qu’en l’espèce, le règlement définit plus singulièrement la destination de l’immeuble autant par l’activité commerciale qui s’y exerce en partie que par sa situation particulière, l’immeuble en cause dans cette affaire étant situé dans un périmètre architectural de protection des immeubles classés au titre des monuments historiques : par sa mixité, la destination de l’immeuble renouvelle ainsi l’appréciation de la légitimité, qu’elle seule peut conférer, à la restriction conventionnelle des droits des copropriétaires. Par exemple, la question a pu se poser en jurisprudence de savoir si un règlement de copropriété dont une clause stipulait que l'immeuble ne pouvait en principe être occupé que pour l'habitation ou l'exercice d'une profession libérale, les professions commerciales étant toutefois autorisées mais seulement au rez-de-chaussée et à l'exception des restaurants, bars ou tout autre commerce entraînant des nuisances sonores et olfactives excessives, prohibait à ce titre, par analogie, l'exercice d'une activité cultuelle dont l’ampleur des nuisances la rendrait alors contraire à la destination de l'immeuble (v. Civ. 3e, 16 sept. 2015, n° 14-14.518).
En l’espèce, la même difficulté d’appréciation se posait, ressortant parfaitement des deux thèses en présence : selon les propriétaires du local commercial, la clause litigieuse était contraire à la destination de l’immeuble puisque celle-ci était partiellement commerciale, son rez-de-chaussée comportant des boutiques impliquant alors le droit, pour son locataire, de promouvoir son commerce par l’apposition d’une enseigne. Selon les juges du fond, cette clause restrictive était bien au contraire conforme à la destination de l’immeuble telle qu'elle était définie par sa situation, compte tenu, en l'espèce, de sa localisation dans un périmètre classé et protégé bien qu’en son sein, des activités commerciales y soient admises. La Haute cour a finalement tranché en faveur de ce dernier argument, la situation spécifique de l’immeuble justifiant, en dépit de sa destination en partie commerciale, l’atteinte ainsi portée au droit de jouissance des propriétaires de locaux commerciaux. La clause devait donc bien, par exception, être déclarée licite. La destination en partie commerciale d’un immeuble et peut-être même, si l’on étend la portée de la solution, intégralement commerciale, n’invalide donc pas la clause d’un règlement de copropriété interdisant la pose d’affiches publicitaires ou d’enseignes commerciales lorsque cette clause est justifiée par la situation particulière de l’immeuble (V. égal., pour une clause restrictive des droits des copropriétaires sur des parties grevées justifiée par « l’environnement urbain » et « le caractère à la fois constructible et enclavé » des terrains voisins de l’immeuble, Civ. 3e, 3 mai 2001, n° 99-19.974).
Civ. 3e, 26 mars 2020, n° 18-22.441
Références
■ Civ. 3e, 1er avr. 1987, n° 85-11.717 P :
■ Civ. 3e, 1er oct. 2013, n° 12-17.474
■ Civ. 3e, 19 oct. 2010, n° 09-69.998
■ Civ. 3e, 19 nov. 2015, n° 14-23.733
■ Civ. 3e, 16 sept. 2015, n° 14-14.518
■ Civ. 3e, 3 mai 2001, n° 99-19.974
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