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Droit pénal général
Motivation des peines : obligation en matière délictuelle, interdiction en matière criminelle
Mots-clefs : Motivation des peines, Obligation de motivation, Délit, Crime
Par une série d’arrêts des 1er et 8 février 2017, la chambre criminelle s’est prononcée sur l’obligation de motivation des peines en matière délictuelle et criminelle.
Depuis la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, l’article 132-1 du Code pénal prévoit expressément, en son alinéa 2, que « toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée » ; dans son alinéa 3, il précise que, « dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur, ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités de la peine énoncées à l’article 130-1 » (à savoir sanctionner l’auteur de l’infraction et favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion).
Mais dans ses dispositions suivantes, le Code pénal ne prévoit une obligation de motivation spéciale que pour les peines d’emprisonnement ferme, à l’article 132-19 (« Lorsque le tribunal correctionnel prononce une peine d’emprisonnement sans sursis et ne faisant pas l’objet d’une des mesures d’aménagement prévues aux […] sous-sections 1 et 2, il doit spécialement motiver sa décision au regard des faits de l’espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale »). Ainsi, en matière d’amende, il se contente d’énoncer, à l’article 132-20, que « le montant de l’amende est déterminé en tenant compte des ressources et des charges de l’auteur de l’infraction ». Et la Cour de cassation estimait jusqu’à présent que seul l’emprisonnement ferme devait être motivé spécialement (V. par ex. pour l’amende, Crim. 27 oct. 2015, n° 14-87.571).
Les trois arrêts du 1er février 2017 remettent en cause cette position de principe.
Ainsi, dans la première affaire (n° 15-83.984), dans le cadre de laquelle les prévenues, poursuivies pour recel et blanchiment d’extorsions, avaient subi une aggravation conséquente de la peine d’amende prononcée à leur encontre (dont le montant était passé de 5000 euros en première instance à, respectivement, 50 000 et 30 000 euros en appel), la chambre criminelle énonce par une formule générale qu’« en matière correctionnelle, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de l’auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ». L’arrêt d’appel est cassé au visa des articles 132-20, alinéa 2, et 132-1 du Code pénal, 485 et 512 du Code de procédure pénale, faute pour les juges du fond d’avoir suffisamment justifié leur décision.
Le deuxième arrêt (n° 15-84.511) consacre la même solution s’agissant d’une peine d’inéligibilité prononcée contre un élu en matière de diffamation (peine qui, cette fois, était suffisamment motivée).
Et le troisième (n° 15-85.199) reprend la même formule concernant une peine d’interdiction de gérer prononcée contre un dirigeant en matière d’abus de biens sociaux (suffisamment justifiée au regard de « l’exigence résultant des articles 132-1 du code pénal et 485 du code de procédure pénale, selon laquelle, en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle »).
La chambre criminelle pose donc une obligation de motivation de toutes les peines, principales comme complémentaires, prononcées en matière correctionnelle, par référence à l’article 132-1 du Code pénal. Cette solution, conforme à l’objectif d’individualisation des peines poursuivi par le législateur en 2014, constitue une avancée majeure (V. not. R. Letteron, « La Cour de cassation : un premier pas vers un contrôle de proportionnalité de la peine », libertescheries.blogspot.fr, 16 févr. 2017).
Les trois autres arrêts, en date du 8 février 2017, concernaient pour leur part le prononcé de peines criminelles. Ici, pas de révolution, bien au contraire, puisque la Haute Cour y réaffirme, au visa de l’article 365-1 du Code de procédure pénale, qu’« en cas de condamnation par une cour d’assises la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui l’ont convaincue de la culpabilité de l’accusé » ; et elle ajoute qu’« en l’absence d’autre disposition légale le prévoyant, la cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu’ils prononcent dans les conditions définies à l’article 362 ». Ceci la conduit à censurer les trois arrêts d’assises qui lui étaient déférés car ils avaient motivé la peine prononcée. On en déduit que la présence d’une motivation, même succincte, de la peine suffit à faire encourir la cassation, quand bien même la cour et le jury auraient correctement motivé la décision sur la culpabilité, comme l’article 365-1 les y invite depuis la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 (sur l’évolution législative, dictée par la jurisprudence européenne, V. Rép. pén. Dalloz, vo Cour d’assises). En 2013, la Cour de cassation avait refusé de renvoyer une QPC portant sur l’absence de motivation des peines de réclusion criminelle et d’emprisonnement prononcées par les cours d’assises, en considérant que le principe d’égalité devant la justice, garanti par les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, n’était pas atteint, « les personnes accusées de crimes étant ainsi dans une situation différente de celles poursuivies devant un tribunal correctionnel » (Crim. 29 mai 2013, n° 12-86.630).
Il n’en demeure pas moins que la dichotomie retenue, obligeant le juge correctionnel à motiver spécialement toute peine et interdisant cette même motivation en matière criminelle, est pour le moins « saisissante » (S. Fucini, Dalloz actualité, 21 févr. 2017). Elle est surtout contestable si l’on envisage la motivation comme une composante procédurale du droit à un procès équitable, à l’instar de la publicité, de la célérité et des droits de la défense (V. en ce sens, S. Guinchard, Droit processuel) et que l’« obstacle » du jury criminel, qui justifiait l’absence de motivation des arrêts d’assises, a d’ores et déjà été franchi en ce qui concerne la motivation de la décision sur la culpabilité …
Crim. 1er févr. 2017, n° 15-83.984, 15-85.199 et 15-84.511.
Crim. 8 févr. 2017, n° 15-86.914, n° 16-80.389 et 16-80.391.
Références
■ Sur le pourvoi n° 15-85.199, V. Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. S. Fucini.
■ Sur le pourvoi n° 15-83.984, V. Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. C. Fonteix.
■ Sur le pourvoi n° 15-84.511, V. Dalloz actualité, 15 févr. 2017, obs. S. Lavric.
■ Sur les 3 arrêts du 8 février 2017, V. Dalloz actualité, 21 févr. 2017, obs. S. Fucini.
■ Crim. 27 oct. 2015, n° 14-87.571.
■ Crim. 29 mai 2013, n° 12-86.630, D. 2013. 2779 ; AJ pénal 2014. 81, obs. P. de Combles de Nayves.
■ Rép. pén. Dalloz, vo Jugement, par M. Lena.
■ Rép. pén. Dalloz, vo Cour d’assises, par M. Redon.
■ S. Guinchard, Droit processuel, 9e éd., 2017, Dalloz, coll. Précis, nos 436 s.
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