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[ 20 juin 2018 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Naissance d’un enfant trisomique et responsabilité professionnelle : précisions sur l’obligation d’information supportée par les médecins

L’arrêt commenté, rendu en l’état du droit antérieur à la loi Kouchner, permet à la Cour de cassation de préciser dans quelles circonstances la faute des médecins peut être caractérisée. Tel est le cas lorsque, tant le gynécologue ayant prescrit une analyse sanguine que celui lui succédant, restent passifs face à l’absence de transmission des résultats obtenus par le laboratoire.

Une femme enceinte se voit prescrire un test sanguin par son gynécologue afin de déceler un risque de trisomie 21. Le prélèvement est confié à un premier laboratoire qui, ne disposant pas du matériel nécessaire, le transmet à un autre établissement. Bien que l’examen révèle un risque accru de donner naissance à un enfant handicapé, ce résultat n’est communiqué à personne : ni au premier laboratoire, ni au gynécologue ayant prescrit l’examen, ni à son successeur intervenant à compter de la 33e semaine et encore moins à la principale intéressée, la patiente.

En mai 2000, l’enfant nait trisomique. Afin d’obtenir réparation des préjudices résultant de ce handicap, les parents assignent, tant en leur nom personnel que celui de leur fille, les deux gynécologues.

Deux intérêts majeurs sont soulevés par la présente espèce : d’une part, et puisque le dommage est survenu antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi Kouchner, les juges sont contraints de statuer en l’état du droit antérieur. D’autre part, cet arrêt permet de préciser les contours de l’obligation d’information pesant sur les médecins.

● Il est relevé que l’enfant est née en 2000, soit avant l’entrée en vigueur de la loi Kouchner n° 2002-303 du 4 mars 2002. La Cour de cassation va donc statuer sans tenir compte de l’article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles selon lequel « nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. »

Pour mémoire, ce texte est une réponse à l’arrêt « Perruche », dont les faits sont similaires à l’espèce commentée : une femme enceinte contracte la rubéole. Après avoir réalisé divers tests, le médecin commet une erreur de diagnostic qui conduit la patiente à poursuivre sa grossesse et à donner naissance à un enfant lourdement handicapé. Sa responsabilité professionnelle est recherchée. Alors que les juges du fond avaient écarté cette demande formulée au nom de l’enfant faute de lien de causalité existant entre le préjudice subi et la faute médicale (le handicap étant du, non pas à l‘erreur de diagnostic, mais à la maladie contractée par la mère), la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel de renvoi en ces termes : « que dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l'exécution des contrats formés avec Mme Perruche avaient empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse et ce afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues » (Cass., ass. plén., 17 nov. 2000, n° 99-13.701). Très controversée puisqu’elle met à mal le triptyque de la responsabilité (faute, dommage, lien de causalité), cette jurisprudence a conduit le législateur à intervenir par la loi du 4 mars 2002 précitée (dite loi « anti-Perruche ») afin d’interdire à un enfant handicapé d’obtenir une indemnisation fondée sur sa seule naissance (CASF, art. L. 114-5). 

Dans l’arrêt commenté, et en application du principe de non-rétroactivité de la loi (C. civ., art. 2), les juges statuent donc sans tenir compte de l’article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles.

Et sans surprise, ils adoptent la même position que celle retenue dans l’arrêt Perruche : la Cour de cassation approuve les juges du fond qui accueillent la demande d’indemnisation et condamnent solidairement les deux médecins à réparer les préjudices résultant du handicap de l’enfant.

● Mais encore fallait-il, pour engager leur responsabilité contractuelle, caractériser une faute. 

C’est sur cet élément que se concentre le pourvoi.

Les requérants font valoir qu’il existe un protocole entre médecins et laboratoires, selon lequel seuls les résultats révélant un risque élevé de trisomie 21 sont communiqués aux praticiens. Ainsi, en l’absence de transmission des analyses par les laborantins, les médecins ont légitimement pu écarter tout risque de handicap. Les requérants rappellent également qu’ils ne sont tenus que d’une simple obligation de moyens et n’ont pas, à défaut de transmission, à s’assurer du résultat des analyses commandées (en raison, justement, de l’existence d’un tel protocole).

L’argumentation développée ne convainc pas la Cour de cassation qui approuve le raisonnement des juges du fond.

En effet, s’agissant du premier gynécologue ; ce dernier ne pouvait se retrancher derrière le silence du laboratoire pour échapper à toute responsabilité. Tenu d’une obligation d’information à l’égard de son patient, le médecin ne doit pas rester passif et doit, à défaut de transmission des résultats, se renseigner par lui-même pour délivrer l’information qu’il doit à sa patiente. Le protocole mis en place entre professionnels ne peut lui être opposé pour la priver d’une indemnisation.

S’agissant du second gynécologue, succédant en cours de grossesse au premier : la Cour de cassation approuve les juges du fond qui relèvent que ce médecin aurait dû s’inquiéter de ne pas trouver, dans le dossier médical de la patiente, les résultats litigieux. De la même façon, il commet une négligence et n’aurait pu dû fonder son diagnostic sur une interprétation aléatoire, basée sur les usages médicaux. Si l’erreur de diagnostic ne constitue pas, en elle-même, une faute. En revanche, la négligence est caractérisée lorsque ce diagnostic a été établi à la légère. A titre d’exemple, la responsabilité d’un médecin a pu être retenue lorsque celui-ci, succédant à un confrère, s’en tient au diagnostic préalablement établi par ce dernier, sans apprécier personnellement le résultat des examens et investigations pratiquées (Civ. 1re, 30 avr. 2014, n° 13-14.288).

On ne peut que se féliciter de la solution retenue : s’en tenir au seul respect du protocole est très (trop !) dangereux tenant les nombreux aléas qu’il comporte (erreur de transmission, de réception etc.) et peut conduire à des situations dramatiques. L’arrêt commenté en est la parfaite illustration. 

Exit donc tout diagnostic fondé sur ces usages médicaux ! En tant que professionnels de la santé, les médecins doivent être particulièrement vigilants : s’informer pour pouvoir informer, c’est le moins que l’on puisse attendre d’eux.

Civ. 1re, 3 mai 2018, n° 16-27.506

Références

■ Cass., ass. plén., 17 nov. 2000, n° 99-13.701 P: D. 2001. 332, note D. Mazeaud; RDSS 2001. 1, note A. Terrasson de Fougères ; RTD civ. 2001. 77, Variété B. Markesinis ; ibid. 103, obs. J. Hauser ; ibid. 149, obs. P. Jourdain ; ibid. 226, obs. R. Libchaber ; ibid. 285, étude M. Fabre-Magnan ; ibid. 547, Variété P. Jestaz.

 

■ Civ. 1re, 30 avr. 2014, n° 13-14.288 P : D. 2014. 1039 ; Dalloz actualité, 12 mai 2014, obs. N. Kilgus.

 

 

Auteur :Lisa Vernhes


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