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Droit pénal général
Nature de l’ordonnance d’irresponsabilité pénale et droit d’appel
L’ordonnance du juge d’instruction qui constate l’existence, contre la personne mise en examen, de charges suffisantes d’avoir commis les faits et déclare cette personne pénalement irresponsable pour cause de trouble mental sur le fondement de l’article 122-1 du Code pénal, n’est pas une ordonnance de non-lieu au sens de l’article 177 du Code de procédure pénale. Ainsi, une telle décision est susceptible d’un appel que la chambre de l’instruction doit examiner selon une procédure spécifique, de sorte que le président de la chambre de l'instruction ne détient pas le pouvoir de rendre une ordonnance de non-admission de l’appel.
Crim. 10 janv. 2023, n° 22-82.645 B
Créée par la loi du 25 février 2008, l’ordonnance d’irresponsabilité pénale consiste pour le magistrat instructeur à saisir la chambre de l’instruction pour qu’elle se prononce sur l’irresponsabilité pénale pour trouble mental de la personne mise en examen (v. not. E. Bonis, Rép. pén. Dalloz, v° Troubles psychiques – Malades mentaux, spéc. nos 84 et s.).
Prévue aux articles 706-119 à 706-128 du Code de procédure pénale, il s’agit en effet d’une procédure spécifique de règlement de l’information en cas d’abolition du discernement en raison d’un trouble mental (C. pén., art. 122-1 al. 1er) qui repose à la fois sur l’ordonnance d’irresponsabilité pénale prise par le juge d’instruction d’une part, et sur l’arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale pris par la chambre de l’instruction d’autre part.
Mais quelle est la véritable nature de cette ordonnance d’irresponsabilité pénale prise par le juge d’instruction, et par conséquent, quel est son régime : ordonnance de non-lieu ou ordonnance particulière dont le mis en examen peut faire appel ?
Dans cet arrêt du 10 janvier 2013, la chambre criminelle répond qu’il ne s’agit pas d’une ordonnance de non-lieu.
Les faits étaient les suivants : un père était mis en examen des chefs de non-représentation d’enfant et soustraction par un parent à ses obligations légales pour avoir emmené ses enfants à l’étranger sans l’accord de leur mère respective. Dans une ordonnance du 7 mars 2022, le juge d’instruction considérait qu’il résultait de l’information des charges suffisantes contre l’intéressé d’avoir commis les faits de sa mise en examen, il déclarait l’intéressé pénalement irresponsable pour cause de trouble mental de sorte qu’il n’y avait lieu à suivre en l’état contre lui.
Le mis en examen interjetait appel. Mais le président de la chambre de l’instruction déclarait son appel irrecevable aux motifs que le droit d’appel est ouvert à la personne mise en examen contre les ordonnances et décisions visées à l’article 186 du Code de procédure pénale et qu’en l’espèce, l’ordonnance de non-lieu, régie par l’article 177 du même Code, n’entre pas dans les prévisions de l’article 186 précité et n’est donc pas susceptible d’appel. Pour la chambre de l’instruction, l’ordonnance de déclaration d’irresponsabilité pénale était donc une ordonnance de non-lieu régie par l’article 177 du code de procédure pénale.
La décision des juges d’appel surprend tant l’alinéa 1er de l’article 177 paraît clair quant à la définition d’une ordonnance de non-lieu puisque le juge d’instruction prend une telle ordonnance dans trois hypothèses : les faits ne constituent pas une infraction, l’auteur est inconnu, ou en l’absence de charges suffisantes. Le deuxième alinéa dudit article précise ensuite les situations dans lesquelles le non-lieu est motivé par l’existence d’une cause d’irresponsabilité pénale, comme la contrainte ou l’erreur de droit par exemple, sans évoquer pour autant l’abolition du discernement au sens de l’alinéa 1 de l’article 122-1 relatif au trouble mental. C’est qu’en effet, l’abolition du discernement relève d’une procédure spécifique prévue à l’article 706-120 du Code de procédure pénale. Selon cet article, s’il existe des charges suffisantes que le mis en examen a commis les faits et si son discernement était aboli au moment de l’acte, alors le juge d’instruction peut prendre une ordonnance d’irresponsabilité pénale. En d’autres termes, l’existence de charges suffisantes contre la personne mise en examen et l’abolition du discernement sont donc deux éléments qui n’existent que pour cette ordonnance d’irresponsabilité pénale qui relève d’une procédure spécifique.
Par conséquent, l’ordonnance d’irresponsabilité pénale n’est pas une ordonnance de non-lieu telle que prévue à l’article 177 du Code de procédure pénale.
La réponse de la Cour de cassation aux paragraphes 10 et 11 est à ce titre claire : « d'une part, l'ordonnance dont appel, qui constate l'existence, contre la personne mise en examen, de charges suffisantes d'avoir commis les faits reprochés, et est motivée par référence aux dispositions de l'article 122-1 du code pénal, n'est pas une ordonnance de non-lieu telle que prévue à l'article 177 du code de procédure pénale, et il a été fait application des dispositions de l'article 186, dernier alinéa, du même code, sur la base de motifs erronés. D'autre part, cette ordonnance, qui déclare l'intéressé pénalement irresponsable pour cause de trouble mental et qui, par application des dispositions des articles 706-128 et 706-122 à 706-127 du code de procédure pénale, est susceptible d'un appel devant la chambre de l'instruction dont l'examen relève d'une procédure spécifique, échappe aux prévisions de l'article 186, dernier alinéa, du même code ».
Ainsi, après la nature de cette ordonnance, encore fallait-il préciser son régime. C’est pourquoi la décision est rendue au visa de l’article 186 du Code de procédure pénale. Cet article précise les hypothèses d’appel de la personne mise en examen contre une série d’ordonnances et décisions dont l’article dresse la liste : il s’agit des décisions prévues « par les articles 80-1-1,87,139,140,137-3,142-6,142-7,145-1,145-2,148,167, avant-dernier alinéa, 179, troisième alinéa, 181,181-1 et 696-70 » dudit code. Dans le cas où il aurait été fait appel d’une ordonnance non visée par ce texte, le dernier alinéa de l’article 186 précise que le président de la chambre de l’instruction a le pouvoir de prendre d’office une ordonnance de non-admission de l’appel qui n’est pas susceptible de recours (sur le pouvoir de filtrage du président, v. C. Guéry, « Droit et pratique de l'instruction préparatoire », chap. 712, Dalloz action 2022/2023). L’article 177 n’apparaissant pas dans cette liste, le président de la chambre de l’instruction avait donc à juste titre rappelé que la personne mise en examen ne peut pas faire appel d’une ordonnance de non-lieu. Mais, l’ordonnance d’irresponsabilité pénale créée en 2008 n’est pas une ordonnance de non-lieu.
Sans surprise donc, la Chambre criminelle juge qu’il se déduit de l’article 186 du Code de procédure pénale « que le président de la chambre de l'instruction ne détient pas le pouvoir de rendre une ordonnance de non-admission de l'appel relevé contre une ordonnance de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ». Le président de la chambre de l’instruction avait excédé ses pouvoirs et son ordonnance est annulée par la chambre criminelle.
Finalement, le mis en examen peut faire appel d’une ordonnance d’irresponsabilité pénale devant la chambre de l’instruction et on devine l’enjeu d’un tel appel : soit contester l’existence même de l’infraction (hypothèse d’un fait ou des circonstances exceptionnelles justifiant la non-représentation ?), contester l’une des interdictions qui aurait été prononcée en vertu de l’article 706-136 du Code de procédure pénale (par ex. l’interdiction d’entrer en relation avec la victime ou de paraître dans un lieu déterminé ?), soit tout simplement parce que l’application de l’article 122-1 ne supprime pas la responsabilité civile et donc l’obligation d’indemnisation de l’auteur (conformément aux dispositions de l’article 414-3 du Code civil selon lequel « celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était sous l'empire d'un trouble mental n'en est pas moins obligé à réparation »).
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