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Introduction au droit
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Le juge judiciaire initialement saisi d’une question sérieuse relevant de la compétence exclusive du juge administratif doit la lui transmettre à titre préjudiciel et surseoir à statuer jusqu’à sa décision.
Une commune avait autorisé une société exploitant un restaurant à installer une terrasse sur une voie desservant le port fluvial situé sur son territoire, puis soutenant que celle-ci ne bénéficiait plus d’aucun titre l’autorisant à conférer un droit d’occupation du domaine public routier, elle l’avait alors assignée en expulsion devant le juge judiciaire. Invoquant l’appartenance de la voie litigieuse au domaine public fluvial, la société avait en réponse soulevé une exception d’incompétence au profit de la juridiction administrative.
Pour décliner la compétence de la juridiction judiciaire, la cour d’appel saisie, après avoir relevé que le restaurant était situé dans une enceinte portuaire fluviale, sur les terre-pleins du port de plaisance de la commune, et que les voies sur lesquelles ce commerce était implanté avaient été aménagées, à titre principal, pour la desserte des installations portuaires et, plus généralement, pour l’exploitation du port, retint que, lesdites voies fussent-elles piétonnes et ouvertes à la circulation et à l’usage du public, devaient être regardées comme appartenant au domaine public fluvial et non au domaine public routier.
La Cour de cassation censure cette décision. Rappelant qu’aux termes de l’article 49, alinéa 2, du Code de procédure civile, lorsque la solution d’un litige dépend d’une question soulevant une difficulté sérieuse relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie doit transmettre celle-ci à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du Code de justice administrative et surseoir à statuer jusqu’à ce que la décision sur la question préjudicielle soit rendue.
Or affirme-t-elle, il n’appartient qu’à la juridiction administrative de se prononcer sur l’existence, l’étendue et les limites du domaine public, de sorte que la cour d’appel était en l’espèce tenue de transmettre à cette juridiction, par voie préjudicielle, la question de l’appartenance de la voie litigieuse au domaine public fluvial ou au domaine public routier de la commune, question dont dépendait la solution de l’exception d’incompétence soulevée et qui présentait une difficulté sérieuse.
La solution rapportée procède au rappel d’une distinction fondatrice du droit français, indispensable à son étude et à l’apprentissage de son organisation juridictionnelle : la summa divisio entre droit privé et droit public, dont découle le dualisme juridictionnel ici illustré.
Cette division majeure, qui domine autant qu’elle englobe les autres subdivisions du droit positif, public comme privé, est ancienne. Consacrée dès la fin de l’époque classique à Rome, elle devint la division fondamentale du droit au Bas-Empire, pour se déployer progressivement à mesure que s’affirmait le pouvoir royal. Amplifiée au cours du XIXe siècle, elle s’ancra définitivement au siècle suivant, selon un critère essentiel de distinction : l’intérêt général oppose aux intérêts particuliers.
En effet, alors que le droit public cherche à promouvoir et à défendre l’intérêt général, le droit privé tend à soutenir et protéger les intérêts particuliers. Quand le premier, étroitement lié à l’État, privilégie l’intérêt public, le second, attaché aux droits et libertés des individus, préfère mettre l’accent sur leurs intérêts privés. Sur un plan politique, la distinction reposait donc ainsi sur une opposition idéologique entre un droit autoritaire, unilatéral et vertical, où l’intérêt public prévaut sur les intérêts particuliers, et un droit libéral, de facture démocratique, dominé par l’individualité, l’autonomie de la volonté, la liberté contractuelle et la variété des techniques susceptibles de la traduire. Désormais, cette opposition jadis frontale s’est quelque peu estompée : le droit public n’échappe plus à la logique contractuelle (soumission des services de l’État à des règles de plus en plus proches de celles du droit privé) et reconnaît les libertés individuelles (droits de l’homme) ; de son côté, le droit privé est marqué par un recul assez net de la liberté des parties.
En théorie comme en pratique, la distinction conserve néanmoins une grande importance. La décision rapportée en atteste. Tout d’abord, droit public et droit privé forment deux corps de règles distincts. De manière générale, les règles applicables aux relations entre personnes privées et celles régissant les rapports entre les personnes publiques, ou entre les personnes publiques et les personnes privées, ne se confondent pas. Aussi cette distinction est-elle soutenue, notamment, par le dualisme juridictionnel dont le respect est ici rappelé, justifiant une stricte répartition des compétences respectivement réservées aux ordres administratif et judiciaire dont la confusion, lorsqu’elle se pratique, n’est admise qu’à titre d’exception. Certes, le dualisme juridictionnel n’est pas absolu : ainsi le juge judiciaire peut-il être amené à appliquer les règles du droit public et réciproquement, lorsque par exemple, le juge administratif applique des règles issues du droit de la concurrence aux activités économiques des personnes publiques. Cela étant, en général et par principe, à chaque juge son corps de règles. Ainsi, seul le juge administratif est compétent pour déterminer l’existence, l’étendue et les limites du domaine public, ce qui en l’espèce justifiait qu’une solution d’exception d’incompétence dût être rendue et la question soulevée transmise à titre préjudiciel à la juridiction administrative dès lors que cette question présentait, en outre, une difficulté sérieuse.
Civ. 1re, 4 juill. 2019, n° 18-21.147
Référence
■ Fiches d’orientation Dalloz: Question préjudicielle.
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