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[ 23 janvier 2019 ] Imprimer

Droit des obligations

Ne pas promettre avant de proposer

La seule signature d’une promesse unilatérale de vente par l’auteur d’un pacte de préférence qui n’a pas prioritairement proposé le contrat à son bénéficiaire constitue une violation du pacte.

Deux particuliers avaient, il y a près de vingt ans, conclu un pacte de préférence, pour une durée de dix ans, portant sur deux lots dans un immeuble en copropriété. Un mois avant l’arrivée du terme, le propriétaire avait conclu, par acte notarié, une promesse unilatérale de vente à un tiers, la vente ayant été finalement réitérée, toujours par acte notarié, trois semaines après l’arrivée du terme. Ayant estimé que la vente avait été conclue en violation de son pacte de préférence, son bénéficiaire avait assigné le vendeur et l’acquéreur, ainsi que les notaires ayant instrumenté la vente et l’agent immobilier en annulation du contrat, substitution dans les droits de l’acquéreur, expulsion de celui-ci et paiement de dommages-intérêts. 

La cour d’appel rejeta l’intégralité de ses demandes aux motifs que la lettre du pacte de préférence ne permettait pas de conclure qu’en cas d’intention de vendre, l’obligation de laisser la préférence au bénéficiaire grèverait le précontrat que constituait la promesse unilatérale de vente, que seule la date de l’échange des consentements était à prendre en considération et qu’en présence d’une promesse unilatérale de vente, la vente ne pouvait prendre effet qu’à la date de la levée de l’option, laquelle était intervenue postérieurement à la date d’échéance du pacte. 

Le problème soumis à la Haute cour n’était pas dépourvu d’intérêt, la réponse susceptible d’y être apportée n’allant pas de soi : la simple signature d’une promesse unilatérale de vente constitue-t-elle déjà une violation du pacte de préférence antérieurement passé ? 

Au visa de l’ancien article 1134 du Code civil, la Cour de cassation y répond positivement. Elle condamne fermement l’analyse des juges du fond, leur opposant que « le pacte de préférence implique l’obligation, pour le promettant, de donner préférence au bénéficiaire lorsqu’il décide de vendre le bien ». 

La solution apportée par la Cour de cassation ne peut être qu’approuvée en raison de sa conformité à la fois à la nature juridique du pacte de préférence comme aux effets qui en découlent. Rappelons que le pacte de préférence se définit comme « le contrat par lequel une partie s’engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle déciderait de contracter ». Cette technique contractuelle offre à son bénéficiaire un droit de préférence, ou de priorité, dans l’hypothèse où le propriétaire aurait la volonté de vendre son bien. A la différence de la promesse unilatérale, l’auteur du pacte, propriétaire du bien, ne s’engage donc nullement à aliéner son bien mais seulement, s’il désire le faire, à proposer l’achat de son bien en priorité au bénéficiaire du pacte. 

En conséquence, les effets du pacte de préférence doivent être considérés sous deux angles différents. Tant que le propriétaire du bien n’est pas désireux de le vendre, c’est-à-dire de conclure le contrat en considération duquel le pacte a été acté, ce dernier reste en quelque sorte à l’état de veille. Autrement dit, il ne produit pas de véritables effets ; tout au plus pourra-il être transféré à un tiers par le bénéficiaire. C’est en revanche lorsque le propriétaire de la chose souhaite la vendre que le pacte déploie pleinement ses effets. En application de celui-ci, le vendeur doit en effet prioritairement proposer au bénéficiaire la conclusion de la vente. Principal et essentiel, cet effet du pacte de préférence justifie la solution ici rendue : c’est logiquement la date à laquelle l’auteur du pacte décide de vendre qui doit être prise en compte pour juger s’il l’a ou non respecté. C’est-à-dire, en l’espèce, la date à laquelle la promesse avait été signée, peu important celle de la levée de l’option, laquelle traduit la volonté de contracter, en l’occurrence indifférente, du bénéficiaire de la promesse. 

Notons enfin que cette solution est également conforme à la lettre du nouvel article 1123, alinéa 1er, du Code civil, lui-même conforme au sens que la jurisprudence avait auparavant donné à ce droit de priorité contractuelle.

Moralité, il n’y a pas que sur la route que les refus de priorité sont sanctionnés.

Civ. 3e, 6 déc. 2018, n° 17-23.321

Référence

■ Fiche d’orientation Dalloz : Pacte de préférence

 

Auteur :Merryl Hervieu


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