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[ 21 février 2019 ] Imprimer

Droit des successions et des libéralités

Ne pas revendre ses cadeaux

La Cour de cassation apporte des précisions sur la recevabilité et le bien-fondé de l’action en révocation d’une donation pour inexécution des charges qui la grèvent.

Un artiste avait donné à une association quatorze de ses œuvres, en précisant, par lettre du 5 mars 1987 adressée au vice-président de celle-ci, que « ces œuvres ne pourront en aucun cas être revendues et qu'elles ne pourront être utilisées que pour des accrochages ou des expositions à caractère non commercial et non publicitaire ». A son décès, il laissa pour lui succéder son épouse, bénéficiaire de l'attribution intégrale en toute propriété des biens meubles et immeubles dépendant de la communauté universelle pour laquelle ils avaient opté, ainsi que de l'usufruit des droits patrimoniaux d'auteur ; ses cinq enfants issus de leur union, avaient reçu la nue-propriété de ces droits ainsi que le droit moral attaché au droit d’auteur de leur père. Après avoir découvert, seulement deux mois après le décès de son défunt mari, que l'une des œuvres données allait faire l'objet d'une vente aux enchères publiques à la requête d’une société, et que le débiteur saisi n'était pas l'association donataire mais son président, la veuve avait fait procéder, avant la vente, à une saisie-revendication, puis assigné l'association et la société en révocation de la donation pour inexécution fautive des charges. La cour d’appel jugea sa demande irrecevable, faute pour elle d’avoir qualité pour agir ; elle releva en ce sens que celle-ci sollicitait la révocation de la donation au motif que la volonté de son époux tenant à l'absence de revente des œuvres ou à leur exposition n'avait pas été respectée ; or selon les juges du fond, les charges invoquées ne relevaient pas, par leur nature, de la propriété matérielle des supports des œuvres et ne pouvaient être assimilées à des charges grevant des donations portant sur des biens matériels, mais du droit moral de l'artiste, peu important que l'association n'eût pas été investie du moindre droit d'auteur ; la cour en déduisit que la veuve avait agi afin que soit respecté le droit moral de son époux, lequel avait été dévolu à ses seuls enfants. Au visa des articles 953 et 954 du Code civil, tous deux relatifs aux exceptions à la règle de l’irrévocabilité des donations entre vifs, et après avoir rappelé que l'action en révocation d'une donation pour inexécution des charges peut être intentée par le donateur ou ses héritiers, la première chambre civile de la Cour de cassation casse partiellement la décision des juges d’appel, seulement en ce qu’en statuant comme ils l’ont fait, alors que la donation portait sur des biens corporels, dont l'action en révocation pour inexécution de charges engagée par la demanderesse tendait à la restitution, les juges avaient violé les textes susvisés.

Contrat unilatéral, la donation obéit à la règle classique issue du droit commun des contrats, dite solo consensu, comme l’énonce clairement l’article 938 du Code civil, selon lequel « (l)a donation dûment acceptée sera parfaite par le seul consentement des parties ; et la propriété des objets données sera transférée au donataire, sans qu’il soit besoin d’autre tradition ». Par principe impérativement soumise à la forme notariée (C. civ art. 931), la donation peut, par exception, en être dispensée, principalement dans le cas du don manuel. C’était ainsi qu’en l’espèce, le défunt avait fait don de ses œuvres. La donation n’en demeurait pas moins valable en ce qu’elle satisfaisait les deux conditions en ce cas requises, la dépossession effective du donateur (Civ. 1re, 11 juill. 1960 : Le don manuel n’a d’existence que par la tradition réelle que fait le donateur de la chose donnée, effectuée dans des conditions telles qu’elle assure la dépossession de celui-ci, et assure l’irrévocabilité de la donation) et l’antériorité de la tradition au décès de celui-ci (Civ. 1re, 23 janv. 1980, n° 78-14.378). Aussi, comme tout contrat, la donation a une force obligatoire que confirme la règle de son irrévocabilité. Toutefois, par exception, celle-ci peut être révoquée, soit par consentement mutuel, soit par la volonté unilatérale du donateur, ou de celle de ses héritiers, l’action de ces derniers étant plus ou moins ouvertement admise, selon les causes de la révocation (C. civ, art. 953 et 957). L’action engagée dans la décision rapportée, fondée sur l’inexécution des conditions stipulées, était de nature patrimoniale. Contrairement à ce qu’avait jugé la cour d’appel, l'action en révocation d'une donation pour cause d'inexécution de ses conditions constitue un droit patrimonial, quel que soit l'objet de la condition stipulée par le donateur, qui lui appartenait de son vivant et qui, à ce titre, se transmet à ses héritiers, et notamment à son épouse.

Recevable, l’action était en revanche, en partie, mal fondée. En effet, aux termes de l'article 953 du Code civil, la donation peut être révoquée pour « cause d'inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite », en sorte que toute donation, même effectuée comme en l’espèce par tradition, peut être révoquée en cas d'inexécution des charges dont elle est grevée à la condition, au demeurant essentielle, que ces charges qui l’assortissent et qui n'ont point été exécutées constituent la cause impulsive et déterminante de la libéralité. Or en l’espèce, le don était subordonné à l'absence d'exploitation à des fins commerciales et à l'absence de revente des œuvres. La donation litigieuse était ainsi assortie de charges dont la lecture des courriers échangés entre le donateur et l’association avaient fait ressortir que le refus du donateur de toute spéculation sur ces œuvres constituait une cause impulsive et déterminante de leur remise à l'association. Cependant, le tableau litigieux n’avait, dans les faits, pas été volontairement vendu comme le président de l’association l’avait, certes, au départ, envisagé, mais saisi par un créancier, ce que l’association avait d’ailleurs contesté. Or les juges ont retenu que la simple intention de vendre était insuffisante à caractériser l’inexécution de la première charge, l’absence de revente. Ce fut en fait à propos d’un autre tableau, également cédé mais sans que des circonstances extérieures aient pu le justifier, que les juges ont prononcé la révocation, partielle, de la donation effectuée, cette possibilité pour le juge de maintenir partiellement une donation étant depuis longtemps reconnue (Req. 3 mai 1921).

Civ. 1re, 16 janv. 2019, n°18-10.603

Références

■ Civ. 1re, 11 juill. 1960D. 1960.702 

■ Civ. 1re, 23 janv. 1980, n° 78-14.378

■ Req. 3 mai 1921: DP 1921.1143

 

Auteur :Merryl Hervieu


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