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Droit du travail - relations individuelles
Ne surveille pas qui veut !
Mots-clefs : Droit à la vie privée, Secret des correspondances, Licenciement, Messages électroniques, Présomption, Travail
La Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme établit une grille de lecture des politiques encadrant les communications non professionnelles, électroniques ou autres, des employés sur leur lieu de travail.
En l’espèce, un ingénieur roumain avait utilisé, à des fins personnelles, le réseau internet de son entreprise pendant son temps de travail. Son employeur ayant surveillé ses correspondances a pu constater l’envoi de messages électroniques intimes et l'a licencié. Le 12 janvier 2016, la Cour européenne des droits de l’homme avait conclu au respect de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme en retenant pour cela le caractère raisonnable de la surveillance (CEDH 12 janv. 2016, Bărbulescu c/ Roumanie, n° 61496/08). La Grande Chambre, vient de statuer en sens contraire.
L’apport de cet arrêt de principe, rendu le 5 septembre 2017, est double.
D’abord, les juges européens rappellent que les communications d’un salarié sont potentiellement privées, y compris celles qui ne portent pas de mention « personnel ». Elles sont donc protégées par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (V. dans le même sens, CEDH 16 déc. 1992, Niemietz c/ Allemagne, n° 13710/88).
Ensuite, et en conséquence, la Cour précise la relativité du droit de surveillance des employeurs. Afin de respecter la proportionnalité et les garanties procédurales contre l’arbitraire, elle propose six critères à prendre en considération:
- l’information du salarié : le salarié doit avoir été préalablement averti par son employeur de la possibilité que ses communications soient surveillées ;
- l’étendue de la surveillance effectuée et le degré d’intrusion dans la vie privée de l’employé ;
- l'indication des raisons légitimes justifiant la surveillance des communications et l’accès à leur contenu même ;
- la possibilité de mettre en place un système de surveillance reposant sur des moyens et des mesures moins intrusifs que l’accès direct au contenu des communications de l’employé ;
- les effets de la surveillance pour l’employé concerné ainsi que l’utilisation qui a été faite par l’employeur des résultats de l’opération de surveillance, et en particulier si ces résultats ont servi à atteindre le but déclaré de la mesure en cause ;
- le bénéfice pour le salarié de garanties adéquates, notamment quand les opérations de surveillance peuvent être intrusives.
L’objectif de la Cour est de limiter le contrôle de l’employeur à des mesures de surveillance proportionnées et justifiées. Elle s’inspire pour cela des principes de la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données. Par la même occasion, elle étend sa jurisprudence Copland c/ Royaume-Uni à tous les employés (CEDH 3 avr. 2007, Copland c/ Royaume-Uni, n° 62617/00,). Sont désormais protégés les salariés d’un employeur privé.
En France, les juridictions s’assurent également d’un juste équilibre entre respect de la vie privée, secret des correspondances du salarié et droit de surveillance de l’employeur (Soc. 2 oct. 2001, n° 99-42.942). Toutefois, contrairement à la Cour européenne des droits de l’homme, elles appliquent par principe la présomption selon laquelle tout e-mail non marqué de la mention « personnel » revêt un caractère professionnel (Soc. 15 déc. 2010, n° 08-42.486. Soc. 2 févr. 2011, n° 09-72.313 et s’agissant de SMS : Com. 10 févr. 2015, n° 13-14.779).
La décision de la Cour du 5 septembre 2017 renforce donc la protection des salariés. Elle pourrait influencer notre droit sur deux points. D’une part, on peut s’attendre à un renversement absolu de la présomption susmentionnée. D’autre part, il est probable que la capacité des employeurs à lutter efficacement contre la fraude interne et la concurrence déloyale en soit altérée. En effet, limités dans leur devoir de surveillance, ils pourraient-être contraints d'adopter des mesures moins efficaces voire même d'être découragés d'en adopter.
CEDH, gr. ch., 5 sept. 2017, Bărbulescu c/ Roumanie, n° 61496/08
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
■ CEDH 12 janv. 2016, Bărbulescu c/ Roumanie, n° 61496/08 : Dalloz actualité, 29 janv. 2016, obs. M. Peyronnet ; D. 2016. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. Soc. 2017. 355, étude G. Raimondi ; Dalloz IP/IT 2016. 211, obs. P. Adam.
■ CEDH 3 avr. 2007, Copland c. Royaume-Uni, no 62617/00.
■ CEDH 16 déc. 1992, Niemietz c/ Allemagne, n° 13710/88 : D. 1993. 386, obs. J.-F. Renucci.
■ Com. 10 févr. 2015, n° 13-14.779 P : D. 2015.959, note J. Lasserre Capdeville ; ibid. 2016. 167, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; Just. & cass. 2017. 143, avis P. Mollard ; ibid. 153, avis R. Weissmann ; RDT 2015. 191, obs. P. Adam ; D. avocats 2015. 158, Observation F. Taquet.
■ Soc. 2 févr. 2011, n° 09-72.313.
■ Soc. 15 déc. 2010, n° 08-42.486.
■ Soc. 2 oct. 2001, n° 99-42.942 P : D. 2001. 3148, note P.-Y. Gautier ; ibid. 3286, interview P. Langlois ; ibid. 2002. 2296, obs. C. Caron ; Dr. soc. 2001. 915, note J.-E. Ray ; ibid. 2002. 84, étude A. Mole ; RTD civ. 2002. 72, obs. J. Hauser.
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