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Droit de la responsabilité civile
« Nemo auditur » : l’illicéité n’est pas l’indignité.
Le caractère illicite d’une opération réalisée à l’aide d’un prêt ne fait pas obstacle à la restitution des sommes prêtées.
Un propriétaire avait consenti, par l'intermédiaire d’un agent immobilier, une promesse unilatérale de vente d’un immeuble, moyennant le prix de 4 100 000 euros. Une indemnité d'immobilisation de 410 000 euros correspondant à 10 % du prix était prévue au cas où la vente n'aurait pas lieu. Sur ce montant, la somme de 205 000 euros avait été versée par l'agent immobilier au notaire, pour le compte de la bénéficiaire de la promesse, dans les droits de laquelle un second bénéficiaire s’était ensuite substitué.
L’option n'ayant finalement pas été levée, le notaire avait versé au promettant la somme de 205 000 euros, avancée par la bénéficiaire initiale, à titre d'indemnité d'immobilisation. L’agent immobilier avait alors assigné les deux bénéficiaires successifs de la promesse en remboursement de cette somme.
La cour d’appel rejeta sa demande au motif que sa remise des fonds au notaire, à défaut de mandat exprès de la première bénéficiaire, était illicite, en sorte qu’il ne disposait d’aucune créance sur la première bénéficiaire, ni sur le second.
L’agent immobilier forma un pourvoi en cassation, au moyen que les règles édictées par l'article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 et son décret d'application, qui font notamment interdiction à un agent immobilier de recevoir, détenir et remettre une somme d'argent sans mandat exprès, n'ont vocation à s'appliquer qu'aux conventions portant sur la vente d'un bien ou l'une des opérations visées à l'article 1er de la loi et ne s'appliquent pas à un contrat de prêt, quand bien même ce dernier serait consenti par l'agent immobilier, lequel contrat emporte nécessairement l'obligation par l'emprunteur de restituer la somme prêtée, peu important que leur remise au notaire ait été illicite au regard des dispositions précitées, qui ne trouvaient pas à s’appliquer au contrat de prêt litigieux. La Cour de cassation confirme l’illicéité de la remise des fonds au notaire pour le paiement d'une partie de l'indemnité d'immobilisation convenue dans la promesse unilatérale de vente dès lors que, titulaire d'un mandat non exclusif de vente émanant du promettant, il ne disposait d'aucun mandat écrit de la bénéficiaire l'autorisant à procéder de la sorte. En revanche, elle juge, contrairement à la cour d’appel, que le caractère illicite, mais non immoral, de ce versement ne privait pas l'agent immobilier de son droit à restitution de la seule somme par lui remise.
«Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » (Nemo auditur propriam turpidum allegans). Du moins en principe, les juges se montrant parfois, comme en témoigne la décision rapportée, indulgents à l’égard de justiciables peu scrupuleux dès lors que leur action, simplement illicite, n’est pas pour autant immorale. En effet, il est depuis longtemps acquis que les tribunaux civils confèrent à la maxime une portée variable selon que le demandeur réclame l’exécution d’une convention illicite ou immorale. Si la jurisprudence refuse toute action à celui qui invoque une convention nulle, comme immorale ou contraire aux bonnes mœurs, il n’en est pas de même lorsque la convention est illicite, qu’elle est seulement prohibée par la loi, même d’ordre public ; dans ce dernier cas, celui qui forme une demande de restitution ou d’exécution verra généralement celle-ci accueillie. Initialement, cette faveur avait été accordée aux cessionnaires d’offices ministériels, autorisés à répéter le prix versé aux cédants en exécution d’une contre-lettre, ainsi qu’à divers contrats entachés de « marché noir » (V. C. Cardahi, « L’exécution des conventions immorales et illicites », RIDC, 1951, p. 388). Ainsi les juges tendent-ils à distinguer les contrats illicites des contrats immoraux, sans doute pour réduire l’étendue du champ d’application de la maxime Nemo auditur dont l’intransigeance de ce qu’elle refuse incite les juges à en pondérer l’application.
En l’espèce, alors que l’agent immobilier avait pourtant enfreint sciemment une règle d’ordre public s’apparentant de surcroît à une règle déontologique, donc destinée à moraliser l’exercice de sa profession, il a réussi toutefois à échapper à l’application de l’adage dès lors que l’opération effectuée revêtait, selon la Cour de cassation, un caractère simplement illicite, mais non immoral. Ce critère discriminatoire ne va pourtant pas de soi. De façon plus générale, il a pu être admis que « l’auteur du paiement ne peut (…) se plaindre de ne pouvoir toucher ce que le droit ne lui permet pas d’obtenir : en d’autre termes, il ne peut fonder sa réclamation sur une cause que le droit annule ou ne reconnaît pas » (Saleilles, Étude d’une théorie générale de l’obligation d’après le code civil allemand, p. 465 s.). Mais il a toutefois été plus majoritairement considéré que la maxime Nemo auditur édictait une règle essentiellement morale : « Ce qu’elle défend, c’est l’étalage devant un tribunal d’un acte honteux par lequel on voudrait créer un titre » (G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, n° 108), jouant ainsi « un rôle préventif en enlevant toute sécurité aux contractants ; s’ils exécutent le contrat immoral, c’est à leurs risques et périls ; ils doivent savoir que le juge n’arbitrera pas leur querelle et que toute prestation demeurera définitivement acquise à celui qui l’aura reçue » (Planiol, Ripert et Boulanger, Traité élémentaire de droit civil, 1947, t. II, n° 886).
Ainsi, si une demande en restitution d’une somme d’argent ne peut être accueillie, l’action étant tenue pour irrecevable, et donc si le demandeur n’est pas écouté du juge, c’est seulement en raison de son indignité (C. Cardahi, op.cit., p. 386). S’il s’agit donc d’un contrat illicite mais non entaché d’immoralité, la partie qui poursuit la répétition pourra en revanche être entendue, ce qui confère à la maxime, dans son application, un libéralisme égal à son intention morale, sauf à considérer les hypothèses où le droit et la morale se rencontrent, ce qui aurait pu en l’occurrence être jugé. Cependant, il n’y a sans doute pas dans la conscience morale commune une condamnation suffisamment nette et répandue des mouvements de fonds proscrits par la réglementation applicable aux agents immobiliers pour que les juges aient pu trouver dans sa violation une immoralité qui aurait justifié l’application de la règle Nemo auditur. C’est la raison pour laquelle en l’espèce, les Hauts magistrats ont accordé au demandeur au pourvoi un droit de restitution des sommes prêtées, nonobstant l’adage traditionnel, que les juges du fond avaient, au contraire, appliqué dans toute sa rigueur.
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