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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Nom de famille : la transmission obligatoire du nom de père constitue une discrimination
Mots-clefs : Nom de famille, Attribution, Nom du père, Discrimination
La législation italienne imposant aux parents d’attribuer à leur enfant le nom du père est discriminatoire.
Par un arrêt de chambre non définitif rendu le 7 janvier 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné l’Italie en raison de la discrimination sexuelle constituée par sa législation relative à l’attribution du nom de famille. En effet, comme la coutume française le prévoyait jusqu’à ce que la loi n°2002-304 du 4 mars 2002 relative au nom de famille y renonce, la législation italienne impose d’attribuer aux enfants « légitimes » le nom du père.
Ainsi, dans l’affaire rapportée, les requérants avaient été privés, malgré leur volonté commune d’échapper à cette règle, de la liberté d’attribuer aux enfants le nom de leur mère. Certes, le préfet de Milan les avait autorisés à ajouter au nom du père le nom de la mère ; cependant, comme le relève la Cour, ce changement ne consistait pas en l’attribution du seul nom de famille de la mère, comme les requérants l’avaient souhaité, mais en un simple ajout du nom de la mère à celui du père.
Là encore, un parallèle avec le droit français tel qu’il existait avant la réforme de 2002 peut être établi : en effet, dès le milieu des années 1980, le législateur français (L. n°85-1372 du 23 déc. 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux) avait admis l’ajout, à titre d’usage, du nom de famille du parent autre que celui ayant transmis le nom. Cela étant, cette autorisation légale n’était pas pleinement satisfaisante dans la mesure où par principe, le nom d’usage d’une personne ne se transmet pas aux enfants de celle-ci.
Pour ces raisons, la Cour considère que les règles de dévolution du nom prévues par le droit italien, reflétant une conception patriarcale de la famille, sont discriminatoires.
Rappelons que selon la Cour, une discrimination, quel que soit son fondement, est caractérisée lorsque sont traitées de manière différenciée des personnes se trouvant dans des situations comparables, sans qu’une telle différence de traitement puisse être justifiée par des considérations objectives et raisonnables, étant entendu qu’une telle justification « s’apprécie à la lumière des principes qui prévalent d’ordinaire dans les sociétés démocratiques ».
Or la Cour rappelle ici l’importance d’une progression vers l’égalité des sexes et l’élimination nécessaire, même progressive, de toute discrimination fondée sur le sexe dans le choix du nom de famille. Elle réaffirme alors les deux principes devant régir la matière, d’ailleurs identiques à ceux ayant guidé le législateur français en 2002 : liberté et égalité.
Le premier suppose de laisser les parents libres de transmettre à leur enfant le nom de leur choix alors que le second, complémentaire, implique au nom de l’égalité homme/femme de reconnaître aux parents la possibilité d’attribuer le nom de la mère ou, du moins, celle d’accoler le nom maternel au nom paternel.
En ce sens, si la Cour reconnaît que la dévolution du nom du père n’est pas, en soi, contraire à la Convention, l’impérativité de la règle, c’est-à-dire l’impossibilité d’y déroger, est, elle, jugée comme « excessivement rigide et discriminatoire » et en cela, non conforme aux articles 8 (Droit au respect de la vie privée et familiale) et 14 (Interdiction de discrimination) de la Convention.
Ainsi la Cour prolonge-t-elle une jurisprudence désormais assez ancienne, par laquelle la Suisse s’était vue condamner pour discrimination fondée sur le sexe dans la transmission du nom de famille en raison de l’impossibilité pour la femme de transmettre son nom à ses enfants (CEDH 22 févr.1994, Burghartz c./Suisse).
Le législateur français peut, en tout cas, désormais être sûr d’échapper à toute sanction de la part des juges européens des droits de l’homme, la loi du 4 mars 2002 ayant mis fin à la suprématie paternelle dans la transmission du nom de famille à la faveur des deux principes précédemment évoqués : l’article 311-21 du Code civil prévoit que les deux parents choisissent le nom de famille qui est dévolu à l’enfant, lequel peut être « soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux (…) ».
CEDH 7janv. 2014, Cusan et Fazzo c./Italie, req.n°77/07
Références
■ CEDH 22 févr.1994, Burghartz c./Suisse, n°16213/90, D. 1995. 5, note J.-P. Marguénaud.
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale
1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale,
à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
Article 14 - Interdiction de discrimination
La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.
■ Article 311-21 du Code civil
« Lorsque la filiation d'un enfant est établie à l'égard de ses deux parents au plus tard le jour de la déclaration de sa naissance ou par la suite mais simultanément, ces derniers choisissent le nom de famille qui lui est dévolu : soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l'ordre choisi par eux dans la limite d'un nom de famille pour chacun d'eux. En l'absence de déclaration conjointe à l'officier de l'état civil mentionnant le choix du nom de l'enfant, celui-ci prend le nom de celui de ses parents à l'égard duquel sa filiation est établie en premier lieu et le nom de son père si sa filiation est établie simultanément à l'égard de l'un et de l'autre. En cas de désaccord entre les parents, signalé par l'un d'eux à l'officier de l'état civil, au plus tard au jour de la déclaration de naissance ou après la naissance, lors de l'établissement simultané de la filiation, l'enfant prend leurs deux noms, dans la limite du premier nom de famille pour chacun d'eux, accolés selon l'ordre alphabétique.
En cas de naissance à l'étranger d'un enfant dont l'un au moins des parents est français, les parents qui n'ont pas usé de la faculté de choix du nom dans les conditions du précédent alinéa peuvent effectuer une telle déclaration lors de la demande de transcription de l'acte, au plus tard dans les trois ans de la naissance de l'enfant.
Lorsqu'il a déjà été fait application du présent article, du deuxième alinéa de l'article 311-23 ou de l'article 357 à l'égard d'un enfant commun, le nom précédemment dévolu ou choisi vaut pour les autres enfants communs.
Lorsque les parents ou l'un d'entre eux portent un double nom de famille, ils peuvent, par une déclaration écrite conjointe, ne transmettre qu'un seul nom à leurs enfants. »
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