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[ 30 septembre 2013 ] Imprimer

Droit des personnes

Nom de famille : le caractère non discriminatoire des dispositions transitoires françaises

Mots-clefs : Nom de famille, Filiation, Discrimination (non)

Dans un arrêt du 19 septembre 2013, la Cour européenne des droits de l'homme considère que les règles transitoires françaises régissant la dévolution du nom de famille ne sont pas discriminatoires.

Le nom de famille est un élément d’individualisation des personnes et traduit le rattachement juridique à une famille qui le porte. À ce titre, la question du nom tombe dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif à la vie privée et familiale (ex : CEDH 27 sept. 2001, Golemanova c. Bulgarie) et notamment la question du choix du nom d’un enfant par ses parents (CEDH 27 sept. 2001, G.M.B. et K.M. c. Suisse). Si les États jouissent d'une certaine latitude concernant les règles régissant la dévolution du nom de famille, celles-ci ne doivent pas être discriminatoires (CEDH 9 nov. 2010, Losonci Rose et Rose c. Suisse).

Un bref rappel de la législation française s’impose. Avant 2002, l’enfant anciennement dit légitime portait le nom du mari de sa mère, présumé par la loi père de l’enfant. Le nom transmis était ainsi celui du père (TGI Bordeaux, 7 nov. 1960 ; Civ. 1re, 19 juin 1961). Un tempérament avait été introduit par la loi du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs, permettant d’ajouter à son nom, à titre d’usage, le nom de celui de ses parents qui ne lui a pas transmis le sien.

La loi nº 2002-304 du 4 mars 2002 relative au nom de famille, a profondément modifié les règles d’attribution du nom de famille de l’enfant. Désormais, les parents peuvent choisir de donner à l’enfant le nom du père, celui de la mère ou les deux accolés dans l’ordre qu’ils choisissent (C. civ., art. 311-21). En cas de désaccord entre les parents, l'enfant prend leurs deux noms, dans la limite du premier nom de famille pour chacun d'eux, accolés selon l'ordre alphabétique (L. n°2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe, art. 11).

L’entrée en vigueur de la loi de 2002 a été différée au premier jour du 18e mois suivant la promulgation, soit au 1er septembre 2003 puis reportée au 1er janvier 2005 par la loi n° 2003-516 du 18 juin 2003 relative à la dévolution du nom de famille laquelle précisait que les nouvelles dispositions ne sont pas applicables aux enfants nés avant cette date.

Concernant les enfants nés avant le 1er janvier 2005, la loi a toutefois prévu un régime transitoire. Les parents exerçant l’autorité parentale ont la possibilité de demander, dans les dix-huit mois suivant l’entrée en vigueur de la réforme (soit avant le 1er juillet 2006), lorsque l’aîné des enfants communs a moins de treize ans au 1er septembre 2003, l’adjonction en seconde position du nom du parent qui ne lui a pas transmis le sien.

Le nom attribué à un individu à la naissance est en principe immuable et imprescriptible. Attribut de la personne, le nom de famille ne se perd pas ainsi par le non-usage (Civ. 1re, 15 mars 1988). Cette règle de l'immutabilité du nom de famille n'est cependant pas une règle absolue. Par exemple, aux termes de l’article 61 du Code civil, « Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de nom. La demande de changement de nom peut avoir pour objet d’éviter l’extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu’au quatrième degré. Le changement de nom est autorisé par décret ». L’enfant mineur, à partir du jour de ses treize ans, doit consentir à tout changement de nom (C. civ., art 61-3).

Ces règles françaises relatives à la dévolution du nom de famille et les dispositions transitoires ont reçu un brevet de conventionalité de la part de la Cour européenne des droits de l’homme.

En l’espèce, deux enfants légitimes d’un couple franco-belge, respectivement nés les 1er janvier 1986 et 22 juin 1989, furent inscrits au registre de l’état civil sous le nom de leur père conformément aux dispositions législatives en vigueur à cette date. Toutefois, les époux décidèrent de leur donner comme nom d’usage le patronyme du père suivi de celui de la mère, comme les y autorisait la loi de 1985.

Ils ne purent, par la suite, aux termes des dispositions transitoires des lois de 2002 et 2003, formuler de demande d’adjonction du nom de la mère qui n’avait pas été transmis, cette possibilité étant réservée aux enfants nés après le 1er septembre 1990, ce qui n’était pas le cas de leurs enfants. Le père déposa alors, au nom et pour le compte de ses deux filles mineures, une requête en changement de nom auprès du garde des Sceaux (C. civ., art. 61) pour obtenir l’inscription de celles-ci au registre d’état civil sous le nom des deux époux. Le rejet de cette requête par le garde des Sceaux a été contesté sans succès devant les juridictions administratives.

Les parents saisirent donc la Cour européenne pour violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Conv. EDH, combiné avec l’article 14 (interdiction de discrimination). Ils soutenaient d’abord que les règles régissant la dévolution du nom de famille avant la loi de 2002 constituaient une discrimination entre hommes et femmes. La Cour écarte l’argument au motif que le premier requérant ne saurait se prétendre « victime » au sens de l’article 34 (requêtes individuelles) de la Convention. En effet, ayant donné son nom, il ne saurait lui-même se plaindre de l’impossibilité pour les époux de transmettre à l’enfant né après le mariage le nom de la mère et donc se dire « victime » d’une différence de traitement fondée sur le sexe. La Cour relève, en outre, que la mère n’a jamais été partie à la procédure, que ce soit devant les juridictions nationales ou devant elle-même.

Les requérants se plaignaient, ensuite, d’une différence de traitement entre les enfants nés avant le 1er septembre 1990 et ceux nés après, résultant directement des dispositions transitoires des lois de 2002 et 2003. Sur ce point, la Cour estime que la différence de traitement dont les requérants ont fait l’objet était raisonnable et justifiée par la nécessité d’assurer la transition dans le temps des règles de dévolution du nom de famille, et par la légitimité du choix de tenir compte du respect des principes de sécurité juridique et d’immutabilité du nom.

S’agissant du critère de l’âge fixé par le législateur, qui conditionne la possibilité de l’ajout du nom du parent qui n’a pas transmis le sien, la Cour observe qu’il «  coïncide avec le droit octroyé par ailleurs à l’enfant mineur de plus de treize ans de consentir au changement de son nom ». Elle estime, dès lors, que cette distinction entre enfants âgés de moins ou de plus de treize ans ne saurait passer pour arbitraire.

Le système transitoire retenu visait un but légitime susceptible de justifier la différence de traitement et proportionné à ce but. Elle déclare donc la requête irrecevable.

Cette décision de la Cour européenne s’inscrit dans la même lignée que celle rendue par la Cour de cassation. Saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité relative aux articles 311-21 et 311-23 du Code civil, la première chambre civile, par un arrêt du 24 février 2011, a estimé que les règles différentes de dévolution du nom, prévues par les articles 311-21 et 311-23 du Code civil, selon la date d'établissement de la filiation, ne sont pas constitutives d'une rupture d'égalité. En effet, « la dévolution du nom de famille est déterminée par l'établissement du lien de filiation et [...] les textes contestés ont pour objet de concilier la possibilité donnée à tous les parents de choisir conjointement le nom attribué à leur enfant et la nécessité de préserver la stabilité du nom, répondant ainsi à un objectif d'intérêt général en rapport direct avec l'objet de la loi ».

CEDH 27 août 2013, aff. De Ram c. France, no 38275/10

Références

■ CEDH 27 sept. 2001, Golemanova c. Bulgarie, n° 11369/04.

■ CEDH 27 sept. 2001, G.M.B. et K.M. c. Suissen° 36797/97.

■ CEDH 9 nov. 2010, Losonci Rose et Rose c. Suisse, n°664/06, Dalloz actualité 2 déc. 2010.

■ TGI Bordeaux, 7 nov. 1960, Gaz. Pal. 1961, 1, p. 89.

 Civ. 1re, 19 juin 1961, D. 1961. 544.

■ Civ. 1re, 15 mars 1988Bull. civ. I, no 78, GAJC, 11e éd., no 19, D. 1988. 549, note Massip, JCP 1989. II. 21347, note Agostini.

■ Civ. 1re, 24 févr. 2011, no 10-40.067, RTD civ. 2011. 321.

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale 

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 14 - Interdiction de discrimination 

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Article 34 - Requêtes individuelles 

« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »

■ Code civil

Article 61

« Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. 

La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré.

Le changement de nom est autorisé par décret. »

Article 61-3

« Tout changement de nom de l'enfant de plus de treize ans nécessite son consentement personnel lorsque ce changement ne résulte pas de l'établissement ou d'une modification d'un lien de filiation. 

L'établissement ou la modification du lien de filiation n'emporte cependant le changement du nom de famille des enfants majeurs que sous réserve de leur consentement. »

Article 311-21

« Lorsque la filiation d'un enfant est établie à l'égard de ses deux parents au plus tard le jour de la déclaration de sa naissance ou par la suite mais simultanément, ces derniers choisissent le nom de famille qui lui est dévolu : soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l'ordre choisi par eux dans la limite d'un nom de famille pour chacun d'eux. En l'absence de déclaration conjointe à l'officier de l'état civil mentionnant le choix du nom de l'enfant, celui-ci prend le nom de celui de ses parents à l'égard duquel sa filiation est établie en premier lieu et le nom de son père si sa filiation est établie simultanément à l'égard de l'un et de l'autre. En cas de désaccord entre les parents, signalé par l'un d'eux à l'officier de l'état civil, au plus tard au jour de la déclaration de naissance ou après la naissance, lors de l'établissement simultané de la filiation, l'enfant prend leurs deux noms, dans la limite du premier nom de famille pour chacun d'eux, accolés selon l'ordre alphabétique. 

En cas de naissance à l'étranger d'un enfant dont l'un au moins des parents est français, les parents qui n'ont pas usé de la faculté de choix du nom dans les conditions du précédent alinéa peuvent effectuer une telle déclaration lors de la demande de transcription de l'acte, au plus tard dans les trois ans de la naissance de l'enfant. 

Lorsqu'il a déjà été fait application du présent article, du deuxième alinéa de l'article 311-23 ou de l'article 357 à l'égard d'un enfant commun, le nom précédemment dévolu ou choisi vaut pour les autres enfants communs. 

Lorsque les parents ou l'un d'entre eux portent un double nom de famille, ils peuvent, par une déclaration écrite conjointe, ne transmettre qu'un seul nom à leurs enfants. »

Article 311-23

« Lorsque la filiation n'est établie qu'à l'égard d'un parent, l'enfant prend le nom de ce parent. 

Lors de l'établissement du second lien de filiation puis durant la minorité de l'enfant, les parents peuvent, par déclaration conjointe devant l'officier de l'état civil, choisir soit de lui substituer le nom de famille du parent à l'égard duquel la filiation a été établie en second lieu, soit d'accoler leurs deux noms, dans l'ordre choisi par eux, dans la limite d'un nom de famille pour chacun d'eux. Le changement de nom est mentionné en marge de l'acte de naissance. 

Toutefois, lorsqu'il a déjà été fait application de l'article 311-21, du deuxième alinéa du présent article ou de l'article 357 à l'égard d'un autre enfant commun, la déclaration de changement de nom ne peut avoir d'autre effet que de donner le nom précédemment dévolu ou choisi. 

Si l'enfant a plus de treize ans, son consentement personnel est nécessaire. »

 

 

Auteur :C. L.


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