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Droit de la responsabilité civile
Non-application de la directive relative à la responsabilité du fait des produits défectueux au prestataire de services
Mots-clefs : Responsabilité du fait des produits défectueux, Responsabilité in solidum, Obligation de sécurité de résultat
La responsabilité du chirurgien ne peut être recherchée que pour faute, la responsabilité du fait des produits défectueux ne s’appliquant qu’aux fabriquants et fournisseurs et non aux utilisateurs des produits en cause.
Un chirurgien a posé une prothèse à un patient, mais celle-ci s’est déchirée au cours d’une partie de tennis. En l’espèce, il s’agissait alors de savoir si la responsabilité du praticien peut être engagée in solidum avec celle du fabriquant du produit défectueux.
La question de la responsabilité du fabriquant ne soulève pas de problème en l’espèce, grâce à la mise en jeu automatique de la directive européenne 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, transposée dans le Code civil aux articles 1386-1 à 1386-18. Ces textes créent en effet pour le fabriquant une obligation de sécurité de résultat quant aux produits qu’il fabrique et commercialise. Mais le champ d’application des articles 1386-1 à 1386-18 peut-il être étendu au chirurgien, simple utilisateur du produit ?
Les juges du fond se sont prononcés en faveur d’une responsabilité in solidum de la société et du chirurgien sur le fondement de la directive relative à la responsabilité du fait des produits défectueux. Ils ont considéré que le médecin avait manqué à l’obligation de sécurité de résultat lui incombant en tant qu’utilisateur de la prothèse et qu’il était responsable de plein droit. Il ne pouvait dans ce cas s’exonérer que par la force majeure, sa responsabilité ayant été mise en cause automatiquement.
Ce raisonnement est cassé par la Cour de cassation, au visa des articles 1386-1 à 1386-18 et de l’article 1147. La Cour affirme dans son attendu de principe que « la responsabilité des prestataires de services de soins, qui ne peuvent être assimilés à des distributeurs de produits ou dispositifs médicaux et dont les prestations visent essentiellement à faire bénéficier les patients des traitements et techniques les plus approriés à l’amélioration de leur état, ne relève pas, hormis le cas où ils en sont eux-mêmes les producteurs, du champ d’application de la directive et ne peut dès lors être recherchée que pour faute lorsqu’ils ont recours aux produits, matériels et dispositifs médicaux nécessaires à l’exercice de leur art ou à l’accomplissement d’un acte médical ». Ainsi, la responsabilité du fait des produits défectueux s’applique aux seuls fabriquants, et non aux utilisateurs. Le chirurgien n’est donc pas tenu d’une obligation de sécurité de résultat, c’est pourquoi la responsabilité in solidum est écartée. Les articles 1386-1 et suivants étant inapplicables, le chirurgien n’ayant pas lui-même fabriqué la prothèse, c’est uniquement sur le terrain de la faute médicale que sa responsabilité doit être recherchée. C’est alors au patient de prouver la faute du praticien.
Cette jurisprudence est évidemment plus favorable au praticien qu’au patient, mais elle respecte la lettre du champ d’application de la directive relative à la responsabilité du fait des produits défectueux telle qu’elle est définie par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Selon l’arrêt CHU de Besançon rendu par la CJUE le 21 décembre 2011, cette directive n’a pas pour but d’englober les utilisateurs de produits défectueux dans son champ d’application, la responsabilité de ces derniers pouvant être engagée sur le fondement d’un autre régime de responsabilité civile. Chaque pays reste dans ce cas libre d’organiser son propre régime de responsabilité, la possibilité d’engager la responsabilité du fournisseur ou du fabricant sur le fondement de la directive restant la condition sine qua non. Celle-ci ne vise donc pas à une unification de tous les régimes de responsabilité existant dans les pays membres, mais se limite à un champ d’application strict, ne ciblant que les professionnels responsables de la fabrication et de la commercialisation des produits.
Le prestataire de services, c’est-à-dire le chirurgien qui utilise un produit défectueux dans le cadre de son activité, n’est en effet pas un producteur au sens des dispositions de l’article 3 de la directive. L’arrêt rendu par la Cour de cassation va donc dans le même sens que la jurisprudence rendue par la CJUE en la matière.
Civ. 1re, 12 juill. 2012, n° 11-17.510, FS-P+B+I
Références
■ Code civil
« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
Titre IV bis : De la responsabilité du fait des produits défectueux
« Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime. »
Article 1386-2
« Les dispositions du présent titre s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne.
Elles s'appliquent également à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même. »
Article 1386-3
« Est un produit tout bien meuble, même s'il est incorporé dans un immeuble, y compris les produits du sol, de l'élevage, de la chasse et de la pêche. L'électricité est considérée comme un produit.
Article 1386-4
Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation. »
Article 1386-5
« Un produit est mis en circulation lorsque le producteur s'en est dessaisi volontairement.
Un produit ne fait l'objet que d'une seule mise en circulation. »
Article 1386-6
« Est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante.
Est assimilée à un producteur pour l'application du présent titre toute personne agissant à titre professionnel :
1° Qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif;
2° Qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue d'une vente, d'une location, avec ou sans promesse de vente, ou de toute autre forme de distribution.
Ne sont pas considérées comme producteurs, au sens du présent titre, les personnes dont la responsabilité peut être recherchée sur le fondement des articles 1792 à 1792-6 et 1646-1. »
Article 1386-7
« Si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur, à l'exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel, est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée.
Le recours du fournisseur contre le producteur obéit aux mêmes règles que la demande émanant de la victime directe du défaut. Toutefois, il doit agir dans l'année suivant la date de sa citation en justice. »
Article 1386-8
« En cas de dommage causé par le défaut d'un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l'incorporation sont solidairement responsables. »
Article 1386-9
« Le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. »
Article 1386-10
« Le producteur peut être responsable du défaut alors même que le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou de normes existantes ou qu'il a fait l'objet d'une autorisation administrative. »
Article 1386-11
« Le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve :
1° Qu'il n'avait pas mis le produit en circulation ;
2° Que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d'estimer que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ;
3° Que le produit n'a pas été destiné à la vente ou à toute autre forme de distribution ;
4° Que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ;
5° Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d'ordre législatif ou réglementaire.
Le producteur de la partie composante n'est pas non plus responsable s'il établit que le défaut est imputable à la conception du produit dans lequel cette partie a été incorporée ou aux instructions données par le producteur de ce produit. »
Article 1386-12
« Le producteur ne peut invoquer la cause d'exonération prévue au 4° de l'article 1386-11 lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par les produits issus de celui-ci. »
Article 1386-13
« La responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d'une personne dont la victime est responsable. »
Article 1386-14
« La responsabilité du producteur envers la victime n'est pas réduite par le fait d'un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage. »
Article 1386-15
« Les clauses qui visent à écarter ou à limiter la responsabilité du fait des produits défectueux sont interdites et réputées non écrites.
Toutefois, pour les dommages causés aux biens qui ne sont pas utilisés par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privée, les clauses stipulées entre professionnels sont valables. »
Article 1386-16
« Sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci, fondée sur les dispositions du présent titre, est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage à moins que, durant cette période, la victime n'ait engagé une action en justice. »
Article 1386-17
« L'action en réparation fondée sur les dispositions du présent titre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur. »
Article 1386-18
« Les dispositions du présent titre ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité.
Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond. »
■ Directive du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (85/374/CEE)
« 1. Le terme «producteur» désigne le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première ou le fabricant d’une partie composante, et toute personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif.
2. Sans préjudice de la responsabilité du producteur, toute personne qui importe un produit dans la Communauté en vue d’une vente, location, leasing ou toute autre forme de distribution dans le cadre de son activité commerciale est considérée comme producteur de celui-ci au sens de la présente directive et est responsable au même titre que le producteur.
3. Si le producteur du produit ne peut être identifié, chaque fournisseur en sera considéré comme producteur, à moins qu’il n’indique à la victime, dans un délai raisonnable, l’identité du producteur ou de celui qui lui a fourni le produit. Il en est de même dans le cas d’un produit importé, si ce produit n’indique pas l’identité de l’importateur visé au paragraphe 2, même si le nom du producteur est indiqué. »
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